Depuis plus de deux siècles, au Québec, les luttes politiques s’articulent autour des objectifs d’élargissement de notre liberté politique et de promotion d’une identité distincte. Dans la perspective de l’avenir du Québec, que signifie sur le fond des choses l’idée autonomiste adoptée par l’Action démocratique du Québec lors du congrès de septembre 2004 ? Et comment se situe la démarche de l’ADQ face au fédéralisme du PLQ et face au souverainisme du PQ ?

La proposition de l’ADQ vise à placer le combat pour l’autonomie (dans un nom et dans des institutions) au cœur même de notre identité politique. Pourquoi un tel autonomisme offensif, allant jusqu’à faire du Québec le percepteur de l’ensemble de nos impôts ? Tout d’abord, pour renforcer notre position dans un régime où des aspects impériaux côtoient des éléments libéraux et fédéraux mieux connus. Cherche-t-on un exemple actuel de structure impériale au Canada ? Il faut regarder du côté de la Conférence des premiers ministres, laquelle dépend complètement de l’arbitraire d’Ottawa, qui peut seul décider de l’opportunité de tenir des conférences, qui impose l’ordre du jour et préside les séances.

Face à cela, le fédéralisme défensif intelligemment articulé par MM. Charest et Pelletier, capable de succès occasionnels (ce fut le cas lors de la conférence sur la santé), s’essouffle vite.

Le souverainisme de l’impuissance proposé par le Parti québécois ne suffit pas davantage. Comme je l’explique plus abondamment dans mon livre, je reproche au Parti québécois, alors au pouvoir, d’avoir mal intégré les conséquences stratégiques et politiques pour le Québec du résultat référendaire de 1995. Quand on organise un référendum en présumant qu’on sera plus fort si on le gagne, on doit admettre, logiquement, qu’on sera plus faible si on le perd, quel que soit le résultat. Le référendum de 1980 a préparé le terrain en 1982 au rapatriement de la constitution canadienne sans le consentement du Québec, chose qui aurait été inimaginable auparavant. Après 1995, le pouvoir canadien s’est durci à l’égard du Québec. Les causes de l’approfondissement du déséquilibre fiscal sont peut-être à trouver de ce côté. Hypocrite mais brillante, la Loi sur la clarté permet au Canada de se présenter à l’étranger comme un pays assez généreux pour reconnaître le principe de sa division, tout en multipliant à l’interne les obstacles sur la route de la souveraineté.

Capable de succès historiques sur d’autres fronts, le Parti québécois a lamentablement échoué depuis sa fondation sur celui de l’augmentation de la liberté politique du Québec. Prisonnier d’une impasse stratégique, ce parti me semble surtout souffrir d’un profond déficit d’imagination. Je ne vois pas de meilleur exemple de ce souverainisme de l’impuissance que ce que le Parti québécois nous dit à propos de l’idée d’une constitution interne pour le Québec.

L’idée de doter le Québec d’une constitution interne a été à intervalles réguliers appuyée par tous nos partis politiques. Au Parti québécois, Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp ont beaucoup écrit à ce sujet. Au Parti libéral du Québec, ce projet a inspiré au fil des ans les travaux des Paul Gérin-Lajoie, Gil Rémillard et Benoît Pelletier. Relayée avec enthousiasme par le journaliste Michel Venne et par le juriste Marc Brière, cette idée a trouvé, en la personne du grand sociologue Guy Rocher, l’un de ses plus ardents défenseurs. Voici des extraits d’un texte récent du professeur Rocher : « Sur le plan politique, si la majorité de la population québécoise ne se sent pas en mesure d’assumer la pleine souveraineté du pays, ou n’est pas motivée à le faire, il faudra doter le Québec d’une constitution… Il faudra étendre jusqu’à l’extrême limite l’autonomie politique dont pourra jouir l’État de la nation québécoise… La nation québécoise jouira ainsi d’une personnalité juridique et politique à laquelle pourront se référer tout citoyen et tout éducateur. »

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C’est tout cela que fait l’ADQ en proposant l’adoption d’une constitution interne pour l’État autonome du Québec. Un tel projet vise autrement dit à doter le Québec d’une épine dorsale institutionnelle, rassemblant des documents comme les lois électorale et référendaire, la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte de la langue française dans un document substantiel et symbolique. Que nous recommande le Parti québécois à ce propos ? Le PQ nous répète qu’il faut attendre, qu’on fera cela au lendemain de la souveraineté, ou encore, c’est ce que l’on a entendu récemment, que l’on obtiendra la souveraineté en faisant voter les Québécois sur un projet de constitution.

Fondé il y a près de quarante ans sur un projet d’indépendance, le PQ n’a rien obtenu sur le front de l’élargissement de la liberté politique du Québec. Bien au contraire. Le PQ au gouvernement a conduit le Québec à une réduction de ses pouvoirs et de sa liberté. Comme véhicule politique, dix ans après le référendum de 1995, le PQ ne parvient pas à formuler un projet qui dégagerait ce qu’Alain Dubuc appelle une majorité confortable et stable en faveur d’une forme de liberté politique pour le Québec. Au nom du patriotisme québécois, il faut en prendre acte, refuser d’hypothéquer notre avenir en le confiant à l’instinct de mort des caribous du PQ.

Depuis quarante ans, le Québec se cherche une identité politique forte charpentée par une constitution claire. Faudra-t-il attendre encore quarante ans pour l’obtenir? Deux fois quarante ans, c’est l’horizon de la vie d’un être humain. Dans les Actuelles, Albert Camus avait résumé tout cela avec une belle formule : « Quand le provisoire couvre le temps de la vie d’un homme, il devient pour cet homme le définitif. » Le principal mérite de l’autonomisme de l’ADQ consiste à mettre fin à cet attentisme provisoire qui n’en finit plus, à passer aux actes en dotant le Québec d’une épine dorsale institutionnelle, d’une nouvelle identité politique claire et forte. Sur le terrain de la reconnaissance, il faut commencer par se définir et par se reconnaître soi-même. C’est vrai pour les individus, c’est vrai aussi pour les peuples.

Ces dernières années, deux entreprises de réflexion collective au Québec sont arrivées à la même conclusion que l’ADQ : les commissions Larose et Béland, sur l’avenir et la situation de la langue française et sur la réforme des institutions démocratiques, ont toutes deux recommandé de rassembler nos lois fondamentales en un tout cohérent, pour renforcer l’identité institutionnelle du Québec et préciser notre citoyenneté. À l’échelle planétaire, des exercices semblables ont eu lieu en Catalogne, en Bavière, en Australie, en Afrique du Sud et dans les États américains. Le gouvernement libéral de M. Charest retarde à l’heure actuelle, pour des motifs étroitement partisans, l’entrée en vigueur d’une réforme électorale et d’une révision de nos institutions démocratiques qui commencerait à régler le déficit du Québec en matière d’épine dorsale institutionnelle. Ce n’est pas à son honneur.

En septembre 2004, l’ADQ et son chef, M. Mario Dumont, ont décidé de jouer leur avenir dans une entreprise de persuasion de la nécessité et de l’urgence d’une identité politique claire et forte pour le Québec. Cette idée mérite, à tout le moins, un véritable débat.

Guy Laforest
Guy Laforest est professeur au Département de science politique de l’Université Laval. Ses principaux champs d’enseignement et de recherche sont la pensée politique, l’histoire intellectuelle au Québec et au Canada, la politique constitutionnelle au Canada, et les théories du fédéralisme et du nationalisme.

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