C’est la question à laquelle mon collègue Stefan Ambec et moi tentions de répondre en novembre 2008 dans un article publié dans la revue Academy of Management Perspectives et intitulé « Does It Pay to Be Green? A Systematic Overview ». Notre article remettait en question la perception dominante à l’époque voulant que la protection de l’environnement soit nécessairement coûteuse pour les organisations. Dix ans plus tard, alors que l’article vient de se mériter le Best Decade Award décerné par cette revue, pourquoi ne pas revisiter ce thème afin de mesurer le chemin parcouru depuis ?

Essentiellement, nous avions déterminé alors sept canaux par lesquels une meilleure performance environnementale peut devenir une source d’avantage concurrentiel et contribuer à la rentabilité d’une organisation. Trois d’entre eux ― l’approvisionnement écoresponsable, la différenciation et la commercialisation de solutions technologiques ― permettent d’accroître les revenus, et les quatre autres ― les relations avec les parties prenantes, les réductions des ressources, les moindres coûts en capital et la rétention de la main-d’œuvre ― aident à réduire les coûts. Les effets de ces mesures se vérifient encore aujourd’hui, et les exemples d’organisations qui les ont mis à profit foisonnent.

Accroître les revenus

Premièrement, une meilleure performance environnementale peut faciliter l’accès à certains marchés. En effet, de plus en plus de donneurs d’ordre se soucient de la gestion de l’environnement chez leurs fournisseurs. Cette tendance s’est d’abord manifestée du côté gouvernemental. Par exemple, en 2005 déjà, le Centre de services partagés du Québec, le plus important acheteur du gouvernement, s’était doté d’une politique d’approvisionnement écoresponsable. Cette politique s’est raffinée depuis, entre autres par la mise au point du Guide pour développer des pratiques d’acquisition écoresponsables dans les organisations publiques québécoises et aussi par l’ajout d’un répertoire d’écoétiquettes. Ainsi, les entreprises vertes ont plus de chances d’être choisies comme fournisseurs.

Le secteur privé n’est plus en reste. Par exemple, Walmart a mis en place le programme Responsible Sourcing, qui décrit toutes les exigences auxquelles ses fournisseurs doivent se soumettre en matière de qualité de l’environnement, de santé et de sécurité au travail, de respect des droits humains, etc. En outre, la chaîne de magasins a mis en place un système d’audit pour s’assurer que les fournisseurs ne dérogent pas à ces normes.

Deuxièmement, l’offre de produits ou services plus écologiques permet aux entreprises de se différencier et de rejoindre les consommateurs plus sensibles aux enjeux environnementaux. Et ces consommateurs sont de plus en plus nombreux. Récemment, le Baromètre de la consommation responsable 2018 montrait que plus de 60 % des Québécois se décrivent comme ayant une consommation responsable, ce qui a un impact sur les modèles d’affaires. Le Baromètre indique entre autres que le nombre d’entreprises écoresponsables dans le secteur agroalimentaire québécois a augmenté de 25 % entre 2007 et 2017.

De nos jours, plusieurs entreprises se distinguent par les caractéristiques environnementales des produits qu’elles mettent sur le marché, notamment dans les secteurs de l’automobile, de l’habitation, des vêtements et des produits d’entretien. Dans plusieurs cas, elles ont recours à l’écoconception, qui consiste à mettre au point un nouveau produit ou service en tentant systématiquement de minimiser son impact environnemental tout au long de son cycle de vie, de l’extraction de la matière première jusqu’à la disposition finale. L’écoconception ne se fait pas aux dépens de la rentabilité. Une étude auprès d’entreprises qui s’adonnent à l’écoconception a révélé que, pour 85 % d’entre elles, la marge bénéficiaire associée aux produits écoconçus était égale ou supérieure à celle de produits conçus de façon traditionnelle.

Troisièmement, pour résoudre différents problèmes environnementaux, certaines entreprises trouvent des solutions technologiques et réussissent à les commercialiser auprès d’autres acteurs du monde des affaires. Ici, force est d’admettre que les exemples ne sont pas légion. Le plus connu est probablement celui de Cascades : l’entreprise a développé une si grande expertise en efficacité énergétique qu’elle peut offrir ses services en la matière à d’autres.

