En moyenne, et toutes choses égales par ailleurs, il me reste environ 27 ans à vivre. Ce n’est pas mal. Il y a 30 ans, j’en aurais eu cinq de moins. Et si j’étais Américain, je devrais en soustraire un an et demi.

Dans les années 1950, l’espérance de vie au Canada et aux États-Unis était moindre qu’aujourd’hui, mais assez semblable. Avec le temps, cependant, la situation s’est améliorée au Canada, comme dans plusieurs pays, mais elle n’a pas progressé autant aux États-Unis. Si bien que le pays de Barack Obama se retrouve aujourd’hui à la queue des pays riches. On y vit moins longtemps qu’ailleurs. Et moins en santé aussi.

Ce déclassement graduel des États-Unis était déjà documenté dans une étude publiée en 2011 par le National Research Council. Mais un nouveau rapport du National Research Council et de l’Institute of Medicine, intitulé Shorter Lives, Poorer Health, vient confirmer la tendance. Nous savions, explique le docteur Steven H. Woolf, qui présidait le groupe d’étude, que le pays avait pris du retard, mais nous ne pensions pas que le décalage était aussi significatif.

À tous les âges de la vie, sauf après 75 ans, les États-Unis ont une espérance de vie et des conditions de santé inférieures à celles des pays comparables. Les enfants américains ont moins de chances de se rendre à cinq ans que ceux des autres pays ; les adolescentes courent plus de risque de se trouver enceinte de façon précoce ; les jeunes sont davantage susceptibles de contracter des maladies transmises sexuellement, incluant le sida ; les adultes sont plus souvent obèses et atteints de diabète ; ils souffrent plus fréquemment de problèmes cardiaques et de maladies pulmonaires ; et ils sont plus affectés par l’arthrite et les limitations d’activité. Sur pratiquement tous les indicateurs, les Américains sont en queue de peloton, et souvent loin derrière.

Pourtant, peu de pays sont aussi riches que les États-Unis, et aucun ne dépense autant pour les soins de santé. Le pays se situe en fait à la fine pointe de la science médicale.

La moyenne américaine serait-elle minée par la présence de groupes moins favorisés et plus susceptibles d’être en mauvaise santé, les Noirs par exemple? En partie oui, puisque les plus pauvres sont aussi les plus malades. Mais l’équipe du docteur Woolf montre que les Américains blancs, assurés, éduqués et aisés sont également moins en santé que les citoyens des autres pays qui vivent dans des conditions comparables, même lorsqu’ils ont de saines habitudes de vie.

C’est tout le pays qui est désavantagé, et les conséquences sont importantes et bien documentées.

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Les causes, en revanche, sont plus complexes à établir. Plusieurs facteurs semblent jouer un rôle. L’accès aux soins, évidemment, est bien moins assuré et équitable aux États-Unis qu’ailleurs. Mais ces lacunes ne peuvent rendre compte du plus grand nombre de décès par accident ou par causes violentes. De même, certains comportements sont plus répandus, ceux qui entraînent l’obésité par exemple, mais ils n’expliquent pas que les Américains ayant de bonnes habitudes de vie soient également davantage susceptibles d’être malades. Même chose pour la pauvreté et les inégalités, qui ne causent probablement pas directement la mauvaise santé des plus aisés.

Ensemble, cependant, ces différents facteurs finissent par définir un modèle, celui d’une société qui a laissé s’aggraver les inégalités et la pauvreté, qui n’a pas investi dans l’éducation, la santé et les services sociaux pour tous, qui oriente son développement urbain autour de l’automobile et qui s’oppose à pratiquement tout contrôle des armes à feu.

Les Américains vivent moins longtemps et sont plus malades parce que, collectivement, ils ont choisi de vivre dans une société de plus en plus inégalitaire et de moins en moins solidaire. Le prix se paie en années de vie et de santé.

On aurait tort, cependant, de n’y voir qu’un problème américain. Les inégalités de santé varient d’un pays à l’autre, mais elles persistent partout. Et la tendance actuelle pourrait pousser plusieurs pays dans la voie des États-Unis. L’heure, en effet, n’est favorable ni à l’égalité, ni aux services publics.

Au pire de la crise financière de 2008, les États de l’OCDE sont intervenus massivement pour soutenir la croissance et préserver l’emploi et la protection sociale. Très rapidement cependant, le vent a tourné. Après que les gouvernements eurent sauvé les banques avec l’argent des contribuables, les financiers se sont vite convaincus que les difficultés économiques venaient d’un excès d’intervention étatique. Les uns après les autres, les différents pays ont alors mis le cap sur l’austérité budgétaire, au détriment de la croissance, de l’emploi et de la protection sociale. Il n’y a donc pas qu’aux États-Unis que le bilan de santé risque de se détériorer. Tout dépend des choix qui seront faits.

Photo: Shutterstock /Thaiview

Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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