En juin dernier, une étude de Statistique Canada sur le financement des universités révélait que les revenus et les dépenses des universités canadiennes avaient atteint des niveaux sans précédent en 2001-2002, soit 16,9 milliards de dollars (dépenses de 17 milliards de dollars), une hausse de plus de 28 p. 100 en 15 ans.

Bien que l’État assume encore la majeure partie des coëts de système (66 p. 100 des revenus des universités au Québec en 2001-2002, comparativement à 47,8 p. 100 en Ontario et 55 p. 100 en moyenne au Canada), la contribution publique a diminué au fil des années. Depuis 1986, les gouvernements provinciaux ont réduit leur contribution aux fonds de fonctionnement des universités de 4,5 p. 100, alors que les dépenses totales des universités augmentaient de 28 p. 100. Cet écart a été en partie comblé par les revenus provenant de l’augmentation des clientèles (en hausse de 18 p. 100 au cours de cette période) et des frais de scolarité mais aussi par l’apport de dons et commandites de sources privées. Entre 1986 et 2001, les revenus de sources privées ont progressé de 167 p. 100 au Canada, en provenance principalement des étudiants par l’entremise de hausses des droits de scolarité. La part des revenus provenant de la poche des étudiants a ainsi doublé depuis 10 ans.

Le Québec se distingue à ce niveau puisque, à l’heure actuelle, les droits de scolarité y sont gelés. Ces droits s’établissent à 1 668 $ pour un étudiant québécois à temps plein au baccalauréat, alors que la moyenne canadienne est de 3 738 $. Au Québec, les droits représentent en moyenne 10,9 p. 100 des revenus des établissements, la part la plus faible de toutes les provinces. Dans l’ensemble du Canada, ils comptent en moyenne pour 19.7 p. 100 (22,3 p. 100 en excluant le Québec). En somme, les étudiants canadiens assument pratiquement le double de ce que les étudiants québécois assument.

Certains ont suggéré qu’il incombe à l’État d’expliciter une politique générale des universités qui tienne compte notamment de la part des coëts réels reliés aux études que devrait assumer l’étudiant lui-même (et les autres acteurs). Malheureusement, cette question est trop peu débattue au Québec et a été ignoré dans la politique des universités proposée par l’ex-ministre Legault.

Dans la mesure où le niveau de fréquentation universitaire tend à progresser et qu’il est nécessaire pour les établissements de pouvoir répondre à la demande en disposant d’un financement adéquat pour réaliser leur mission et demeurer concurrentiels face à leurs vis-à-vis ontariens et américains, il devient urgent de s’interroger sur la part de la facture qui doit être assumée par chacun des acteurs en jeu, nommément l’État, les étudiants et le secteur privé. Nous aborderons cette problématique sous l’angle de l’évolution des coëts de système, de la participation des étudiants et du secteur privé, ainsi que des tendances récentes observées ailleurs dans le monde relativement à de nouvelles formes de financement et d’organisation.

Il existe plusieurs approches au financement universitaire. Ainsi, à une extrémité du continuum, l’université de type « public », financée à 100p. 100 par l’État ; à l’autre, l’université « privée », financée à 100 p. 100 par le secteur privé (étudiants, entreprise privée et autres sources de financements non publiques).

Au Québec, nos établissements se situent entre les deux types mais sont davantage publics, puisque les deux tiers des revenus des universités proviennent de l’État. La situation est similaire ailleurs au Canada, où la part assumée par les gouvernements varie de 42 p. 100 à 64 p. 100.

Aux États-Unis, on retrouve beaucoup d’établissements de type privé ou à tendance privée, les étudiants assumant alors une part accrue du coët de leurs études universitaires et les établissements disposant parfois de revenus colossaux provenant de leurs fondations. Par exemple, l’Université Harvard dispose d’un fonds de dotation de plus de 17 milliards de dollars. Les subventions gouvernementales ne comblent alors qu’une partie marginale des coëts d’opération. Dans les établissements dits publics, une étude comparative entre l’Ontario et les États-Unis menée par le Conseil des universités de l’Ontario et rendue publique en décembre 2000 a permis de constater, dans un échantillon de près de 130 établissements publics américains, que les divers paliers de gouvernement assument en moyenne 54 p. 100 des revenus d’opération (60 p. 100 des revenus en incluant les subventions et contrats de recherche), alors que l’étudiant américain assume l’équivalent de 26 p. 100 des revenus totaux, par des droits de scolarité moyens de l’ordre de 5 900 $ CAN. De fait, l’étudiant américain inscrit dans une université publique paie environ trois fois moins cher que dans un établissement privé équivalent, où les frais sont en moyenne de 14 000 $ (« baccalaureate ») et 19 700 $ (« research and doctoral »).

