Le 10 juin, près de 60 p. 100 des Flamands ont voté pour des partis qui prônent soit l’indépendance de leur région, soit une décentralisation qui ne laisserait pratiquement aucun rôle à l’État fédéral, sinon celui de maintenir une vague raison sociale belge et une prise sur Bruxelles, capitale et région francophone située en territoire flamand.

Quatre mois plus tard, à la mi-octobre, la Belgique n’avait toujours pas de gouvernement, les partis flamands et wallons ne réussissant pas à s’entendre sur un programme commun. Le blocage était tout sauf ordinaire. « Il serait stupide de former un gouvernement juste pour en avoir un », expliquait avec une certaine arrogance Herman Van Rompuy, négociateur principal pour les démocrates-chrétiens flamands, « c’est une négociation de crise ». Plus que jamais, le pays était confronté à son destin.

Pour les Québécois, la situation belge apparaît à la fois fascinante et paradoxale. Fascinante d’abord parce que, contrairement au Canada, les institutions politiques demeurent malléables et continuent d’évoluer en fonction des attentes des citoyens. Les Flamands appuient les revendications autonomistes de leurs partis à plus de 85 p. 100, même si une mince majorité (49,6 p. 100 ) souhaite encore préserver l’unité du pays.

Situation paradoxale en même temps, parce que, en Belgique, c’est le peuple majoritaire (environ 57 p. 100 de la population totale), par ailleurs plus riche et plus conservateur, qui veut accroître son autonomie. Les Wallons minoritaires préféreraient pour leur part maintenir un État fédéral plus substantiel, même si celui-ci est presque toujours dirigé par un Flamand.

Les affinités culturelles qui rapprochent les Wallons et les Québécois peuvent ici être trompeuses. À plusieurs égards, en effet, ce sont les Flamands qui sont les Québécois de la Belgique. Historiquement, ils étaient eux aussi les plus pauvres, et ils parlaient une langue méprisée et ignorée. Comme au Québec, c’est à partir de la langue que l’identité flamande s’est définie ” « la langue est ce qui fait la nation », dit-on en Flandre ” et c’est autour de revendications pour des institutions fédérales bilingues et pour une plus grande autonomie territoriale qu’elle s’est affirmée. « Ce que nous faisons nous-mêmes, nous le faisons mieux », rappelle souvent le gouvernement territorial flamand.

En revanche, et là on s’éloigne du Québec, le mouvement nationaliste flamand demeure solidement campé à droite. Selon Jan Erk, politologue à l’Université de Leiden aux Pays-Bas, tout s’est joué au début du vingtième siècle, alors que l’Église et les chrétiens-démocrates ont mieux su que les socialistes canaliser le sentiment identitaire flamand. L’argument est plausible, mais il explique mal pourquoi cet alignement idéologique a duré si longtemps. Au Québec, par exemple, le nationalisme conservateur du passé a cédé la place à un nationalisme progressiste dans les années soixante.

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Plusieurs facteurs peuvent expliquer le caractère durablement conservateur de l’identité flamande. Le fait que les Wallons aient été plutôt socialistes, par exemple, a peut-être contribué à consolider la tendance contraire en Flandre. Avec les années, la Flandre est aussi devenue plus prospère que la Wallonie, minée par des secteurs industriels en déclin, ce qui a fait du nationalisme flamand un nationalisme de riches.

Les chiffres sont éloquents. En 2007, le taux de chômage dans les arrondissements flamands était en moyenne de 6,43 p. 100, contre 17,7 p. 100 pour les arrondissements francophones. Les journaux de la Flandre alimentent régulièrement les hostilités en soulignant ce que paient les Flamands et ce que reçoivent les Wallons pour une protection sociale qui avantagerait surtout les seconds. C’est donc également contre la protection sociale et la solidarité que se définissent les revendications flamandes.

Cette orientation de droite donne parfois un caractère moins noble, voire étroit et revanchard, à un nationalisme qui tend à justifier des attitudes peu généreuses envers les minorités francophones en territoire flamand (en banlieue de Bruxelles notamment), ou même envers les pauvres et les immigrants. Elle sous-tend également des relations très tendues entre les deux communautés.

Cet aspect moins séduisant du nationalisme flamand invite d’ailleurs à la réflexion sur un éventuel autonomisme québécois de droite qui serait défini plus par une opposition à l’autre, quel qu’il soit, que par une vision égalitaire et généreuse de la société à construire.

Quoi qu’il en soit, la Belgique, comme le Canada, n’est pas encore au bout du chemin. En effet, il ne faut pas perdre de vue que toutes ces évolutions s’inscrivent dans la longue durée. Après tout, c’est en 1912 que le socialiste Jules Destrée écrivait au roi Albert 1er pour le prévenir qu’il n’y avait pas de Belges en Belgique, mais seulement des Flamands et des Wallons. Bien des années ont passé depuis la révélation par Destrée de cette « grande et horrifiante vérité ». La Belgique a changé, et elle changera encore. Mais ces deux peuples, qui vivent sur un bien petit territoire et partagent une capitale, demeurent condamnés à s’entendre.

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