La nouvelle é€re de coopération intergouvernementale et de fédéralisme asymétrique que plusieurs entrevoyaient aÌ€ la suite de la rencontre de la mi-septembre sur la santé n’a pas fait long feu. Deux semaines apré€s cette rencontre, que plusieurs qualifiaient d’historique, le discours du TroÌ‚ne présentait un pro- gramme de gouvernement sans référence aÌ€ la notion d’asymétrie et construit autour d’un ensemble d’in- terventions dans des champs de com- pétence provinciale. Le Premier ministre Martin s’inscrivait sans ambiguïté dans la continuité d’un gouvernement dont il a été un acteur clé pendant pré€s de neuf ans, et il mettait mé‚me les partis d’opposition au défi de le renverser.

Les semaines qui ont suivi ont donné lieu aÌ€ l’habituelle annonce d’un surplus budgétaire fédéral dépassant de tré€s loin les prévisions du budget du printemps, et aÌ€ des désaccords ou aÌ€ des tensions sur le déséquilibre fiscal, le financement des municipalités, la pro- tection de l’environnement, les garderies et la fiscalité. Mais plus que tout, c’est la rencontre du 26 octobre sur la péréquation qui a confirmé les orien- tations fédérales, en montrant aussi les désaccords importants qui divisent les gouvernements provinciaux.

AÌ€ cette occasion, Ottawa a annon- cé la mise en place d’un nouveau cadre pour la péréquation. Celui-ci prévoit un plancher global de financement, qui devrait croiÌ‚tre au taux de 3,5 p. 100 par année, une protection contre les diminutions de paiements qui pourraient affecter certaines provinces, et la création d’un groupe d’experts afin de réfléchir aÌ€ la réparti- tion de ce transfert entre les provinces.

En apparence généreuse, cette annonce a été plutoÌ‚t bien accueillie par l’Ontario et l’Alberta. Mais elle a été vivement critiquée par les provinces qui reçoivent de la péréqua- tion. Le Premier ministre de Terre- Neuve-et-Labrador, notamment, a quitté la réunion en claquant la porte. Le ministre des Finances du Québec, quant aÌ€ lui, a accusé le gouvernement fédéral de « Quebec bashing », un terme que Jean Charest a plus tard écarté, en réaffirmant sa confiance dans l’évolution de la fédération.

On peut voir ces désaccords entre les différents gouvernements comme une nouvelle démonstration de la fragilité des ententes interprovinciales, qui tendent aÌ€ s’effondrer dé€s qu’il est question d’argent. Claude Morin notait déjaÌ€ cette tendance dans ses ouvrages sur les relations intergou- vernementales des années 1960, et le mé‚me genre de dynamique a été aÌ€ l’œuvre lors des négociations de 1999 sur l’union sociale.

Mais laÌ€ n’est pas l’essentiel. La péréquation n’est pas un programme de transfert comme les autres et sa transformation, qui est bien réelle, est bien plus qu’un épisode addition- nel dans la saga des disputes finan- cié€res intergouvernementales. Le nouveau cadre fédéral consacre, en effet, le triomphe complet de l’ap- proche discrétionnaire des transferts, favorisée depuis plusieurs années par Paul Martin. Pour le comprendre, il faut prendre en compte la nature particulié€re du programme que l’on est en train de transformer.

De tous les transferts aux provinces, la péréquation est certaine- ment celui qui incarne le mieux le principe fédéral. Le programme, en effet, relé€ve explicitement de la com- pétence fédérale et prévoit la redistri- bution des revenus sans condition afin de permettre aux provinces d’offrir « des services publics aÌ€ un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables ».

The inner workings of government
Keep track of who’s doing what to get federal policy made. In The Functionary.
The Functionary
Our newsletter about the public service. Nominated for a Digital Publishing Award.