De la même façon, dans les différents pays de l’Union européenne, où la fréquentation universitaire est en croissance depuis 20 ans, les étudiants ne contribuent pas tous également au financement de l’enseignement supérieur. Dans près de la moitié des pays de l’Union, les faibles droits de scolarité ou encore les généreuses aides financières font en sorte que l’accès peut être considéré comme gratuit. C’est le cas au Danemark, en Grèce, au Luxembourg, en Autriche, en Finlande, en Suède, en Norvège et en Allemagne (à l’exception de deux régions). Certains pays, par contre, tels la Grèce et le Royaume-Uni, limitent l’accessibilité autrement, souvent par des examens d’entrée.

Dans les autres pays de l’UE, les étudiants assument davantage de droits de scolarité et d’inscription et/ou des cotisations aux organisations étudiantes. En Belgique, en Espagne, en France, en Irlande, en Italie, aux Pays-Bas, au Portugal, au Royaume-Uni et en Islande, les étudiants paient des droits de scolarité ou d’inscription à leur établissement, parfois des cotisations supplémentaires, comme une assurance médicale et l’allocation sociale en France. Par ailleurs, dans le cas de la France, il faut distinguer les établissements d’enseignement supérieur publics et privés. Les universités et écoles publiques sont pour ainsi dire gratuites (quoique l’on exige des droits dans certains programmes, par exemple 3 700 euros pour une licence en administration à l’université de Paris) alors que les écoles privées, comme certaines écoles d’ingénieurs et les grandes écoles de commerce (par exemple HEC-Paris, ESCP), exigent des droits de scolarité élevés (par exemple 6 900 à 15 000 euros, soit entre 10 000 $ et 25 000 $, pour une maîtrise et plus de 27 000 à 30 000 euros, ou 40 000 $ à 60 000 $, pour un MBA). Depuis 1998, au Royaume-Uni, les étudiants défraient des droits de scolarité en fonction de leurs ressources (plafonnés à environ 2 500 $) et la tendance penche vers une privatisation accrue.

En contrepartie, les étudiants peuvent dans certains pays, bénéficier de systèmes d’aide financière plus généreux, sous forme de prêts ou bourses, certains pays favorisant plutôt l’un ou l’autre, parfois exclusivement. Ainsi, les étudiants français bénéficient davantage d’aide sous forme de bourses, en plus de programmes d’allocations familiales et d’allocations de logement (non incluses dans les statistiques de financement). Mais par rapport à la moyenne des pays de l’Union européenne, la France, comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Grèce, l’Espagne et le Portugal octroient relativement moins de ressources sous forme d’aide financière aux étudiants que les pays nordiques mentionnés précédemment.

La part des dépenses publiques consacrées à l’éducation en Europe varie peu d’un pays à l’autre, la moyenne jouant autour de 11 p. 100 des budgets de l’enseignement (l’éducation supérieure englobe environ le cinquième de ce budget, avec relativement peu d’écart d’un pays à l’autre). Au Canada, l’éducation englobait 12 p.100 des dépenses publiques en 2000, en baisse par rapport à 1995, alors qu’elle comptait pour 13,6 p. 100 des dépenses. Le fait que le Canada consacre une plus grande part de son PIB à l’enseignement supérieur que la moyenne des pays de l’OCDE s’expliquerait par un taux de fréquentation généralement plus élevé que dans les autres pays et non par une générosité relative du financement public ou par l’inefficience relative de la gestion universitaire. En Europe, les coëts moyens d’opération sont de l’ordre de 6 200 euros par étudiant (soit près de 10 000 $ CAN), un peu moins qu’au Canada (11 500 $).

Notons que, en Europe, la contribution des étudiants aux coëts des systèmes d’éducation supérieure a augmenté depuis 20 ans, de l’ordre de86 p. 100. Ironiquement, le taux de fréquentation a aussi augmenté, de l’ordre de 30 p. 100. Ceci nous permet de croire que, malgré le fait que la hausse de fréquentation puisse être influencée par d’autres facteurs, l’augmentation des droits de scolarité n’a pas eu l’impact que certains craignaient sur l’accessibilité aux études supérieures.

