La mémoire collective canadienne a retenu que le pays était au départ une colonie française jusqu’à sa conquête par les Britanniques en 1763. Mais qu’a-t-elle conservé des Autochtones, de leur histoire avant l’arrivée des Français, du fait qu’ils n’ont jamais été conquis — ni par les Français, ni par les Britanniques —, de l’historique de la Loi sur les Indiens et de son effet sur les peuples ?

La majorité des Canadiens ignorent ces aspects, d’où l’incompréhension globale du statut particulier des Premières Nations et la normalisation des préjugés.

Connaître l’histoire pour comprendre le présent

Historiquement, les Autochtones étaient considérés comme des alliés, des peuples indépendants possédant tous les attributs d’une nation et ayant l’usage de leurs terres. Une des preuves fut la protection territoriale qui leur a été accordée dans la Proclamation royale de 1763.

Or, dans les décennies qui ont suivi, le territoire a été convoité à des fins économiques et de peuplement. Suivant la Loi constitutionnelle de 1867, qui a donné naissance au Canada, le gouvernement fédéral a obtenu la compétence de légiférer dans tous les domaines concernant les « Indiens » et les « terres réservées aux Indiens ». En 1876, il a adopté l’Acte des sauvages, un cadre législatif qui regroupait les lois précédentes ayant trait aux Autochtones. Ancêtre de la Loi sur les Indiens, il a permuté la perception gouvernementale des Autochtones pour littéralement régir leur existence. De peuples souverains, les Premières Nations sont alors passées au statut de locataires de troisième classe. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer à quel point la Loi sur les Indiens a bouleversé leur vie quotidienne.

Essentiellement, elle a défini qui était Indien et qui ne l’était pas, imposé un système de gouvernance qui ne respectait pas les coutumes autochtones, nié tous les droits de propriété des Autochtones et décrété que, désormais, ils ne seraient plus que des locataires sur un petit territoire nommé réserve, mis de côté pour l’usage et au profit d’une bande indienne. L’occupation millénaire de leurs territoires a été complètement écartée.

Autrement dit, la Loi sur les Indiens a octroyé un statut d’Indien à un certain nombre d’Autochtones (excluant les Inuits et les Métis) qui remplissaient des critères définis, tout en les privant de leur capacité légale dans une majorité de domaines. Le gouvernement a notamment refusé de reconnaître leur souveraineté territoriale et gouvernementale, et il a imposé un système d’éducation à leurs enfants. L’objectif de la Loi était d’intégrer les Autochtones dans la société canadienne en les assimilant lorsqu’ils seront « civilisés », afin de pouvoir supprimer leur statut distinct.

La loi prévoyait ainsi l’« émancipation » des Indiens, qu’elle soit volontaire ou involontaire, une « émancipation » qui signifiait la perte de leur statut et bien souvent l’exclusion de la réserve. Or dans beaucoup de cas, cette exclusion impliquait aussi la perte de leur identité et de leur culture.

À la suite de pressions politiques et de procédures judiciaires, la Loi sur les Indiens s’est assouplie. Les membres des Premières Nations ayant le statut d’Indien ont notamment acquis en 1960 le droit de vote aux élections fédérales (et en 1969 aux élections provinciales au Québec), tout en gardant leur statut. Bien que le sujet soit encore d’actualité, le gouvernement a mis fin en 1985 à la discrimination directe qui empêchait une femme mariée à un non-Autochtone de transmettre le statut d’Indien à ses enfants.