Par ailleurs, contrairement aux autres transferts, la péréquation relé€ve moins des priorités budgétaires fédérales ou de négociations entre les gouvernements que de l’application d’une formule. L’objectif est de cor- riger les écarts entre la capacité fiscale par habitant d’une province moins riche et la capacité fiscale moyenne de cinq provinces dites représenta- tives. Les gouvernements ont bien suÌ‚r des désaccords sur une formule qui n’est pas aÌ€ l’épreuve de toute manipu- lation statistique ou comptable, mais ces désaccords portent sur la formule et sa mise en œuvre plutoÌ‚t que sur la taille ou le partage d’une enveloppe budgétaire donnée.

Ces deux caractéristiques ”” assises constitutionnelles et application d’une formule ”” ont fait de la péréquation un des programmes les moins con- testés du pays. AÌ€ plusieurs occasions, des chercheurs ont prédit le déclin de ce programme qui est couÌ‚teux ”” pré€s de 1 p. 100 du PIB il y a quelques années ; moins maintenant ”” et qui ne profite pas aÌ€ toutes les provinces. Le gouvernement fédéral a bien trouvé des façons de limiter ses engagements financiers, mais au total la péréquation s’est avérée beaucoup plus stable et résiliente que les autres transferts.

C’est dans ce contexte qu’il faut juger le nouveau cadre proposé aÌ€ la fin octobre. Que fait en effet le gouverne- ment Martin en proposant un plan- cher et une formule d’indexation? Il s’engage bien suÌ‚r aÌ€ ne pas aller plus bas qu’un certain montant. Mais en mé‚me temps, pour l’avenir, il propose d’établir par voie législative un cadre financier « assorti de niveaux de paiement globaux fixes propres aÌ€ assurer un financement prévisible et croissant ». En passe d’une logique de formule, ouÌ€ les dépenses sont déterminées par une norme et des paramé€tres comptables, aÌ€ une logique d’enveloppe budgétaire, par laquelle la péréquation rejoint les autres transferts laissés aÌ€ la discrétion du gouvernement fédéral ou, au mieux, aux aléas de la négociation.

Le contraste entre les deux approches n’est pas absolu. De 1982 aÌ€ 2003, par exemple, le gouvernement fédéral s’est gardé la possibilité d’im- poser un plafond aux paiements totaux de péréquation. La logique d’ensemble n’en est pas moins inversée. Alors que jusqu’ici on appliquait aÌ€ l’occasion un plafond pour limiter les conséquences budgétaires de l’application de la for- mule, on utilisera dorénavant cette for- mule, ou une autre, pour répartir apré€s coup un montant établi au préalable par la Chambre des communes. Mé‚me si on présume de la bonne foi d’un gou- vernement qui s’engage aÌ€ ne pas réduire les transferts au titre de la péréquation, on peut comprendre que le programme devient plus discrétion- naire, et s’inscrit maintenant entié€re- ment dans le cadre de l’exercice budgétaire fédéral. La nouvelle logique place aussi les provinces dans un jeu aÌ€ somme nulle, ouÌ€ le gain de l’une est nécessairement la perte de l’autre. Ce n’est pas pour rien que le premier ministre parle d’une réforme sans précé- dent dans l’histoire du programme.

L’opération commencée par Paul Martin avec l’élimination en 1995 du Régime d’assistance publique du Canada (RAPC) est donc complé€te. Tous les grands transferts fédéraux aux provinces sont devenus des programmes de dépenses ordinaires, discrétionnaires.

Jean Charest a bien rai- son de dire que le fédéra- lisme canadien continue d’évoluer. Comme le gou- vernement d’un pays uni- taire, Ottawa peut maintenant dépenser aÌ€ sa guise, en affectant ses revenus en rapi- de progression aÌ€ ses propres pro- grammes, aÌ€ la péréquation, aÌ€ des transferts conditionnels, ou aÌ€ toute autre initiative qu’il souhaite justifier en invoquant un présumé « pouvoir fédéral de dépenser ».

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License