La présente année de célébration de la fondation de Québec par Samuel de Champlain, un Français partie de Brouage au tournant du XVIIsiècle, force la réflexion sur ce que nous sommes en tant que Québécois et sur ce que nous voulons être. Le 400anniversaire de Québec évoque ces représentations plus ou moins conscientes de notre rapport à l’autre, constitutives de ce que nous sommes. Au cours de cette année de célébrations, le XIIe Sommet de la Francophonie réunissant les chefs d’État et de gouvernement des pays ayant en partage la langue française se tiendra à Québec. L’imaginaire qui accompagne l’appartenance à la Francophonie nous inscrit aussi dans un rapport à l’autre.

Car le rapport d’altérité qui nous constitue en tant que Québécois comprend déjà plusieurs « autres ». Il y a en nous, dans notre mémoire et dans nos rapports imaginaires, d’abord la présence du Français, du Nord-Américain, de l’Anglais et de l’Autochtone, sans parler des références identitaires aux Irlandais, aux Écossais, aux Bretons, par exemple, qui sont aussi implicitement présentes dans l’imaginaire lointain de nombreux Québécois. Puis, un nouvel imaginaire québécois en formation se complexifie par référence latente aux origines étrangères d’autant de nouveaux Québécois. Ce qui nous intéresse ici est le rapport des Québécois à l’imaginaire de fondation du Québec actuel, socle sur lequel s’érige une société qui se diversifie.

La francophonie institutionnelle a été associée de façon voulue et concertée à l’affirmation de la diversité linguistique, au multilinguisme à l’échelle du monde.

Mais le Français est non seulement l’ancêtre de ce que nous sommes en tant que « parlant français », il est aussi à l’origine de l’existence des « francophones » à l’échelle de plusieurs continents. Des francophones qui ont voulu ensuite accompagner les représentations de leurs liens à la langue française d’un principe d’affirmation de la diversité linguistique en valorisant la promotion de la diversité des langues et des cultures. La francophonie institutionnelle a été associée de façon voulue et concertée à l’affirmation de la diversité linguistique, au multilinguisme à l’échelle du monde. La présence de francophones vivant sur plusieurs continents et parlant d’autres langues a donc introduit au sein des organisations francophones la défense et la promotion de cette diversité linguistique. L’ancien secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Boutros Boutros-Ghali, a dit à ce propos, lors de la cérémonie de remise du doctorat honoris causa que lui décernait l’Université d’Ottawa, le 13 juillet 2001 : « Défendre la langue française, c’est défendre le plurilinguisme. » On a voulu ainsi affirmer un principe qui est au fondement de la démocratie, c’est-à-dire la reconnaissance de la pluralité des identités. Une récente enquête menée par le politologue Guy Lachapelle révèle d’ailleurs que la proportion de Québécois pour qui « l’idée selon laquelle la mondialisation de l’économie représente une menace à la diversité culturelle est passée en 10 ans de 26 p. 100 à 46 p. 100 ». La mondialisation fonde la quête de nouvelles aires d’appartenance.

C’est dans ce contexte de changements sociaux et culturels qu’il nous paraît important en débutant de camper quelques-uns des traits du rapport entre le Québec d’aujourd’hui et celui d’hier, dont on célèbre cette année la fondation. Le texte qui suit rappellera d’abord certains traits du sujet francophone que forme la société québécoise. Établir ce qu’est et ce que signifie pour le Québec son appartenance à une référence francophone permettra ensuite de jeter un bref regard sur l’espace imaginaire actuel de la Francophonie en tant qu’ensemble d’institutions et de sociétés civiles formant une communauté qui partage des espoirs de plus grande démocratie et qui donne à la reconnaissance de la diversité culturelle une place centrale dans la fondation d’un monde nouveau. Cet état des lieux permettra ensuite d’esquisser les conditions qui permettent à la Francophonie de passer du statut d’aire linguistique à celui d’union géoculturelle, puis à celui de pôle géostratégique au plein sens du terme.

Indépendamment des querelles qui existent autour de la pertinence ou non d’avoir élargi la principale institution de défense de la langue française, l’Organisation internationale de la francophonie, à des pays dont cette langue n’est pas la principale, le simple fait d’associer la langue française à un principe de diversité des langues est un enjeu philosophique de première importance. Le Québécois s’y retrouve, lui qui se définit dans un rapport à l’autre établi d’abord avec le Français puis, ensuite, avec l’Anglais. Cette seconde altérité, confrontation à l’Anglais, sera la matrice d’un rapport à la fois de conflit et de coexistence plus ou moins pacifique selon les moments. Ainsi, le rapport à l’autre deviendra aussi bien défensif ou affirmatif que conquérant. Chaque peuple fabrique alors sa propre histoire à travers sa langue première et l’interface de celle-ci avec d’autres langues.