Au Canada, on observe également des hausses de fréquentation. Alors que le ministère de l’Éducation du Québec anticipait en 2001 un plafonnement suivi d’un déclin de la fréquentation universitaire, c’est l’inverse qui s’est produit; la fréquentation a continué d’augmenter. D’ailleurs, les universités canadiennes prévoient que, d’ici 2010, la fréquentation universitaire croîtra de 20 à 25 p. 100, soit une croissance d’environ 3 p. 100 par année. Les établissements devront répondre à cette demande et assumer les coëts de cette croissance.

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Dans ce contexte, une question fondamentale se pose : qui doit assumer le coët de l’éducation universitaire et dans quelle proportion? Si, au Québec, nous avons historiquement fait supporter la majeure partie des coëts de système par l’État, la situation est parfois très différente ailleurs.

Il existe d’autres avenues de solution, d’autres modèles en émergence, par exemple des modèles dits « entrepreneuriaux » où l’établissement agit littéralement comme une entreprise privée qui décide de ses orientations, de ses modes de financement, des droits de scolarité, etc.

Également, certains cas originaux de partenariat avec le privé illustrent la possibilité de faire supporter une partie des coëts d’opération des universités par l’entreprise privée. Après tout, celles-ci bénéficient de la main d’œuvre qualifiée formée à l’université. L’Inde, la Chine et les États-Unis sont des exemples où le secteur privé est bien implanté dans les affaires universitaires et y contribuent de façon substantielle.

Dans ces pays, on constate une présence accrue du secteur privé dans le financement d’institutions à but lucratif ou non, à des partenariats d’affaires en vue de fournir une formation spécialisée, etc. Dans certains cas, l’université se comporte comme une entreprise privée, avec de grands pouvoirs décisionnels, l’ouverture sur le financement par émission d’actions ou d’obligations, etc.

Mais si l’on peut craindre la place de plus en plus grande du secteur privé dans les affaires universitaires et l’impact sur l’autonomie intellectuelle notamment, il n’en demeure pas moins que ces avenues de solution permettent dans certains cas de répondre au problème du sous-financement, en plus de permettre l’allégement de la reddition de comptes envers un État dont la présence est de plus en plus marginale. Des solutions comme la création d’une fondation universitaire pourraient permettre de préserver l’autonomie des universités et de répartir équitablement les sommes recueillies auprès du privé.

La question des droits de scolarité est incontournable, non parce qu’une libéralisation des droits est inévitable mais parce que la question doit faire l’objet d’une réflexion objective et d’une prise de position de l’État québécois en tenant compte du contexte actuel et non seulement des traditions et des politiques sociales passées. Nous vivons de plus en plus dans un monde décloisonné où les établissements se font concurrence. Cette concurrence se vit entre les établissements québécois mais aussi et surtout avec les universités ontariennes et celles des autres provinces, de même qu’avec les institutions américaines et françaises, qui disposent d’une réputation enviable et de moyens financiers considérables pour attirer étudiants et professeurs de haut niveau. En général, ces dernières jouissent d’une plus grande marge de manœuvre pour chercher du financement privé et pour décider des droits de scolarité.

Si nos universités souhaitent le dégel des droits de scolarité, c’est pour disposer de moyens financiers accrus pour continuer à recruter et retenir du personnel compétent, disposer d’infrastructures répondant aux besoins et offrir un enseignement et des services de qualité et non pas pour compenser des réductions de subventions gouvernementales comme c’est le cas en Ontario. Un argument supplémentaire en faveur du dégel, outre l’incapacité de l’État à répondre aux besoins des universités, est que le diplôme universitaire est pour l’étudiant un investissement qui lui rapportera plus tard. L’OCDE calcule que le taux de rendement de cet investissement pour l’étudiant canadien est de 8 p. 100 pour les hommes et 9,6 p. 100pour les femmes. Bien sër, l’État (et l’entreprise privée) bénéficiera également de cet investissement puisque chaque diplômé sera bientôt un travailleur qui contribuera à l’avancement de la société et paiera des impôts. Chacun y trouve donc son compte.

La libéralisation des droits peut prendre plusieurs formes : dégel progressif ou total ; libéralisation des droits des étudiants étrangers, qui comptent pour une part marginale mais de plus en plus importante des contingents (et des revenus des établissements) ; différenciation des droits dans certains programmes d’études spécifiques, comme pour les programmes de certificat, de MBA ou d’éducation aux adultes, voire dans les programmes contingentés, en misant sur la réputation de l’institution pour justifier les frais plus élevés et attirer les meilleurs étudiants. Cette approche de frais différenciés est appliquée en Ontario. Mais le Conseil supérieur de l’éducation du Québec s’y est déjà opposé, de la même façon qu’il s’oppose à une différenciation des frais selon l’espérance de revenu (la tendance émergente en Ontario), en fonction du niveau d’instruction ou spécifique à l’éducation aux adultes. Malgré tout, on constate que les contraintes budgétaires vécues par nombre d’établissements à travers le monde font en sorte que ces tendances sont en émergence.