Regarder l’avenir de la Loi sur les Indiens

Le débat sur l’avenir de la Loi sur les Indiens ne date pas d’aujourd’hui. En 1969, le Livre blanc déposé par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau prônait la suppression de la loi, et de ce fait du statut d’Indien et des réserves, en proposant une politique d’intégration des Autochtones à la société. L’objectif était de rendre égaux tous les citoyens. Le document a soulevé une vague d’indignation chez les peuples autochtones, et le projet fut abandonné. Il faut comprendre que la Loi sur les Indiens contenait la seule reconnaissance juridique des droits des Autochtones qui existait alors à l’époque et que le Livre blanc ne proposait aucune solution de rechange. Plus important encore : les Autochtones cherchaient à obtenir un statut constitutionnel pour leurs droits ancestraux, ce qui leur n’a été accordé qu’en 1982 par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

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Donc, malgré les nombreux aspects négatifs découlant de la Loi sur les Indiens, nombreux sont les Autochtones qui ne veulent pas son extinction en raison de la protection de leur statut distinct qu’elle contient. Par ailleurs, les réserves — qu’on appelle aujourd’hui les communautés autochtones — ont permis aux Premières Nations de préserver leur culture, leur langue et leurs traditions, et ainsi leur identité. De plus, les réserves étant issues de traités avec la Couronne, plusieurs nations considèrent que celles-ci forment une partie intégrante de leur relation avec la Couronne.

Par contre, une forte majorité des Premières Nations soumises à la Loi sur les Indiens souhaitent éliminer la domination de cette loi sur leur vie afin de réintégrer le droit coutumier autochtone. Elles désirent non seulement établir une véritable relation de nation à nation avec la Couronne fédérale et obtenir une autonomie gouvernementale, mais aussi que ce principe soit ancré dans la Constitution du Canada et pas dans la législation fédérale. Et afin que cette relation devienne une réalité, elles voudraient que le gouvernement leur fournisse les ressources, ce qui probablement exigerait la participation des provinces.

Quelques Premières Nations ont adopté de nouvelles approches afin d’écarter la Loi sur les Indiens. Par exemple, les Cris et les Naskapis du Québec sont régis depuis 1984 par Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et presque intégralement soustraits à la Loi sur les Indiens. Cette loi découle du chapitre 9 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (signée en 1975 à la suite de la lutte judiciaire des Cris de la Baie-James et des Inuits contre le projet hydroélectrique La Grande) et reconnaît dans une très grande mesure leur autonomie gouvernementale sur les terres mises de côté exclusivement pour eux. Ces traités modernes, en ce qu’ils établissent l’existence de droits autochtones, ne sont pas statiques et permettent l’adoption de conventions complémentaires, telles que la « Paix des braves » de 200,2 qui a reconnu la nation crie et confirmé la relation de nation à nation avec le Québec.

À l’instar des Cris et des Naskapis, d’autres Premières Nations ont entrepris des nouvelles approches avec les gouvernements fédéral et provincial. Ainsi, les Nisga’as de la Colombie-Britannique ont conclu en 2000 un Accord définitif avec le gouvernement fédéral et leur province qui a mis fin à l’autorité de la Loi sur les Indiens. Cet accord « définit leurs droits et responsabilités par rapport aux terres, aux ressources naturelles, à l’exercice des pouvoirs, à l’administration de la justice, à l’environnement, à la fiscalité et à plusieurs autres aspects ».

Depuis 1876, les Autochtones ont subi des traumatismes intergénérationnels créés par la Loi sur les Indiens et les politiques gouvernementales. De nos jours, un nombre croissant de communautés exigent une révision du rôle de cette loi et orientent leur politique vers l’affirmation de leur souveraineté et la libération de leur peuple.

Le chemin proposé est rempli d’incertitudes et constitue un combat de longue haleine. Indignées par l’approche coloniale des gouvernements, les Premières Nations sont fières de leur appartenance et de leur culture et veulent déterminer des outils de gouvernance qui leur sont propres. Les récents traités établis à l’échelle du Canada nous permettent d’être optimistes pour l’avenir.

Cet article fait partie du dossier Briser l’emprise de la Loi sur les Indiens.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld


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Marie-Claude André-Grégoire
Marie-Claude André-Grégoire est Autochtone d’origine innue. Elle est avocate au cabinet O’Reilly et associés depuis décembre 2014, pratiquant le droit autochtone, le droit constitutionnel et le droit environnemental.

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