En 2009, le taux d’emploi des femmes en âge d’avoir des enfants était de 78,8 p. 100 au Québec, en hausse de 7,4 points de pourcentage par rapport à l’an 2000. Pendant les mêmes années, ce taux d’emploi progressait peu dans le reste du Canada, et il est maintenant inférieur à celui du Québec (76,7 p. 100).

Si la croissance du taux d’emploi des femmes de ce groupe d’âge avait simplement progressé au rythme canadien entre 2000 et 2009, le Québec aurait compté 92 000 femmes de moins sur le marché du travail en 2009 et, pour cette seule année, il se serait privé d’environ 3 milliards de dollars en revenus de travail.

Selon Claude A. Garcia, de l’Institut économique de Montréal — que l’on ne peut soupçonner d’être un défenseur aveugle du modèle québécois —, ce progrès dans le taux d’emploi des femmes s’explique principalement par la nouvelle politique familiale du Québec, et notamment par le développement des services de garde et l’introduction du Régime québécois d’assurance parentale.

Ce nouveau modèle québécois est d’ailleurs en phase avec ce que plusieurs voient comme l’État-providence du XXIe siècle, un État qui sait reconnaître à la fois la volonté d’autonomie professionnelle des femmes et leur désir d’avoir des enfants. Alors même que le taux d’emploi des femmes augmentait au Québec, la natalité montait aussi.

Mais il n’est pas facile d’avancer quand on rame à contre-courant. Le gouvernement fédéral, en effet, n’a jamais vraiment ajusté le régime fiscal pour tenir compte de la politique familiale du Québec. Collectivement, par exemple, les Québécois perdent 320 millions de dollars par année en crédits d’impôt fédéral pour des frais de garde qu’ils ne peuvent réclamer puisqu’ils ont fait le choix d’avoir des services de garde subventionnés.

De la même façon, la Prestation universelle pour la garde d’enfants introduite par le gouvernement Harper en 2006 — un transfert sans lien avec la garde des enfants — apparaît presque inutile. Simple transfert vers les familles, cette prestation n’est liée ni à la mise en place de bons services de garde, ni à une approche cohérente de la conciliation travail-famille.

Mais les conservateurs voudraient aller plus loin dans la même direction. Ils se sont en effet engagés à permettre aux familles de fractionner leur revenu afin notamment de réduire les impôts des ménages où un seul parent travaille.

A priori, une telle réforme semble équitable puisqu’elle ramènerait les impôts d’un ménage disposant d’un seul revenu au niveau de ceux d’un autre obtenant le même revenu avec deux salaires. Les partis d’opposition n’ont d’ailleurs rien trouvé à redire, si ce n’est de reprocher aux conservateurs de reporter à plus tard la mise en œuvre de cette mesure.

Mais en fiscalité, rien n’est jamais simple. D’abord, bien sûr, cette « baisse d’impôt pour les familles » n’offre rien aux familles monoparentales, qui constituent tout de même le quart des familles québécoises (27,8 p. 100 en 2006). Ensuite, la réforme ne touche qu’à la marge les familles où les deux parents ont des revenus de travail.

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Au Québec, en 2006, 70,3 p. 100 des couples ayant des enfants de moins de 18 ans étaient dans cette situation. En théorie, ces ménages pourraient profiter du fractionnement si les revenus des parents étaient différents. Mais, la plupart du temps, les couples unissent des personnes dont les revenus (et bien d’autres traits) se ressemblent. En sociologie, on parle d’homogamie pour décrire cette réalité. Ainsi, dans la moitié des familles du Québec, les conjoints sont carrément dans la même tranche de revenu.

Dans l’autre moitié, ils sont presque toujours dans des tranches rapprochées. Les contrastes importants entre les revenus dans un couple, notent les auteurs de l’édition 2011 du Portrait statistique des familles au Québec, « demeurent marginaux ».

En somme, pour l’essentiel, le fractionnement du revenu proposé par les conservateurs ne concerne que les ménages avec enfants dont un seul conjoint touche un revenu, soit 18,7 p. 100 des familles biparentales. Pour ces ménages, les gains pourraient être substantiels, surtout si leur revenu est élevé.

C’est donc une prime en faveur des familles traditionnelles aisées que proposent les conservateurs, une forme de redistribution vers les plus riches qui réduit les revenus de l’État sans contribuer ni à la justice, ni à l’équité. Indirectement, la réforme proposée introduirait aussi une taxe sur l’emploi des femmes, puisque le plus faible des deux revenus d’une famille, habituellement celui de la femme, deviendrait effectivement imposé au taux marginal du revenu le plus élevé.

En Allemagne, l’un des rares pays où les revenus des ménages sont fractionnés, les femmes travaillent moins. Et elles ont aussi moins d’enfants.

Cette mesure de redistribution à l’envers, qui décourage le travail salarié, représente un recul net pour les femmes et un facteur d’appauvrissement pour l’ensemble de la société.

Pendant la campagne électorale, Stephen Harper a accusé ses adversaires de vouloir ramener les familles canadiennes en arrière. En fait, en ce qui concerne les familles, personne ne propose de reculer autant que le Parti conservateur. Taxer davantage le travail des femmes, c’est tout sauf une idée d’avenir.

Photo: Shutterstock

Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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