L’arrivée du Web et de nouvelles technologies numériques à grande échelle dans nos foyers a révolutionné nos façons de communiquer et de consommer. Or, si les médias d’information sont plus consultés que jamais grâce à la multiplication des plateformes, ils peinent à traverser une crise qui s’étire maintenant sur plus d’une décennie.

Résultat : nous assistons à une extinction accélérée des voix médiatiques hors des grands centres. Au Canada, environ 260 médias, dont plus de la moitié sont des journaux communautaires, ont disparu au cours des dix dernières années.

Au Québec, pas moins d’une quarantaine de médias spécialisés en information locale, pour la plupart des hebdomadaires imprimés, ne sont plus. La moitié de ces publications ont disparu au terme de ce qu’on a appelé « la guerre des hebdos », une lutte commerciale divisant Sun Media, une filiale de Québecor, et TC Transcontinental, qui s’est étirée sur près de cinq ans au Québec et a entraîné une chute drastique du coût des publicités.

Les autres journaux se sont éteints graduellement. La situation a culminé avec la mise en vente, au printemps 2017, de 93 titres de TC Transcontinental. Plusieurs publications ont été rachetées, revenant aux mains de personnalités d’affaires locales ou de petits groupes de presse. Mais encore une fois, de nombreux médias d’information ont été sacrifiés en cours de route pour permettre la survie des autres.

Imaginez une carte du Québec remplie de centaines de points lumineux qui s’éteignent un à un. Telle est l’image qui décrit le mieux l’extinction de plus en plus accélérée des voix médiatiques locales avec, pour conséquence ultime, une atteinte importante et irréversible à la démocratie.

Avec la disparition des médias locaux survient une dévitalisation sociale des collectivités.

Ces médias, dans leur milieu respectif, jouent un rôle crucial sur le plan démocratique en traitant de nombreux enjeux qui touchent les différentes collectivités. Ils assurent une représentation des voix discordantes et la surveillance des élus, qui eux gèrent les fonds publics. Une étude américaine publiée en 2018 démontrait que la fermeture de médias locaux a un effet direct sur la valeur des contrats publics octroyés. Plus précisément, les coûts des emprunts à long terme contractés par les autorités municipales sont, en moyenne, de 0,55 % à 1,1 % plus élevés là où il n’y a plus de journal pour surveiller les dépenses publiques. Les chercheurs ont déterminé que cette différence n’était attribuable à aucun autre facteur économique. Bref, sans média local, il n’existe pas d’instance dans les petites localités pour exiger une reddition de comptes aux élus.

Qui plus est, la disparition des médias locaux a une incidence directe sur la participation citoyenne. Un consensus semble se dégager autour du fait qu’en infor­mant le public des multiples facettes d’une situation, un média contribue à la vitalité politique de son milieu. Un sondage, réalisé en février 2018 par Angus Reid Forum, révélait que 94 % des répondants estimaient que les médias jouent un rôle important pour renforcer la démocratie. Cela a été maintes fois démontré : dans les régions où les citoyens ont davantage accès à de l’information locale, les taux de participation au vote sont plus élevés. En effet, plus les gens sont informés sur ce qui se passe chez eux et sur les enjeux d’une élection, plus ils se sentent interpellés et plus ils ont tendance à exprimer leur opinion en allant voter.

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En décrivant les initia­tives locales, en laissant la place à des débats, en rappelant des moments et des personnages marquants de l’histoire locale, les médias posent les balises d’une identité qui carac­térise leurs collectivités.

Dans un autre ordre d’idées, les médias sont également des acteurs de construction identitaire locale, des adjuvants à la cohésion sociale et une agora populaire où s’échangent les idées. En décrivant les initia­tives locales, en laissant la place à des débats, en rappelant des moments et des personnages marquants de l’histoire locale et en usant de référents propres à la région, les médias posent les balises d’une identité et d’une culture qui carac­térisent leurs collectivités. De ce fait, ils agissent comme témoins de l’Histoire alors même qu’elle se déroule, et le produit du travail des journalistes locaux garnit ensuite les archives des sociétés d’histoire locales.

Les grands médias ne tiennent pas suffisamment compte des régions. Une tournée du Conseil de presse du Québec dans les différentes régions de la province a en effet permis de mettre en lumière une certaine frustration chez les citoyens, qui jugeaient que la faible proportion de nouvelles régionales dans les grands médias nationaux était nuisible au débat public et minimisait l’importance des préoccupa­tions locales. Pire, ils déploraient l’image, parfois caricaturale, que dressaient ces médias des régions du Québec.

Enfin, les médias locaux parviennent à venir en aide à plusieurs citoyens en dénonçant des anomalies et des injustices ou, tout simplement, en faisant diffuser leur histoire particulière.  Dans certains cas, ils permettent à des gens qui ont épuisé les recours usuels d’obtenir l’aide espérée ou de mettre un terme à une situation problématique.

Quand on prend en compte tous ces apports, on peut affirmer sans détour que des millions de Canadiens ignoreraient carrément ce qui se passe chez eux s’ils devaient se passer des médias locaux. C’est ce qui est arrivé par exemple à la municipalité de Kapuskasing, dans le nord de l’Ontario, où le vide laissé par la fermeture du seul média écrit est maintenant occupé par des rumeurs et de fausses informations. Nul doute qu’une telle situation se reproduira dans les régions qui deviendront des déserts médiatiques, si l’hémorragie n’est pas endiguée. Les différents rôles que jouent les médias d’information locaux, aussi divers qu’ils soient, contribuent à faire de chaque Canadien un meilleur citoyen en lui permettant d’avoir les outils nécessaires pour comprendre la société qui l’entoure et y participer pleinement.

En ce sens, les médias locaux produisent un contenu qu’il est légitime de considérer comme un bien public ; il importe donc, collectivement, de les soutenir et d’en assurer la pérennité.

Photo : Unsplash / Amador Loureiro


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Marie-Ève Martel
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