En reconnaissant quatre groupes parlementaires pour la durée de la 42e législature, l’Assemblée nationale du Québec a confirmé l’éclatement sans précédent du système partisan québécois. L’institutionnalisation d’un nouveau parti politique, en l’occurrence Québec solidaire (QS), constitue un événement aussi rare qu’important.

Créé en 2006, ce parti amorce maintenant cette nouvelle phase de son histoire en se comportant comme un parti populiste de gauche. Les travaux du politologue de l’Université de Princeton Jan-Werner Müller s’avèrent très utiles pour analyser l’évolution du discours de QS. Tant sur la forme que sur le fond, ce discours intègre maintenant les différentes caractéristiques du populisme.

Ainsi, le populisme de droite comme de gauche reposerait sur trois comportements, qui se déploient concurremment : 1) un parti populiste prétend être l’incarnation du peuple, s’opposant ainsi à la conception pluraliste de la démocratie libérale ; 2) un parti populiste se veut également antisystème et se propose de déconstruire graduellement les institutions représentatives en place ; 3) un parti populiste attaque les contre-pouvoirs afin d’en miner la crédibilité, ce qui se traduit généralement par des critiques répétées envers les médias ou le pouvoir judiciaire.

Incarner la volonté populaire

Lors l’élection de 2018, QS a opté pour un slogan clair, « Populaire ». Andrés Fontecilla, ancien porte-parole devenu maintenant député, explique ainsi ce choix : « Notre position, notre organisation, les candidats de l’ensemble de notre parti sont issus des préoccupations du peuple. » La chef parlementaire Manon Massé allait encore plus loin dans cette veine : « C’est pour ça que Québec solidaire a été créé, pour donner une voix au peuple. »

Ce message concorde d’ailleurs avec celui publié sur la page Facebook du parti. Ainsi :

Québec solidaire ose dire que ce que le peuple veut est réalisable. « Populaire », c’est un retour à l’essentiel. C’est pour ça qu’on a fondé Québec solidaire il y a 12 ans : pour donner une voix au peuple.

Lors de la dernière campagne électorale, ce nouvel élément du discours fut au cœur de la stratégie, des outils et du positionnement marketing du parti. En clair, le peuple n’aurait pas de voix sans QS. Selon cette logique, seul QS incarne la volonté populaire.

Être antisystème

Depuis sa fondation, QS intègre des stratégies antisystème dans ses moyens d’action. Ses membres considèrent d’ailleurs que le fait de manifester constitue une forme de militantisme pour le parti, mais aussi un moyen de confronter les symboles de l’autorité de l’État. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il faut décoder les propos de Manon Massé, en ciblant les ressources dont disposent les forces de l’ordre, au sujet de ce droit.

Et vous savez, une manifestation, ce n’est pas un problème en soi! […] Ici au Québec et en France, les policiers ont des moyens, mais il faut qu’on se rappelle collectivement que le droit démocratique de manifester existe!

En 2008, quelques jours après son élection comme premier député de QS, Amir Khadir avait d’ailleurs soulevé la controverse lors d’une manifestation, ayant lancé son soulier sur une image du président américain. Pour se justifier, le nouveau député affirmait vouloir « renouveler la culture politique au Québec ». Le président de l’Assemblée nationale de l’époque avait dit ne pouvoir sanctionner le comportement de l’ancien député de Mercier puisque le geste reproché par certains s’était produit à l’extérieur de l’enceinte parlementaire.

Depuis le 1er octobre 2018, le comportement antisystème de QS ne se limite plus à la rue. Il se transpose aussi au sein même des institutions. Ce fut d’abord le cas en choisissant de procéder à l’assermentation des nouveaux députés en privé, tout en qualifiant le serment à la Reine de « rituel archaïque et franchement désagréable ».

Quelques jours plus tard, le parti a également contesté la procédure parlementaire lors de la période des questions. Certains députés ont provoqué aussi un débat sur le décorum en lien avec leur tenue vestimentaire, tout en faisant de cet enjeu le symbole d’une lutte de classe.