L’histoire du Québec a d’abord été marquée par une relation fondatrice à une société française. Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’imaginaire linguistique qui a précédé le Québec actuel, la langue française a été celle de la grande majorité des résidents en sol québécois. En 1812, le Bas-Canada comptait 225 000 habitants et le Haut-Canada, seulement 75 000. En 1824, soit peu avant les rébellions de 1837, le Haut-Canada ne réunissait que 157 000 habitants d’origine anglaise, et le Bas-Canada avait une population deux fois plus importante avec 430 000 habitants, principalement d’origine française. En 1841, le Haut-Canada comptait 470 000 habitants et le Bas-Canada, 630 000.

Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’imaginaire linguistique qui a précédé le Québec actuel, la langue française a été celle de la grande majorité des résidents en sol québécois.

Le rapport à la langue française a donc été complexe dès les origines et ce, pour deux raisons. La première veut que ceux qui l’ont apportée ici soient ensuite repartis vers la terre d’origine, la France. Comme le rapporte l’historien Firmin Roz, au moment de la conquête, « officiers, magistrats, fonctionnaires de tout ordre sont rentrés en France avec les troupes vaincues. […] Ces 65 000 Français se résignent — il le faut bien — à leur nouvelle condition de sujets britanniques. […] Ils continuent à parler leur langue et à pratiquer leur culte […]. » Ils laissent ainsi le peuple fondateur de la Nouvelle-France avec une langue héritée, reçue, mais une langue qu’il fallait aussi construire, renforcer, car elle était confrontée à la langue de l’autre, l’anglais.

Ensuite, la langue de l’occupant qui allait devenir conquérant, puis tenter d’être assimilateur, pour finir par se contenter d’être un voisin récalcitrant, marquera le rapport des Québécois à la langue française de manière divisée. Car le français est à la fois la langue officielle du Québec et une langue qui est amenée à affirmer sa légitimité contre celle de l’autre. C’est sans doute ce qui a rendu nécessaire son appropriation sans concession par la volonté intransigeante de ses locuteurs de résister à tout emprunt à l’anglais les portant à créer de nombreux néologismes qui ont ensuite été adoptés et reconnus comme appartenant à la langue française.

En 1896, un éminent essayiste québécois, Edmond de Nevers, avait déjà anticipé cet état de fait quand il écrivit, dans L’avenir du peuple canadien-français, « toute langue qui se détache, dans ces circonstances, de l’un des grands idiomes littéraires du monde peut difficilement réussir à être autre chose qu’un patois. Non seulement nous devons proscrire l’anglicisme, mais nous sommes tenus d’être plus puristes que les Français de France eux-mêmes. » Et, ajoute-t-il, « si encore cette introduction de termes barbares pouvait avoir pour effet d’établir, entre nos compatriotes anglais et nous, une concorde, une harmonie plus parfaite ; si elle pouvait être considérée comme une gracieuseté à leur adresse, l’anglicisme aurait une excuse. Mais il n’en est rien, et les Anglais ne nous savent aucun gré de ces concessions. »

De Nevers a vu avec clarté et lucidité le double processus qui était en cours : une résistance combative, légitime et vive face à l’anglais en même temps que la conscience des dangers de perte identitaire représentés par cette langue. Mais au fil du temps, au-delà des balises institutionnelles que le Québec a su se donner, les rapports de force réels entre ces deux langues ont partiellement érodé la langue première, envers et contre tous les efforts de résistance tentés par les Québécois francophones. L’affirmation du français est une lutte de tous les instants.

L’affirmation du français est une lutte de tous les instants.

Outre le fait d’être la langue fondatrice du peuple québécois, le français est donc en même temps une langue qui l’insère dans un conflit latent avec le conquérant, l’Anglais, puis l’Américain. L’histoire montre que dans toutes les régions du Québec s’est trouvée par le passé une couche sociale anglophone, la plupart du temps en position de pouvoir et de domination. Prenant parfois la forme de luttes de pouvoir ou de résistance à la volonté d’assimilation britannique, comme l’ont bien illustré les rébellions de 1837, les rapports entre francophones et anglophones ont aussi reflété à l’échelle du Québec des conflits internationaux virulents. La lutte entre deux empires, la France et l’Angleterre, qui s’est accentuée au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, soit peu après la fondation de Québec, a marqué jusqu’aux XIXe et XXe siècles la mémoire historique des Français et des Anglais, leur laissant le goût amer du conflit avec l’opposant.