En comparant les chiffres sur les droits de scolarité avec les autres provinces et les États-Unis, on voit bien que les droits au Québec sont parmi les plus faibles au monde. Et l’argument voulant que toute augmentation nuise à l’accessibilité aux études ne semble pas s’appuyer sur des bases très solides. Ainsi, le gel des frais de scolarité au Québec durant 20 ans n’a pas eu d’impact majeur sur la fréquentation comparativement celle des autres provinces où les frais étaient plus élevés. D’ailleurs, au cours des années 1990, l’achalandage a diminué, passant de 171 000 EEETP en 1992-93 à 161 000 EEETP en 1999-2000, les facteurs démographiques et conjoncturels, comme les perspectives d’emploi, expliqueraient mieux ces variations. Même parallèle avec l’Australie, où, avant la récente tendance à la privatisation, on avait aboli les frais de scolarité sans que l’on ne constate d’impact sur la fréquentation ou la composition des effectifs étudiants. Quant à savoir si l’impact est significatif sur les étudiants issus de milieux défavorisés, il semble que les études ne soient pas concluantes et ne permettent pas de croire que l’accessibilité est affectée par le niveau des droits (du moins jusqu’à un certain niveau).

Par contre, une hausse des droits de scolarité se traduirait très certainement par une hausse de l’endettement étudiant. Le gouvernement provincial ontarien estimait en 1999 que le fardeau «acceptable» pour un étudiant devrait être de 35 p. 100 du coët réel de ses études (face au désengagement de l’État, ce fardeau dans les faits est maintenant au-delà de 41 p. 100, voire 50 p. 100 dans certains cas, en Ontario et ailleurs au Canada). Au Québec, le fardeau est de l’ordre de 20 p. 100. La moyenne nationale est de l’ordre de 30 p. 100. Au terme de ses études, un étudiant québécois, après trois ans au baccalauréat, aurait actuellement une dette cumulée d’environ 10 800 $. En Ontario, sa dette serait de 14 400 $.

Néanmoins, il n’est pas certain qu’un endettement accru soit aussi alarmant que certains voudraient le croire. Une étude de Ross Finnie pour le compte de l’Institut C.D. Howe a montré que l’augmentation du niveau d’endettement des étudiants ne se traduit pas forcément en difficultés accrues à rembourser leurs dettes, ces derniers allant même jusqu’à emprunter plus lorsque c’est possible. L’auteur propose plutôt de développer et d’améliorer le système d’aide financière afin de permettre une distribution plus juste de cette aide, qu’elle soit plus accessible à ceux qui en ont réellement besoin et gérée de façon plus efficiente avec des modalités de remboursement plus flexibles. D’autres témoignages, s’inspirant de l’endettement en Ontario et dans les Maritimes, où les défauts de paiement sont plus élevés, suggèrent également un train de mesures visant à protéger les étudiants d’un endettement excessif. Il faut donc revoir le système d’aide financière aux étudiants et l’adapter à la réalité de chaque province et aux besoins réels des étudiants.

L’observation des tendances lourdes aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde démontre que la question du financement des études supérieures est débattue dans de nombreux pays et que les systèmes universitaires sont en changement et cherchent à s’adapter aux nouvelles réalités, que ce soit au niveau des sources de financement, de l’utilisation des nouvelles technologies, des nouveaux créneaux d’enseignement, de l’internationalisation des clientèles ou de la spécialisation des établissements.

La même démarche doit être entreprise au Québec pour faire en sorte que le financement des universités leur permette de s’acquitter de leur mission et d’améliorer leur réputation. Le financement doit être à la hauteur des objectifs à atteindre, objectifs qui sont par ailleurs spécifiés et évalués au niveau des contrats de performance. À l’heure où les gouvernements cherchent à se retirer du financement universitaire et où le financement de la santé, des services sociaux ou les baisses d’impôts sont des options concurrentes au financement de l’éducation, les établissements doivent se tourner vers d’autres sources de financement en s’inspirant des solutions adoptées dans plusieurs pays aux prises avec les mêmes défis. Il en va de la qualité de l’enseignement et de la recherche dans nos universités québécoises et, par conséquent, de la compétitivité de notre économie.

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