Le Canada se porte très bien en ce moment. Les Canadiens n’ont plus rien à envier aux Américains en ce qui touche au patriotisme. La fibre canadienne vibre comme jamais. Et pourtant, un très grand nombre de Québécois ont encore du mal à s’identifier au Canada. Et c’est sans compter la question autochtone, qui demeure non résolue pour l’essentiel. L’union canadienne reste donc éminemment perfectible. De fait, 30 ans après le rapatriement de la Constitution, beaucoup reste à faire pour solidifier le lien canadien et pour faire du Canada, du moins émotive- ment, le pays de tous les Canadiens.
Malgré ses imperfections, notre fédération se présente aujourd’hui comme un vaste laboratoire où s’expérimente jour après jour la cohabitation de langues, de cultures et de mentalités différentes. L’expérience canadienne est valable en elle-mé‚me. Elle repose sur une identité unique, nourrie par des symboles que partagent l’ensemble des Canadiens, y compris de nombreux Québécois.
En tant que fédéraliste provenant du Québec, je ne vois rien d’incompatible dans le fait d’é‚tre à la fois Québécois et Canadien. En ce qui me concerne, je res- sens fortement cette double appartenance et j’en suis fier. Mon identité canadienne est une valeur ajoutée à mon identité québécoise.
Bien que le Canada soit indéniablement un pays fort et viable, il lui reste un bon nombre de défis à relever. Parmi ceuxci, je note la reconnaissance de l’identité profonde du Québec, l’accroissement du rôle international des provinces, la flexibilité dans l’aménagement des rapports fédératifs, la consolidation du bilinguisme et la réforme des institutions centrales.
La Chambre des communes du Canada a reconnu en novembre 2006 que les Québécois formaient une nation au sein d’un Canada uni. Les caractéristiques nationales du Québec tiennent à la langue, la culture et l’histoire, au territoire, aux institutions politiques, au modèle de développement social et économique et au régime juridique. Tout cela distingue nettement le Québec de toute autre société en Amérique du Nord.
Le caractère national du Québec n’est pas toujours ap- précié à son juste mérite au Canada. Cela est fort regrettable puisque l’identité québécoise forme, à mon avis, une grande valeur canadienne. Tant que cette réalité que constitue la nation québécoise ne sera pas franchement et formellement reconnue dans ce pays, espérer que le séparatisme québécois s’éteigne tient de la pensée magique.
« Reconnaître franchement et formellement », cela si- gnifie non seulement que la Constitution prenne acte du caractère national du Québec, mais aussi que les tribunaux interprètent nos textes constitutionnels en tenant compte de cette réalité. Cela n’a pas pour but de faire des Québécois des ci- toyens supérieurs, mais seulement de mieux intégrer la spécificité québécoise dans l’identité canadienne elle-mé‚me, c’est-à-dire de mettre la première au profit de la seconde.
Le fait qu’il existe une nation qué- bécoise n’enlève absolument rien au fait qu’il existe également une nation canadienne, cette dernière comportant ses propres caractéristiques et possé- dant sa propre physionomie. Si elle le souhaite, la nation canadienne pour- ra en venir à englober la nation qué- bécoise, à la transcender. Mais encore faut-il, pour ce faire, qu’elle l’inclue pleinement et qu’elle lui permette de s’épanouir en son sein.
Le grand historien, philo- sophe et écrivain Ernest Renan disait jadis de la nation qu’elle était
un plébiscite de tous les jours. Je souscris à cette thèse voulant qu’une nation, quelle qu’elle soit, se fonde sur un vouloir-vivre col- lectif maintes fois réaffirmé et re- nouvelé. Voilà pourquoi je préfère que les Québécois adhèrent volon- tairement au fédéralisme canadien plutôt qu’ils y soient maintenus contre leur gré, comme le suggère malheu- reusement le « fameux » plan B mis de l’avant par Ottawa il y a quelques années. En d’autres mots, je préfère présenter le Canada aux Québécois comme la meilleure option plutôt que comme la seule.
La Constitution canadienne est muette en ce qui touche la com- pétence en matière de relations exté- rieures, si ce n’est l’article 132 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui concerne les obligations naissant de traités conclus entre l’Empire britannique et les États étrangers.
En 1937, le Comité judiciaire du Conseil privé a jugé que la mise en œuvre des traités internationaux rele- vait des provinces dans la mesure où des compétences provinciales étaient en cause. Le Conseil privé nes’est toute fois pas prononce Ìsur la question de savoir qui avait compétence pour conclure les traités.
C’est donc sur la base du flou entourant le rôle des ordres de gouvernement fédéral et provin- cial en matière de relations exté- rieures que le Québec, entre autres provinces, s’est affirmé depuis 50 ans sur la scène internationale, au point de posséder maintenant 26 bureaux à l’étranger, allant de la délégation générale à la simple antenne.