Il aura fallu la présente conjoncture de fragilisation de la domination de l’Occident, déclenchée par les événements du 11 septembre 2001 et accentuée par la guerre contre l’Irak, pour que soit favorisé un rapprochement encore plus manifeste de la puissance anglophone, c’est-à-dire entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, puis entre le Canada et les États-Unis. Enfin, en mars 2008, la volonté d’ajustement de la politique étrangère de la France envers l’axe américain, exprimée par le nouveau président français, Nicolas Sarkozy, a suscité aussi un rapprochement entre la France et l’Angleterre.

Tous ces mouvements stratégiques se montrent comme autant de symboles dans les processus d’alignement au sein de l’Occident sous la gouverne de l’anglais. Le Québec n’est pas une île. Comme les langues sont l’expression du pouvoir des peuples et, à partir d’eux, des États, les rapports entre les langues traversent les espaces identitaires de façon interne en même temps que pèse sur chaque cadre national le poids externe de la concurrence entre les langues à l’échelle du monde.

Le français est pour le Québec une langue d’affirmation identitaire et le rempart imaginaire d’un espace assiégé par l’anglais qui a depuis longtemps pénétré l’enceinte que les institutions ont pour vocation de protéger. À cause de la situation géographique emblématique du Québec à côté de « la cité sur la colline », selon l’expression utilisée par un des fondateurs des États-Unis, John Winthrop, gouverneur du Massachusetts, pour désigner l’Amérique, la langue française y est le symbole d’une identité fabriquée dans des rapports d’altérité divisés.

Les Québécois ont donc plusieurs raisons de s’intéresser au monde francophone. Premier foyer originaire, rayonnement d’une langue que se sont appropriés de nombreux peuples afin d’acquérir une autonomie postcoloniale, appartenance à une aire linguistique estimée à environ 200 millions de locuteurs dans le monde et reconnue parmi les six langues officielles à l’ONU, symbole affirmé de la diversité, la promotion de la langue française s’inscrit au cœur même des relations de pouvoir qui dessinent la carte du monde. C’est dans ce contexte que l’examen attentif de la capacité de la Francophonie de se constituer en puissance symbolique mérite d’être entrepris.

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Au cours de sa formation, la Francophonie a traversé des étapes plus ou moins émancipatrices. On notera trois périodes depuis les origines : tout d’abord celle du premier empire français liquidé en 1760 et dont la Nouvelle-France a été le dernier avatar ; la seconde phase est celle de l’expansion coloniale du début du XIXe siècle et correspond à la croissance démographique de la Francophonie ; la troisième période, découlant de la précédente, a été marquée par la volonté d’affranchissement de la tutelle de la métropole et par le souci d’affirmation de cultures nouvelles réunissant les cultures premières et les héritages de la culture française. C’est elle qui a vu naître le premier Sommet des chefs d’État et de gouvernement, tenu en 1986. On s’attend à ce qu’une nouvelle étape soit franchie à la suite de la XIIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage, appelée « Sommet de la Francophonie », qui se tiendra à Québec les 17 et 18 octobre 2008 et devant être marquée par une véritable relance d’intérêts communs.

Malgré son élan, quelques obstacles ont été rencontrés au cours de la construction de l’ensemble institutionnel francophone, et ceux-ci n’ont rien d’inhérent aux acteurs ni aux objectifs poursuivis. Ces difficultés traduisent surtout les conditions normales d’implantation d’une formation interétatique. Cependant, quelques-unes des limites rencontrées méritent d’être identifiées dans la mesure où elles pourraient, si elles n’étaient pas surmontées, constituer un frein au développement de ce que l’ancien président de l’Association des universités partiellement et entièrement de langue française, Michel Guillou, n’hésite pas à appeler « une réalité géopolitique à part entière ».

