Avec leurs populations vieillissantes et leurs secteurs manufacturiers en reconversion, les provinces du Canada central et maritime font, depuis quelques années déjà, la difficile expérience de ce qui pourrait bien être une nouvelle ère de faible croissance économique. Au Québec en particulier, les analyses pessimistes quant aux perspectives économiques se multiplient, offrant un étrange écho outre-Atlantique à la morosité qui afflige présentement la France. Les défis économiques du Québec sont nombreux : vieillissement de la population particulièrement rapide, endettement public élevé, déficit de productivité, pour ne nommer que ceux-là. L’époque où le Québec accueillait avec exaltation le monde à l’Expo 67 semble aujourd’hui bien lointaine.

En effet, il faut probablement remonter aux années 1960 pour trouver une période de forte croissance au Québec, alors que la Révolution tranquille battait son plein. C’était aussi une période d’euphorie où tout semblait possible, où  les perspectives de croissance paraissaient sans limite. Cette époque —  qui s’est terminée brusquement avec les chocs pétroliers dans les années 1970 —  a marqué de façon éloquente le paysage montréalais: une série de projets pharaoniques, dont les plus imposants étaient l’aéroport de Mirabel et le Stade olympique de Montréal, y ont vu le jour.

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Au-delà de ces éléphants blancs, le Québec a hérité de cette période une dette publique élevée, qui agit aujourd’hui comme un boulet. À la faveur d’années de forte croissance puis d’inflation, les revenus et dépenses ont présenté en effet des tendances incompatibles avec l’équilibre budgétaire. Époque riche en enseignements, car il n’est pas surprenant, a posteriori, qu’une période de forte croissance économique ou de forte inflation finisse par créer une certaine illusion budgétaire. Toute dépense publique est alors possible tellement les revenus fiscaux sont abondants. Tout investissement se justifie tellement il sera facile de l’amortir.

Une croissance forte sans récession s’est manifestée de nouveau dans les années 1990, s’étendant sur une quinzaine d’années. Sans atteindre les taux de croissance des années 1960, cette longue période a été bénéfique à plus d’un égard, permettant notamment d’assainir les finances publiques à tous les ordres de gouvernement. Or l’illusion de la croissance infinie nous a pris encore au piège. Pour réduire le poids de la dette publique, il suffirait désormais de s’assurer que le dénominateur du ratio dette-PIB croisse plus vite que le numérateur.

Faire mieux avec moins de ressources, tel est le défi qui nous attend.

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Un tel cercle vertueux ne peut plus être invoqué dans une ère de croissance anémique, voire de déflation. Ce nouveau contexte ne permet plus les fuites en avant et la pensée magique. Il rend plus saillantes et mordantes les contraintes budgétaires des agents économiques, tant publics que privés.

Si ce constat peut paraître douloureux à plusieurs et s’il est normal de regretter le bon vieux temps, une ère de faible croissance est peut-être exactement ce dont nous avons besoin. En rendant les agents économiques plus sensibles à la rareté des ressources et à la dure réalité des choix qu’elle implique, la faible croissance favorisera une meilleure optimisation des ressources. C’est le contexte idéal pour s’attaquer à une grande corvée de productivité dans le secteur public, par exemple. Faire mieux avec moins de ressources, tel est le défi qui attend les gouvernements de l’ère de faible croissance dans laquelle nous sommes engagés. Il faut revoir nos façons de faire dans le secteur de la santé en adoptant des processus plus efficaces, redistribuer les revenus en minimisant les conséquences négatives, assainir nos pratiques d’attribution de contrats publics, et plus encore.

Les entreprises devront elles aussi prendre le virage de la productivité et de l’amélioration continue. Pour ce qui est des ménages, ils seront forcés de comprendre les avantages d’une utilisation responsable de l’endettement personnel. Ce n’est que par des gains d’efficacité dans tous les secteurs de l’économie que nous parviendrons à entretenir de nouveau une croissance moins anémique.

Quant aux périodes de forte croissance et d’euphorie, ne les pleurons pas trop, car elles ont une fâcheuse tendance à mal se terminer. Pensons aux Années folles qui ont précédé la Grande Dépression, aux trente glorieuses qui ont précédé la crise des finances publiques des années 1980 et 1990, ou, plus récemment, à la « grande modération » qui a précédé la dernière récession. Place désormais à la « grande optimisation » !

Marcelin Joanis
Marcelin Joanis est économiste spécialisé en finances publiques, professeur titulaire à Polytechnique Montréal et chercheur invité au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal. Ses recherches portent notamment sur l’endettement, les règles budgétaires, les infrastructures et le fédéralisme fiscal.

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