Mercredi, 9 novembre 2016. Les négociateurs et participants à la 22e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP22), qui s’est ouverte l’avant-veille à Marrakech, se réveillent avec la gueule de bois : le 45e président des États-Unis est un climatosceptique. Donald Trump l’a emporté dans les États industriels et manufacturiers traditionnels, les États « extractivistes », porte-étendards de la révolution de la fracturation. L’industrie à grande intensité carbonique ressort largement victorieuse de cette élection. Dans un article de Forbes, le professeur d’études urbaines Joel Kotkin en tire une loi de portée générale : plus un État repose sur une économie à grande intensité carbonique, plus les voix de ses électeurs se sont reportées sur les républicains. En bref, plus un État est émetteur de gaz à effet de serre (GES), plus il a voté Trump.

Plombés par cette nouvelle, les États participants n’en ont pas moins multiplié les annonces et les affichages. Réaffirmant de façon solennelle leurs ambitions, des pays comme la France ou encore l’Allemagne ont annoncé poursuivre un objectif de neutralité carbonique à l’horizon 2050. À travers l’initiative 2050 Pathways, ce sont 22 pays — dont les États-Unis, le Canada, le Brésil, le Japon, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni —, mais également 15 grandes villes, 17 régions et 196 entreprises qui sont engagés dans cette voie. D’ici 2020, chacun des acteurs s’étant joints à cette plateforme produira une feuille de route des mesures qu’il prévoit de prendre en vue de réduire drastiquement ses émissions de GES à long terme. Faisant figure de chef de file, l’Allemagne s’est déjà prêtée au jeu en présentant un plan, secteur par secteur, pour réduire ses émissions de CO2 de 80 à 95 % (par rapport à 1990) d’ici 2050.

En contraste avec l’ère Harper, où le Canada faisait figure de cancre, le nouveau gouvernement de Justin Trudeau a amorcé un changement de cap dans l’action climatique du pays. Depuis son entrée en fonction, la ministre fédérale de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, n’a de cesse de positionner le Canada comme leader mondial de la lutte contre les changements climatiques. Lors de la COP22, elle a réitéré son engagement à faire du Canada un chef de file de l’action climatique. Les annonces officielles se sont succédées : plan de tarification de la pollution par le carbone ; investissement de près de 1,8 milliard de dollars en vue de soutenir des solutions en matière d’énergie propre et renouvelable ; réduction de 80 % des émissions de GES d’ici 2050 (toujours par rapport à 1990) ; fermeture de toutes les centrales au charbon d’ici 2030.

En dépit de ces engagements, le Canada peine à rattraper le retard accumulé sous le gouvernement conservateur et demeure à la traîne pour ce qui est de résultats concrets. L’édition 2016 duClimate Change Performance Index maintient le Canada en bas du classement international à la 56e position (il était à la 58e en 2015), juste devant la Corée, le Japon et l’Australie. Mis au point par Germanwatch et Climate Action Network Europe il y a près de 11 ans, cet index se fonde sur une série d’indicateurs, notamment le niveau des émissions de GES des pays, la part des énergies renouvelables dans leur mix énergétique, leurs résultats en termes d’efficacité énergétique ainsi que les objectifs de leurs politiques publiques.

Le Canada peut toutefois compter sur le Québec pour lui montrer la voie. Outre la mise en place d’un marché du carbone avec la Californie, auquel l’Ontario se joindra sous peu, le Québec s’est doté de politiques ambitieuses visant à réduire ses émissions de GES de 37,5 % sous le niveau de 1990 d’ici 2030, puis de 80 à 95 % d’ici 2050, et à s’engager dans la transition énergétique. Il prévoit ainsi d’améliorer de 15 % l’efficacité énergétique, de réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers consommés, d’éliminer l’utilisation du charbon thermique et d’accroître de 25 % la production totale d’énergies renouvelables, tout en augmentant de 50 % la production de bioénergie. Avec une production d’électricité renouvelable à 99,8 % et en tant que faible émetteur de GES, le Québec est reconnu à l’échelle internationale comme chef de file de la lutte contre les changements climatiques et de la transition énergétique. Au-delà de l’action gouvernementale, la province se distingue aussi par la mobilisation de la société civile. À titre d’exemple, Fondaction CSN et la COOP Carbone ont annoncé à l’occasion de la COP22 la création d’un Fonds carbone doté de 20 millions de dollars. Il servira à financer des projets de réduction des GES en prenant en garantie les crédits compensatoires qui seront générés.

« COP de la détermination » pour certains, « COP du consensus mou » pour d’autres, la conférence s’est clôturée sur un bilan contrasté. Annoncé comme une COP de l’action, Marrakech n’a pas permis de prendre de l’avance et de gagner du temps. Si le test de résilience de l’Accord de Paris a été couronné de succès après l’élection de Trump qui laissait entrevoir le pire, la COP22 ne semble pas avoir pris la mesure de l’urgence d’un passage immédiat à l’action. La Proclamation d’action de Marrakech est très révélatrice à cet égard. Rédigée en termes généraux et vagues, cette déclaration se cantonne à rappeler l’engagement des États sans toutefois le traduire en mesures concrètes. Le message est politique, le pragmatisme n’en faisait pas partie.