Dans son discours d’ouverture au Conseil national de QS le 7 décembre dernier, rapporté par un quotidien, Gabriel Nadeau-Dubois a souligné que QS « doit devenir un mouvement de résistance, un mouvement d’opposition, capable d’investir à la fois la rue et le Parlement sans jamais céder un seul pouce […] ».

Un extrait inédit d’une entrevue avec un député de QS que j’ai réalisée récemment dans le cadre d’un projet de recherche (le protocole prévoit l’anonymat) permet également de mieux comprendre le caractère antisystème du parti :

On a essayé à l’époque par la voie des armes, les guérillas, on en a vu des révolutionnaires… Aujourd’hui, on ne peut pas faire ça parce que cela n’aboutit pas et parce que c’est contre-productif, la violence. […] On est venu ici parce qu’on est contre ici. On est venu au Parlement parce qu’on est là pour changer. Autrement dit, symboliquement, évidemment on va garder les pierres d’ici, c’est un très beau parlement, mais dans le fond, notre idée c’est de déconstruire tout ça et de le reconstruire à nouveau sur une base correspondant à la réalité moderne démocratique du 21e siècle.

QS fonde donc son action politique sur des principes qui s’opposent au régime actuel. Cette action repose également sur une vision critique de la démocratie représentative. Comme groupe parlementaire, le parti entend maintenant faire valoir cette vision au sein de l’Assemblée nationale.

Miner les contre-pouvoirs

En s’attaquant au travail des journalistes, QS a aussi choisi d’ouvrir un autre front et de remettre en question le fonctionnement d’un contre-pouvoir. S’agit-il d’une stratégie délibérée ? Quoiqu’il en soit, depuis la dernière élection, elle se manifeste tant à l’Assemblée nationale que lors des activités partisanes du parti.

Un premier épisode s’est produit lorsque la nouvelle députée de Taschereau Catherine Dorion a comparé l’exercice d’une mêlée de presse à une pratique digne de l’Union soviétique. « Saviez-vous qu’une technique d’interrogatoire la plus soft, c’était de mettre une grosse lumière dans la face du prévenu et de lui poser des questions en rafale? » a-t-elle déclaré. Elle critiquait à nouveau le travail des médias quelques jours plus tard. La semaine suivante, Manon Massé indiquait que le choix de couvrir la polémique sur le code vestimentaire des députés plutôt que des dossiers qui intéressent davantage le peuple était celui des médias.

Lors du premier Conseil national du parti suivant l’élection, les membres ont adopté une résolution demandant aux journalistes présents de quitter la salle pour pouvoir amorcer leurs délibérations sur le port de signes religieux à huis clos. Cette décision jure avec la pratique courante selon laquelle, au Québec, les membres des partis débattent publiquement d’enjeux politiques. L’imposition d’un huis clos se limite généralement aux discussions d’ordre stratégiques et organisationnelles.

Les trois éléments caractérisant un parti populiste sont désormais bien présents chez QS. Il est certes possible que ce virage populiste ne soit pas encore entièrement partagé par l’ensemble de ses députés. Cela dit, Gabriel Nadeau-Dubois s’est déjà exprimé très clairement en proposant un « agenda politique de rupture ». Il considère d’ailleurs que « de penser que la prise du pouvoir d’un parti passe nécessairement par un recentrage, c’est une vieille manière de comprendre la politique ».

Que doit-on comprendre de ce nouvel ordre du jour ? Depuis le retrait de la vie politique de ses deux premiers députés, on note une évolution du discours. S’ils pouvaient défendre des positions antisystème, Françoise David et Amir Khadir n’attaquaient jamais les médias, tout comme ils ne prétendaient pas incarner le peuple… En prenant maintenant le pari de se comporter comme parti populiste de gauche, QS devient le premier parti populiste à être représenté à l’Assemblée nationale du Québec.

Photo : La co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé, avec Alexandre Leduc et Gabriel Nadeau-Dubois, après l’assermentation. Assemblée nationale du Québec, 17 octobre 2018.  La Presse canadienne / Jacques Boissinot.


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Eric Montigny
Eric Montigny est professeur au Département de science politique de l’Université Laval. Spécialiste des partis politiques et des institutions, il a publié en automne 2018 l’ouvrage Leadership et militantisme au Parti québécois. De Lévesque à Lisée (PUL).

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