Bien que la plupart des provinces soient déjà actives sur le plan interna- tional, il serait important que le gou- vernement canadien implique davan- tage le Québec et les autres provinces dans le processus de négociation des traités internationaux " puisque de toute façon ce sont eux qui, en bout de piste, devront les mettre en œuvre dans leurs champs de compétence " et qu’il leur permette de s’exprimer de leur propre voix dans certains forums internationaux où sont discutées des questions relevant d’eux. Déjà, l’en- tente Ottawa-Québec sur l’UNESCO de 2006, qui prévoit la représentation du Québec dans la délégation canadienne et son droit de parole au sein de l’in- stitution en question, constitue un excellent exemple de la collaboration fédérale-provinciale qui est possible et souhaitable en matière de relations internationales.
Certes, le Canada doit parler au monde entier avec cohérence, mais il n’y a aucune raison pour que cette voix soit portée exclusivement par le gouver- nement canadien. Après tout, le Canada, entant qu’État fédéral, est composé de deuxordresdegouvernement.
En 1867, la formule fédérale se révélait la mieux adaptée à un futur paysconstitué de deux peuples fondateurs et présentant une géographie aussi vaste que variée. La diversité des futures composantes du Canada a condition- né le choix du fédéralisme aux dépens du modèle unitaire. Aujourd’hui, bon nombre de Canadiens reconnaissent d’emblée que la diversité canadienne s’avère une richesse, qui doit é‚tre valori- sée comme telle. Accommoder la diver- sité demande toutefois de la flexibilité et de la créativité. Cela passe notam- ment par une certaine asymétrie dans la structure et les pratiques fédératives.
Pratiqué ponctuellement de ma- nière officielle ou non depuis 1867, le fédéralisme asymétrique permet à chaque composante " et pas seu- lement au Québec " de faire va- loir son autonomie avec origina- lité. Pour des raisons évidentes, le Québec voit dans cette formule un avantage pour assurer la préserva- tion de son unicité dans le contexte canadien.
Je ne plaide toutefois pas ici pour une asymétrie à tous crins. Au contraire, j’admets que l’asymétrie doit dans certains cas céder le pas devant les exigences de la cohésion du pays. En d’autres mots, l’asymétrie ne doit pas é‚tre d’une ampleur telle qu’elle en vienne à menacer le maintien du lien fédératif. Après tout, ne l’oublions pas, le fédéra- lisme est non seulement fait de décentra- lisation, mais il est aussi fait d’un partage de richesses, de principes, de projets et d’idéaux entre les citoyens d’un mé‚me pays.
En tant que telle, l’asymétrie ne doit pasdevenirl’ennemiedufédéralisme.Elle doit plutôt é‚tre vue comme un moyen de favoriser la souplesse dans l’aménage- ment des rapports fédératifs. Comme je l’ai dit ci-dessus, cette asymétrie doit de- meurer conciliable avec le maintien du lien fédéral et l’unité du pays.
Appartenir à un pays comme le Canada, cela requiert de chaque ci- toyen qu’il développe une conscience de l’ensemble dont il fait partie. Ce n’est pas seulement tenir compte de ses intéré‚ts personnels, locaux ou pro- vinciaux, mais c’est aussi tenir compte des intéré‚ts canadiens à proprement parler, de mé‚me que de ceux de ses concitoyens. J’invite tous les Québécois à s’engager dans ce type de réflexion, à la fois tournée vers le Québec et le Canada.
Le Canada est officiellement bilingue depuis 1969, année de l’adoption de la Loi sur les langues officielles. En 1982, ce bilinguisme a été « enchâssé » dans la Constitution, aux articles 16 à 20 de la Charte canadienne des droits et libertés. Parmi ces dernières dispositions, le para- graphe 16(3) encourage le fédéral et les provinces à favoriser l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles du Canada. Cet objectif est primordial. Il trouve sa source dans le compromis de 1867 lui-mé‚me et confirme l’enracine- ment du bilinguisme dans l’identité du Canada contemporain.
Le bilinguisme est et doit demeurer l’une des pierres d’assise de notre pays.
Il nous donne accès à deux univers dis- tincts, à deux grandes civilisations. À l’instar de la spécificité québécoise, du pluralisme canadien et de la présence autochtone, le bilinguisme définit ce pays et en constitue un atout indéniable.
Nombreux sont les Canadiens qui comprennent l’importance du bilin- guisme pour le pays. À preuve, les écoles d’immersion sont pleines à craquer de ces jeunes élèves qui associent l’appren- tissage du français avec la réussite so- ciale. Malheureusement, ce ne sont pas tous les Canadiens qui pensent comme cela. Certains remettent en question l’existence mé‚me du bilinguisme, parce qu’ils en ignorent les racines histo- riques et la reconnaissance constitu- tionnelle. Voilà pourquoi il me semble nécessaire ici d’en rappeler le bien- fondé. Bien sûr, cela vaut notamment pour les plus hautes fonctions fédérales.