Au final, peu de décisions ont été prises, si ce n’est la fixation de l’ordre du jour des années à venir. Sur le financement, de lourdes incertitudes subsistent. Les 100 milliards de financement annuel du Fonds vert sont bien sur la table, mais on ne dispose toujours pas de détails sur la provenance des sommes et la manière dont elles seront employées. La COP22 de Marrakech reste une conférence technique sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris dont les règles devront être finalisées en 2018. Il n’est plus question de la COP 23 qui aura lieu à Bonn, les yeux sont déjà rivés sur la COP24 qui devrait sonner le glas de cette phase de temporisation et l’heure de vérité de l’Accord de Paris. Des plans climatiques plus ambitieux seront attendus, alors que la somme des engagements nationaux pris pour 2030 (les fameux INDC ou « Intended Nationally Determined Contributions ») conduisent actuellement la planète vers un réchauffement de plus de 3 °C. Pour l’heure, les contributions annoncées sont donc largement insuffisantes pour maintenir le réchauffement climatique « bien en deçà de 2 °C ».

La mise en mouvement des forces vives 

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Peut-on réellement se permettre d’attendre encore deux ans pour que l’action concertée s’enclenche ? Devant les limites de nos systèmes politiques inadaptés à la transition qui s’engage, les COP ne constituent pas l’alpha et l’oméga de l’action climatique tant à l’échelle internationale que locale. « La mise en mouvement des forces vives » (l’expression est de Ségolène Royal) — entreprises, territoires, citoyens — est primordiale pour relever les grands défis mondiaux.

Qu’est-ce qui freine cette mise en mouvement pourtant déjà bien engagée ? Notre approche du changement climatique ne serait-elle pas en cause ? Avons-nous conscience du poids des mots et de leur pouvoir sur notre engagement en matière climatique ? De fait, lorsqu’on parle de climat, il est avant tout question d’éviter la catastrophe annoncée, ou a minima, d’en réduire l’intensité. En mettant en avant des termes comme « lutte contre les changements climatiques » ou « crise climatique », c’est à notre impuissance que nous nous confrontons. Aucune perspective positive ne peut être attendue. Du moins, c’est ce qu’on en retient.

Pourtant, à travers le monde, il existe déjà un foisonnement d’initiatives locales inspirantes, ingénieuses, créatives, novatrices qui prônent un avenir à faible intensité carbonique. Mentionnons, à titre d’exemples, la création dans plusieurs villes européennes du Fonds pour la démocratie d’initiative citoyenne faisant la part belle à l’action climatique, le déploiement de territoires « à énergie positive » et « zéro déchets », la multiplication des mouvements prônant le passage à des villes « sobres en carbone », à l’instar de la Coalition Climat Montréal. Citons également les initiatives exemplaires d’entreprises comme la RE100, lancée à l’occasion de la semaine du climat à New York en 2014, dans le cadre duquel plusieurs grandes entreprises s’engagent à adopter 100 % d’énergies renouvelables dans leur mix électrique. Les initiatives existent bel et bien. Le mouvement est en marche.

Cependant, ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres. C’est pourquoi il s’agit désormais de les collecter, de les répertorier, de les relier. C’est toute la démarche de la plateforme Nazca qui recense les initiatives prises dans le cadre du Plan d’action Lima-Paris, lancé au Pérou lors de la COP20. Affichant déjà près de 12 600 engagements de villes, régions, entreprises, investisseurs et organisations de la société civile, cette plateforme constitue une toute première étape essentielle en vue de créer des synergies entre les initiatives existantes à l’échelle internationale et de tester de nouvelles pistes porteuses d’espoir. Grâce à ce type de démarches, on favorise également les échanges et collaborations, on tente de dépasser la logique de silos à l’oeuvre.

Mais ne nous y trompons pas. Si les initiatives locales ascendantes et décentralisées doivent impérativement être encouragées, rien ne se fera sans la mise en place de politiques publiques intégrées, ambitieuses et structurées. Ces dernières ont un rôle majeur à jouer dans ce changement de paradigme au service des énergies renouvelables, de la transition énergétique et de l’entreprenariat climatique. Adopter un cadre politique fédérateur autour d’une économie circulaire (où les biens en fin de vie sont considérés comme des ressources qui peuvent être réintroduites dans le cycle de production/consommation) et à faible intensité carbonique, c’est avant tout s’assurer de répondre aux enjeux environnementaux et climatiques tout en offrant à la société les outils indispensables à sa résilience et à sa créativité. C’est favoriser la création d’emplois tout en réduisant les dépenses des entreprises et leurs émissions de GES. C’est aussi redonner du sens à l’action climatique. Et quoi de mieux pour inciter la nouvelle génération à s’engager et à agir concrètement que de proposer un projet de société fédérateur qui réponde à sa soif d’entreprendre, à son souci de l’environnement et du climat tout en lui redonnant espoir ?

Photo : dugdax/Shutterstock.com


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