Réduire les coûts

Premièrement, une meilleure performance environnementale facilite les relations avec les parties prenantes et en réduit les coûts. Ainsi, elle permet d’éviter les frais associés à la non-conformité à la réglementation environnementale, favorise une coexistence harmonieuse avec les groupes de citoyens et diminue les risques pour une entreprise d’être ciblée par les médias ou les écologistes. Par exemple, à la suite d’innovations technologiques, certaines alumineries seront en mesure de réduire considérablement leurs émissions de gaz à effet de serre et auront donc besoin de moins de droits d’émissions pour satisfaire aux obligations du marché du carbone. Leurs coûts seront réduits en conséquence.

Deuxièmement, une meilleure performance environnementale se traduit souvent par une réduction des besoins en ressources, que ce soit les matières premières, les emballages, l’énergie ou autre. On parle alors d’écoefficience. Elle s’applique à de nombreuses situations. Par exemple, les bâtiments verts, comme ceux qui ont obtenu la certification LEED, sont reconnus pour générer des économies considérables d’énergie ou d’approvisionnement en eau. Et la tendance en faveur de bâtiments durables s’amplifie. Ainsi, le nombre de mètres carrés des édifices LEED au Canada a été multiplié par 10 entre 2009 et 2014.

Troisièmement, les entreprises vertes peuvent se financer plus facilement, ce qui réduit leur coût en capital. Les banques, qui ne souhaitent pas détenir en garantie des actifs contaminés, portent de plus en plus attention à la performance environnementale des entreprises qui demandent des prêts. Encore plus significative est la tendance observée en matière d’investissement dans des entreprises durables. Aux États-Unis, les investissements responsables ont presque triplé entre 2007 et 2016.

Enfin, les entreprises vertes peuvent plus facilement attirer et retenir des employés de qualité, ce qui réduit leur coût de main-d’œuvre. Les jeunes travailleurs se disent aujourd’hui grandement préoccupés par les enjeux environnementaux et sociaux, et attendent des dirigeants d’entreprise qu’ils contribuent davantage au mieux-être de la société. C’est entre autres ce qui ressort des enquêtes que Deloitte mène auprès des millénariaux depuis 2011.

Il n’y pas de garantie à 100 % qu’une meilleure performance environnementale se traduise par une plus grande rentabilité, mais le champ des possibles est très vaste. Ce qui pouvait être perçu simplement comme une mode en 2008 semble se confirmer de façon tangible. Entre autres choses, le désir des gens pour des produits ou des bâtiments plus verts, des investissements plus responsables et des employeurs plus soucieux de l’environnement constitue une tendance qui prend de l’ampleur. De même, les possibilités de rendre les opérations des organisations plus écoefficientes semblent se multiplier.

Que la protection de l’environnement puisse s’avérer rentable pour les organisations ne devrait pas nous surprendre, car c’est aussi vrai dans notre vie de tous les jours. En effet, prendre le transport en commun, optimiser la consommation d’énergie de son logement, éviter le gaspillage alimentaire, ne pas renouveler sa garde-robe à chaque saison sont autant de gestes qui contribuent à la santé de l’environnement et de nos portefeuilles.

Dans les administrations publiques, une meilleure performance environnementale des organisations peut aussi générer des économies. Par exemple, une plus grande qualité de l’air se traduit par une diminution des dépenses en soins de santé, une utilisation plus rationnelle de l’eau entraîne une réduction des coûts d’approvisionnement, une moins grande production de déchets prolonge la durée de vie des sites d’enfouissement, etc. Les administrations publiques ont donc tout intérêt à miser sur la protection de l’environnement dans leurs propres activités de même que dans celles des autres organisations.

Photo : Shutterstock / Gunnar Pippel


Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux débats d’Options politiques et soumettez-nous votre texte en suivant ces directives. | Do you have something to say about the article you just read? Be part of the Policy Options discussion, and send in your own submission. Here is a link on how to do it. 

Paul Lanoie
Paul Lanoie est commissaire au développement durable au bureau du Vérificateur général du Québec depuis septembre 2016.  Auparavant, il était professeur titulaire d’économie à HEC Montréal.

You are welcome to republish this Policy Options article online or in print periodicals, under a Creative Commons/No Derivatives licence.

Creative Commons License