La principale difficulté de la Francophonie est sa résistance à créer un imaginaire francophone commun. Certes, la place centrale occupée par la France explique partiellement ce malaise facilement identifiable : rayonnement culturel exponentiel de la France, monopole du marché des biens culturels en français, rivalité avec l’espace européen qui dicte à la France ses priorités, etc. Les inégalités éprouvées de la part de plusieurs partenaires, tant sur le plan culturel (diffusion du livre francophone, reconnaissance, etc.) qu’économique mais aussi sur les plans du financement et du rayonnement, ont institué la Francophonie dans un relatif état d’éclatement. Les peuples membres de la Francophonie ont besoin d’un imaginaire de rattachement. Quoique de cultures, de religions diverses, il leur faut éprouver entre eux et avec la France une appartenance commune à des enjeux dont ils imaginent partager en même temps avec les autres peuples les progrès et le dénouement.

Comme conséquence de ce premier obstacle à leur reconnaissance mutuelle dans un projet commun, on note un déficit de visibilité des enjeux partagés par les francophones dans un espace public mondialisé. Il ne fait pas de doute que les dirigeants des États et des gouvernements des pays ayant en commun l’usage de la langue française devront faire face à d’importantes pressions de l’opinion avant de se rallier à des missions politiques véritablement mobilisatrices. Pourtant, l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est un exemple de réussite de ce genre d’action.

Le potentiel d’influence de la Francophonie à l’échelle internationale est le premier levier sur lequel s’appuyer dans la construction progressive d’un imaginaire commun permettant aux francophones de se reconnaître dans ce groupe d’appartenance. Alors, se rassembler autour de quoi ou comment élaborer un pôle d’influence ? La création d’une symbolique propre doit être pensée sans tarder. Les outils concrets nécessaires à la création d’une telle symbolique (par exemple, création de médias critiques adressés à la communauté des élites francophones et diffusés sur une vaste échelle, formation d’un forum des sociétés civiles de la Francophonie) devraient être mis en place pour servir un tel objectif. Il appartient aux acteurs de choisir ces moyens ; mais il faut d’abord en mesurer la nécessité.

La Francophonie devrait aussi chercher à susciter la formation d’une opinion publique francophone.

La Francophonie devrait aussi chercher à susciter la formation d’une opinion publique francophone. Une organisation de cette ampleur qui veut se tailler une place sur une scène internationale marquée par la domination d’une langue principale associée à l’hégémonie de l’Angleterre au XIXe siècle puis des États-Unis aux XXe et XXIe siècles doit, sans nuire à ses liens d’alliance dans la défense des valeurs de liberté et d’égalité, être réunie autour d’enjeux qui frappent l’imaginaire des peuples et des citoyens qui la composent, et les mobilisent. Car si ce sont les États qui décident, ce sont les citoyens qui sont au fondement de toute véritable politique de changement. Jusqu’à encore tout récemment, on aurait cherché en vain une opinion publique francophone qui se serait élevée sur l’un ou l’autre des sujets d’urgence mondiale. Pas d’opinion publique francophone, pas d’indice de l’existence d’une communauté francophone de ralliement, sauf celle qui réunit les représentants des États et des organisations francophones et celle qui est supposée exister parce qu’elle est comptabilisée par les statistiques en tant que population francophone.

Pourtant, à titre d’exemple, les opinions publiques européennes ont fait preuve de nettes convergences partageant une inquiétude manifeste à l’endroit de la gouverne mondiale des États-Unis depuis 2001. Plusieurs experts ont observé et analysé les différences entre les propositions américaines et européennes à l’égard de nombreux enjeux internationaux tels le rôle des instances multilatérales, les politiques de sécurité, la défense antimissiles, le nucléaire iranien, etc. Ces études ont permis de dégager d’étonnantes sensibilités communes entre l’opinion publique québécoise et l’opinion publique européenne, révélées tout particulièrement à l’occasion de la guerre contre l’Irak. Mais où se situe l’opinion publique des francophones entre celles de l’Europe et des États-Unis ?

Malgré ces déficits de communication, on pourrait dire, sans trop exagérer, que le Québec condense ce qui caractérise de multiples manières ailleurs dans le monde, sauf en France, le statut du français et, par conséquent, le combat affirmatif des francophones. La France, à travers le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, a évité jusqu’à récemment de reconnaître officiellement la cohabitation des langues régionales en s’opposant à la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Or, le 22 mai 2008, l’Assemblée nationale a adopté presque unanimement un vote conduisant à inscrire dans la Constitution que les langues régionales font partie du patrimoine de la France. Ce geste que certains jugent « porteur de communautarisme » (quoiqu’il ait été rejeté par le Sénat) pourrait en effet introduire une plus grande conscience de l’importance de la langue nationale, le français.

