Au Québec, la Société des alcools (SAQ) fait du marketing ciblé pour vendre ses produits alcoolisés, et Loto-Québec utilise l’argent public pour promouvoir le jeu. À l’opposé, de nombreuses restrictions limitent sévèrement toute forme de promotion des produits issus du cannabis. En analysant le traitement que l’État québécois réserve à ces trois « vices » que sont l’alcool, le jeu et le cannabis, on ne peut que constater que les politiques publiques du gouvernement du Québec sont incohérentes et font l’objet d’un double discours injustifiable.

Pour leur publicité, Loto-Québec et la SAQ jouissent toutes deux de budgets de plusieurs millions de dollars, alors que la Société québécoise du cannabis (SQDC) n’en a aucun. Ainsi, la SAQ offre gratuitement une carte de fidélisation (Inspire) et profite de la grande visibilité que lui offrent le Magazine SAQ (auparavant Tchin Tchin) ― version papier et électronique ― et son très efficace site Web, alors que la promotion des produits et des fournisseurs de la SQDC est pratiquement interdite. L’objectif avoué : ne pas encourager la consommation de ces produits perçus comme nocifs pour la santé. Comment justifier cette importante différence de traitement ? Selon nous, il faut établir dans quelle proportion la population risque d’être fortement touchée par la consommation de ces trois produits. Voici les conclusions tirées de la littérature en la matière.

L’alcool : environ 83 % des Québécois de 15 ans ou plus consomment de l’alcool, mais surtout, plus de 25 % de la population dépasse chaque mois les niveaux de consommation qui présentent un faible risque pour la santé. De plus, 6 à 7 % des Québécois consomment chaque semaine des quantités excessives d’alcool, s’exposant ainsi au risque d’avoir de graves problèmes de santé à long terme.

Le jeu : la proportion de joueurs qui courent un risque modéré de développer un problème de jeu est de 1,4 %, alors que celle des joueurs pathologiques s’établit à 0,4 %. Autrement dit, près de 1,4 % des personnes qui s’adonnent à des jeux de hasard et d’argent sont à risque de se trouver en difficulté par rapport à cette habitude, et 0,4 % des joueurs souffrent d’une dépendance compulsive à ces jeux, qui a des conséquences négatives pour leur vie et leur entourage.

Le cannabis : 15,2 % des Québécois de 15 ans et plus ont consommé du cannabis au cours de l’année, et 43,3 % des Québécois disent l’avoir fait au moins une fois dans leur vie. De plus, 5 % de la population en font une utilisation régulière (au moins une fois par semaine) et ont donc un mode de consommation qui pourrait causer des problèmes de santé. On évalue à 6,4 % le pourcentage de la population québécoise qui éprouvera au moins une fois dans sa vie des problèmes liés à sa consommation de cannabis.

Durant le plus récent trimestre, les dépenses en publicité et en promotion de la SAQ et de Loto-Québec étaient très importantes : celles de la SAQ atteignaient plus de 5 millions de dollars (du 16 septembre 2018 au 5 janvier 2019) et celles de Loto-Québec s’élevaient à 10,5 millions (du 1er octobre au 31 décembre 2018). Des sommes substantielles sont ainsi investies dans la promotion de l’alcool et de jeux de hasard et d’argent, même si ces produits présentent des risques sérieux pour la santé individuelle et publique, qui sont au moins tout aussi importants que ceux liés à l’usage du cannabis. Mais de toute évidence, ce ne sont pas ces risques potentiels qui dictent la décision de l’État de faire ou non la promotion de ces produits.

Le traitement que l’État québécois réserve au cannabis est tout simplement incohérent par rapport à celui qu’il accorde au jeu et à l’alcool.

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Le traitement que l’État québécois réserve au cannabis est tout simplement incohérent par rapport à celui qu’il accorde au jeu et à l’alcool. En effet, il est difficile de ne pas y voir des relents du paternalisme étatique qui a mené à la criminalisation initiale du cannabis. Au début du 20e siècle, la prohibition du cannabis visait à éradiquer des comportements que l’on jugeait alors « immoraux et malsains », un argument qui avait aussi été évoqué contre l’alcool. Or il semble que c’est ce même raisonnement qui guide aujourd’hui l’État, quoiqu’on sait maintenant que le cannabis n’est pas plus addictif ni nécessairement plus dommageable pour la santé que l’alcool. Bien sûr, des campagnes de prévention existent, mais encore là, on y trouve un double discours. Alors que la SAQ a versé 3,3 millions de dollars à Éduc’alcool pour la prévention de l’abus d’alcool, le gouvernement fédéral a déjà investi plus de 45 millions de dollars pour la prévention liée à l’usage du cannabis. Pourtant, les risques ne concordent pas avec ce déséquilibre sur le plan des moyens.

On peut toutefois proposer une lecture plus indulgente et penser que les dirigeants anticipent peut-être une hausse significative de la consommation du cannabis à la suite de sa légalisation, ce qui justifierait ce double discours. Or les expériences à l’international, notamment chez nos voisins du Sud, montrent que la légalisation de la consommation personnelle n’a pas entraîné une hausse substantielle de la consommation, qui n’est, dans le pire des cas, qu’en légère augmentation. Et tout récemment, Statistique Canada confirme que le Canada ne fait pas exception à ce chapitre.

Nous pensons que les politiques gouvernementales entourant le cannabis doivent pouvoir se comparer à celles qui réglementent l’alcool et au jeu. À l’heure actuelle, cette comparaison révèle un double discours qui se justifie très mal, puisque l’argument concernant la santé publique ne tient pas la route : si on accepte que l’État fasse la promotion de l’alcool et du jeu ― ou qu’il permette à certains d’en faire la promotion, comme c’est le cas pour l’alcool ― et qu’il en tire profit, on voit mal comment cela ne devrait pas aussi être permis pour le cannabis. Mais cela signifie-t-il qu’il faudrait promouvoir le cannabis au même titre que l’alcool ? La SQDC devrait-elle développer son propre magazine ? Pas nécessairement.

En fait, on peut critiquer ce double discours qui touche le cannabis tout en remettant en question les politiques entourant l’alcool et le jeu. On peut notamment désapprouver le fait que la promotion de ces « vices » serve à maximiser les revenus d’une société d’État. Par exemple, on est en droit de se demander si, comme société, il est moralement acceptable que des millions de dollars, qui pourraient servir à autre chose, soient utilisés pour cibler des citoyens plus susceptibles de consommer de l’alcool ou de s’adonner à des jeux de hasard, surtout à l’ère du microciblage. Bref, nous ne pensons pas qu’il faut traiter ces substances à la légère et laisser les consommateurs seuls face à des stratégies de marketing qui ont pour seul but d’encourager la consommation de produits qui présentent bel et bien des risques importants pour la santé ; nous croyons plutôt qu’en tant que société, nous devons tenter de trouver le difficile équilibre entre une prévention à la hauteur des risques que représentent ces produits, le respect du choix des consommateurs et la santé publique.

Photo : Sous l’œil des médias et entourés de curieux, des clients font la queue devant le magasin de la Société québécoise du cannabis, rue Ste-Catherine, à Montréal, le 17 octobre 2018. Shutterstock / EQRoy


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