Mis sur pied par le précédent gouvernement, le comité d’experts présidé par Alban D’Amours aura agréablement surpris nombre d’observateurs avec plusieurs réflexions et recommandations intéressantes dépassant son mandat initial, dont la proposition innovante de création d’une rente longévité.

Une carence d’épargne — Aujourd’hui, à moins d’être un employé syndiqué ou bien cadre du secteur public ou parapublic, très peu de travailleurs québécois bénéficient d’un régime à prestations déterminées. Près de la moitié des travailleurs québécois ne participent à aucune forme d’épargne collective. Ils dépendront donc de leurs épargnes personnelles et des régimes publics à leur retraite. C’est environ deux millions de Québécois qui devront épargner tout au long de leur vie sans pouvoir compter malheureusement sur les mêmes rendements réels dont ont bénéficié les générations précédentes. Compte tenu de l’ampleur d’un tel effort d’épargne, il n’est pas surprenant que le comité d’experts ait endossé le concept des régimes volontaires d’épargne-retraite et que le présent gouvernement se soit empressé de déposer un projet de loi à ce sujet. Toutefois, sans une participation obligatoire de l’employeur, il fallait regarder ailleurs pour prendre en main cette situation de carence d’épargne.

Les avantages de la mutualisation des risques — S’il y a un aspect faisant consensus parmi les actuaires et les économistes, c’est bien les avantages de la mutualisation du risque de longévité au moyen d’un régime à prestations déterminées, puisque personne ne connaît l’épargne nécessaire pour assurer sa retraite jusqu’au jour de son décès! L’introduction de cette rente longévité devrait normalement contribuer à sécuriser les jeunes travailleurs québécois préoccupés par leur retraite en raison, entre autres, de l’état de nos finances publiques.

Une nouvelle charge sociale — Au-delà des mérites inhérents à la création d’une rente longévité, on ne peut passer sous silence ses effets négatifs sur la compétitivité des entreprises et l’activité économique au Québec (pertes récurrentes de 0,6 à 0,8 p. 100 du PIB, selon les estimations du ministère des Finances). Outre la ponction sur le pouvoir d’achat des travailleurs québécois, la mise en place d’une rente longévité ajouterait également un fardeau supplémentaire aux entreprises, qui verraient de nouveau augmenter leurs charges sociales au Québec (de 1,65 p. 100 de la masse salariale jusqu’au maximum des gains admissibles). Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, le Québec se caractérise déjà par ses charges sociales élevées en raison de quelques programmes sociaux uniques (l’assurance parentale, par exemple). Notons que les tendances démographiques différentes au Québec de celles du reste du Canada font en sorte que les taux de cotisation à la Régie de rentes du Québec (RRQ) excéderont dorénavant ceux au Régime de pensions du Canada (RPC), une première en plus de 40 ans d’existence de ces régimes! Cette divergence constituera au cours des prochaines années un frein supplémentaire à la compétitivité des entreprises québécoises.

Le deuxième étage de la maison a besoin d’être rénové — Il faut garder à l’esprit qu’après le Japon, le Québec est probablement l’État où les changements démographiques se feront ressentir avec le plus d’intensité. Pour preuve, on compte maintenant environ trois travailleurs (ou participants actifs au RRQ) pour chaque retraité, en regard d’un ratio de huit contre un au milieu des années 1960. Selon les diverses projections utilisées par la Régie des rentes du Québec, ce ratio pourrait tomber à environ deux cotisants par prestataire au tournant de l’année 2025. Il serait sage de profiter du dépôt du rapport pour se demander si le Québec ne devrait pas imiter le geste d’Ottawa dans le dossier des pensions de vieillesse (le premier étage) en reportant l’âge admissible pour toucher la pleine prestation du RRQ, sans pénalité, à compter de 2025 ou 2030. Au minimum, en donnant suite à l’une des recommandations du rapport D’Amours, on pourrait inciter les gens à rester plus longtemps sur le marché du travail en reportant à 62 ans, graduellement d’ici 2020, l’âge d’admissibilité à la retraite anticipée du RRQ. Une telle réforme serait d’autant plus justifiée au plan de l’équité intergénérationnelle que l’espérance de vie au Québec est de près de 10 ans plus élevée aujourd’hui qu’au moment de la mise sur pied du RRQ. Gardons également à l’esprit que les Québécois ont tendance à prendre leur retraite plus tôt (de deux ans en moyenne) que les autres Canadiens. Qui plus est, près de deux tiers des cotisants au RRQ demandent de recevoir leur rente dès l’âge de 60 ans, en raison, entre autres, d’une définition «très souple» de l’invalidité pour les personnes âgées de 60 à 65 ans. À notre humble avis, à moins de rendements spectaculaires sur les marchés ou d’un renversement exceptionnel des flux migratoires inter-provinciaux en faveur du Québec, ce débat sur l’âge de la retraite devra tôt ou tard avoir lieu !

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En conclusion, nous sommes en faveur du principe de l’introduction d’une rente longévité au Québec et saluons le travail du comité d’experts. Toutefois, il serait bien d’encourager les autres provinces à emboîter le pas au Québec et convenir d’un calendrier commun, afin de ne pas imposer unilatéralement une charge financière additionnelle aux entreprises québécoises.

Bonne réflexion!

Photo: yanatul / Shutterstock

Clément Gignac
Ancien ministre dans le gouvernement de Jean Charest, Clément Gignac est vice-président principal et économiste en chef à l'Industrielle Alliance. Il est aussi président du comité sur la compétitivité du Forum économique mondial.

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