Il y a lieu de souligner au pas- sage l’important soutien qu’apporte le gouvernement fédéral à la culture québécoise et à la langue française au Canada par le truchement d’ins- titutions telles que Radio-Canada et l’Office national du film. Ce soutien ne se mesure d’ailleurs pas qu’en termes financiers. De plus, le fédéral utilise son influence en faveur de la langue française dans les instances internationales où il est présent. Voilà des avantages très nets pour les Québécois qui découlent du maintien du lien canadien.
N’oublions surtout pas qu’une langue française vigoureuse, en santé et parlée partout au Canada est une condition fondamentale de la préser- vation d’une personnalité canadienne distincte du voisin américain.
Le Sénat canadien devait à l’origine é‚tre une Chambre des régions, c’est- à-dire un forum où les intéré‚ts provin- ciaux seraient défendus avec vigueur. L’idée était de permettre aux grandes régions canadiennes, soit le Québec, l’Ontario, l’Atlantique, puis l’Ouest et les trois territoires, d’avoir leur mot à dire en ce qui touche l’adoption des lois fédérales. Finalement, le Sénat n’a jamais pu jouer ce rôle auquel il était destiné puisque les sénateurs sont nom- més exclusivement par Ottawa plutôt que par les provinces elles-mé‚mes, en fonction d’allégeances ou de relations fédérales.
Quant à la Cour supré‚me du Canada, les juges sont nommés là encore exclusivement par le gou- vernement canadien, à la suite d’un processus de sélection dans lequel les provinces ne sont pratiquement pas impliquées. Pourtant, c’est cette Cour qui est l’arbitre ultime en matière constitutionnelle au Canada. Le fait que les provinces n’aient aucun rôle à jouer en ce qui concerne la nomina- tion des juges à ce tribunal constitue vraisemblablement une anomalie au regard du principe fédératif, lequel postule la souveraineté des provinces dans leurs champs de compétence tout autant que la souveraineté du fédéral dans les siens.
Le Canada est en ce moment l’une des fédérations dans le monde où les mécanismes officiels de collaboration intergouvernementale sont les moins perfectionnés. De surcroît, les provinces canadiennes sont carrément absentes des institutions fédérales, et elles n’ont qu’une fonction bien secondaire à jouer dans les grandes décisions pancana- diennnes. C’est notamment pour pallier cet état de fait que j’estime qu’il serait opportun que les provinces soient par- ties prenantes au processus de sélection des sénateurs de mé‚me que des juges de la Cour supré‚me du Canada. Cela pour- rait bien sûr se faire par une modification constitutionnelle formelle, accomplie en vertu de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Mais cela pourrait aussi emprunter une voie non constitution- nelle. Il s’agirait alors, tout simplement, de donner un rôle aux provinces dans le processus de sélection des sénateurs et des juges à la Cour supré‚me tout en conservant intact le pouvoir final de no- mination du gouvernement fédéral.
En conclusion, qu’il me soit permis de rappeler que l’identité canadienne est multidimensionnelle. Elle est faite à la fois de diversité et d’unité, d’ex- pression des caractères distinctifs et de mise en commun des valeurs, de cou- leurs locales et de vision d’ensemble, d’uniformité et de droit à la différence. Parmi les multiples composantes du Canada d’aujourd’hui se trouve le particularisme québécois, lequel constitue une richesse pour le pays tout entier. Je souhaite ar- demment que le Canada intègre positivement ce particularisme, qu’il le fasse sien et qu’il lui procure toute la reconnaissance qu’il mérite.
Le Canada que j’aime n’est pas un pays mythique. C’est un pays bien réel, en chair et en os, oserais-je dire, fait de plus de 33 millions de visages. C’est un pays au potentiel énorme, mais qui a encore, comme j’ai tenté de le démontrer ci-dessus, des dé- fis à relever. Dans ce texte, je me suis limité à quelques-uns de ces défis qui touchent au cœur de notre architecture fédérative, mais j’aurais pu en men- tionner des tas d’autres : limitation du pouvoir fédéral de dépenser lorsqu’il s’exerce dans les champs de compé- tence des provinces ; raffermissement de l’union sociale et économique cana- dienne dans le respect des pouvoirs des provinces ; consolidation du rôle du Québec en ce qui a trait à la culture ; accroissement des responsabilités des provinces en matière de communica- tion ; développement de l’interprovin- cialisme (c’est-à-dire des relations in- terprovinciales) au moyen entre autres du renforcement du Conseil de la fé- dération ; règlement du déséquilibre fiscal ; meilleur respect du partage des pouvoirs et de l’autonomie de chaque ordre de gouvernement ; etc.
Je ne peux qu’espérer que, quels que soient les défis qu’il relève et quelle que soit l’orientation qu’il prenne, ce grand pays qui est le mien demeure un tremplin et pour la langue française et pour le Québec.