La France contemporaine n’est pas confrontée à la dualité interne des langues et reconnaîtra plus vivement la nécessité du combat linguistique. Sans approuver la trop grande assurance des Français devant l’anglais, fruit d’une longue autarcie, on ne peut ignorer le statut exceptionnel de la France vis-à-vis des peuples francophones, source de richesses matérielles et immatérielles. La France doit se percevoir comme une des composantes de la Francophonie. Car si la France représente à la fois un axe central dans le développement de la Francophonie, elle demeure encore aux yeux de nombreux francophones une limite symbolique à la reconnaissance souhaitée.

Les peuples ayant en commun la langue française ont besoin de partager avec la France leur volonté d’affirmer l’usage du français. Et c’est ensemble, Français, Francophones et francophiles (ces trois catégories sont séparées ici afin de faire ressortir la démarcation entre ces groupes souvent pratiquée par les Français eux-mêmes), qu’ils devront franchir la nouvelle étape que sanctionnera le Sommet de la Francophonie, à Québec, en octobre 2008. Ce qui n’a pas empêché le stratège de la Francophonie, Michel Guillou, d’affirmer, à l’occasion d’un colloque sur la « troisième Francophonie » organisé par le CÉRIUM en janvier dernier : « La pérennité de la France et du Québec dans les prochaines décennies me semble liée à l’existence ou non d’une Francophonie forte, influente et attractive. »

Pour consolider sa spécificité et sa puissance, la France a besoin de la Francophonie tout autant que le Québec a besoin d’une Francophonie irriguée par la France. Dans cet esprit, la création, dans le cadre du CÉRIUM, du centre de recherche appelé Réseau francophonie, sous la responsabilité de l’ancienne ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin, augure une ère nouvelle, donnant à cet enjeu la visibilité souhaitée. La recherche qui l’accompagnera, portant tout particulièrement sur la construction de ce nouvel objet de la théorie des relations internationales que constituent les aires linguistiques, est directement liée à la question de la formation d’un imaginaire francophone et de la symbolique internationale souhaitée.

Lors de ce colloque, Michel Guillou, maintenant directeur de la Chaire Senghor de la Francophonie à l’Université Jean-Moulin de Lyon, est allé plus loin en précisant ce que signifie « une Francophonie forte, influente et attractive » :

La culture devient aux côtés du politique et de l’économique un pilier de la mondialisation et s’assoit comme acteur incontournable à la table des relations internationales. Les espaces voués au troisième dialogue — celui des cultures — prennent de ce fait une importance géopolitique toute particulière. Ils sont les antidotes pacifiques à la guerre des civilisations qui s’amorce et qu’attestent le terrorisme et la montée des fondamentalismes. Les grandes aires linguistiques font naturellement partie de ces espaces. Elles constituent, lorsqu’elles s’organisent, des unions géoculturelles. La Francophonie appartient à cette typologie. Elle est l’union géoculturelle de langue française. […] Il faut l’envisager comme une réalité géopolitique à part entière.

Au moment de célébrer le 400e anniversaire de la fondation de Québec, première ville française en Amérique, les conditions semblent en effet réunies pour que la Francophonie fasse siennes les attentes des peuples et des citoyens en quête d’un leadership mondial plus sensible à l’injustice, à la recherche d’égalité et de paix dans le respect des identités culturelles. Un engagement audacieux, capable de dépasser la routine des discours interétatiques habituels, serait seul susceptible de conduire à la formation d’une véritable opinion publique francophone.

Dans cet esprit, le rôle de TV5, depuis sa création en 1984, et de TV5Monde, depuis 2007, et la conservation d’un statut francophone international en 2008 doivent être salués et fournir l’occasion d’en repenser le rôle critique dans une conjoncture internationale où une recomposition des équilibres s’impose. Une part plus sensible des productions internationales de cette chaîne pourrait donc être consacrée à des échanges destinés aux élites francophones, constituant ainsi un volet ayant une vocation de formation critique. De plus, le Québec pourrait s’associer à la création d’un vaste forum des sociétés civiles de la Francophonie. Car l’émergence d’un imaginaire favorisant la reconnaissance mutuelle des francophones, l’appartenance à un mouvement transnational de promotion de valeurs démocratiques affirmées autour du français et de la diversité linguistique sont autant de conditions dans la construction d’une union géoculturelle de langue française susceptible de représenter dans un futur proche une véritable réalitéopolitique. Dans un tel contexte, le Québec prolongera sa fondation historique en français en l’enrichissant de nouvelles réciprocités.

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