Les approches de gestion de l’eau centrées sur le territoire de l’État sont, pour la majorité des experts, révolues. Il en est de même pour la gestion sectorielle. C’est le principe de la gestion de l’eau par bassin versant qui est maintenant en vigueur dans la plupart des pays occidentaux.

Un bassin versant désigne l’unité spatiale délimitée par la ligne de partage des eaux et dans laquelle toutes les eaux de surface sont drainées vers un même cours d’eau jusqu’à son embouchure. La gestion par bassin versant consiste à mettre en place des dispositions relatives à la qualité et à la quantité basées sur la prévention. Il est ainsi question d’optimiser ou de contrôler les actions exercées sur la ressource en amont (prélèvement, pollution) pour préserver la ressource en aval.

Le concept de gestion intégrée de l’eau par bassin versant date des années 1930. Il s’est cependant largement développé depuis la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement tenue à Dublin en 1992. Promu par les organismes internationaux, il repose sur la construction d’une politique publique de l’eau « par le bas », adaptée aux spécificités propres à chaque bassin.

En France, ce principe s’est imposé au législateur dès 1964 : six agences financières de bassin ont ainsi été créées pour mettre en œuvre des programmes de dépollution des rivières. La gestion de l’eau en France est désormais largement décentralisée et participative à l’échelle des grands bassins hydrographiques. Au niveau des sous-bassins, 25 établissements publics territoriaux de bassin assurent la gestion de l’eau, et ils s’appuient sur des centaines de structures intercommunales locales chargées des études et des travaux (assainissement urbain, industriel et agricole, prévention du risque d’inondation, protection des zones humides, etc.).

La politique européenne de l’eau est basée sur le même modèle. La directive cadre sur l’eau 2000/60/CE prévoit ainsi la mise en place de la gestion par bassin versant, y compris pour les masses d’eau transfrontalières.

Aux États-Unis, ce modèle a rarement été appliqué jusqu’à présent, et lorsqu’il l’a été, c’était surtout pour atteindre des objectifs particuliers. C’était le cas, entre autres, pour la Tennessee Valley Authority, qui, dès 1933, avait fait construire de nombreux barrages dans la vallée du fleuve et avait des objectifs de gestion des niveaux d’eau et d’optimisation du potentiel hydroélectrique. Ce modèle de gestion était également préconisé dans le Watershed Management Act de 1998 dans l’État de Washinghton, centré sur la préservation des débits.

Au Canada, au contraire, de nombreuses provinces ont adopté la gestion intégrée, en particulier les Conservation Authorities en Ontario, le Watershed Planning Advisory Council en Alberta et la Saskatchewan Watershed Authority. Le gouvernement fédéral dit également vouloir renouveler la politique fédérale des eaux intérieures en s’appuyant notamment sur ce concept.

Cependant, c’est au Québec — où l’eau occupe aujourd’hui une place centrale — que le concept de gestion intégrée a été le plus formalisé, grâce à l’adoption en 2002, au terme d’un long processus, de la Politique nationale de l’eau.

Les enjeux de cette politique sont importants: l’eau est abondante au Québec, mais sa qualité est médiocre tant du point de vue biologique que physico-chimique dans les zones les plus densément peuplées, selon le ministère de l’Environnement du Québec. Les différentes pratiques — celles des producteurs agricoles, des industriels, des promoteurs immobiliers et des ménages — doivent impérativement être remises en cause.

Malheureusement, en choisissant dès le départ de ne pas soumettre les usagers à des redevances (ni pour la consommation, ni pour la pollution, ni même pour l’imperméabilisation des zones humides), le gouvernement québécois s’est trouvé dans l’embarras pour financer cette politique dont il est le principal bailleur de fonds. Il s’est ainsi privé d’un instrument incitatif qui passe pour être la clé de voûte de la gestion intégrée de l’eau. La solidarité de bassin entre les usagers est, en effet, d’abord financière. Ce chemin n’est toutefois pas écarté par les pouvoirs publics québécois. Par ailleurs, les organismes de bassin versant, qui ont été placés au centre du dispositif, jouent dans l’ensemble pleinement le rôle qui leur a été confié.

L’eau est abondante au Québec, répé2 tons-le. Dix p. 100 des 1 667 000 km du territoire québécois, soit trois fois la superficie de la France, sont recouverts d’eau douce. Le Québec recèle en outre environ 2000 km3 de réserves d’eau souterraine, 10 p. 100 des réserves étant disponibles dans les régions habitées. En revanche, la pollution industrielle et agricole n’est pas rare, en particulier dans les bassins versants des affluents du Saint-Laurent, les plus peuplés.

L’expansion des usines riveraines et le commerce du bois, notamment, ont détérioré durablement le Saint-Laurent. Le traitement des eaux usées, pluviales et de ruissellement est médiocre : en 2006, la ville de Québec était classée parmi les 50 plus gros pollueurs du Canada, comme l’a tout récemment rapporté René Pronovost, l’artisan des travaux de renaturation de la rivière Saint-Charles, lors du Rendez-vous international sur la gestion intégrée de l’eau, à l’Université de Sherbrooke. En fait, selon le Plan d’action Saint-Laurent Vision 2000, l’eau du fleuve n’était plus potable, les poissons étaient intoxiqués et certaines zones n’étaient plus propices à la baignade dès 1970. Divers programmes de lutte contre la pollution industrielle et domestique ont donc été lancés entre 1970 et 2000, à commencer par le Programme d’assainissement des eaux du Québec en 1978. Mais la pollution agricole risque de masquer les progrès enregistrés dans ces secteurs.

Depuis les années 1950, l’agriculture québécoise s’est modernisée au prix d’importants investissements réalisés par les exploitants, avec l’aval des pouvoirs publics. Les rendements ont beaucoup augmenté, au point que certaines filières sont en situation de surproduction. Ainsi, selon la Synthèse des informations environnementales disponibles en matière agricole, préparée par le ministère de l’Environnement du Québec (2003), « de 1951 à 2001, la population de volaille a presque triplé, passant de 11 à 29 millions de têtes alors que le cheptel porcin a quadruplé, passant de 1,1 à 4,3 millions de têtes. Durant la même période, les superficies de maïs ont été multipliées par quatorze… »

Les activités agricoles sont concentrées non loin des agglomérations, dans les basses-terres du Saint-Laurent où elles occupent de vastes territoires. De nombreuses pratiques — épandage de matières fertilisantes, utilisation massive de pesticides, pratiques culturales inadaptées aux contextes rivulaires, aménagements d’irrigation et de drainage nombreux — ont des répercussions néfastes sur les eaux souterraines et superficielles. L’érosion des sols est préoccupante : les fines transportent des nutriments et des pesticides qui colmatent par la suite les habitats du poisson et dégradent la qualité physico-chimique de l’eau.

En choisissant dès le départ de ne pas soumettre les usagers à des redevances, le gouvernement québécois s’est trouvé dans l’embarras pour financer cette politique dont il est le principal bailleur de fonds. Il s’est ainsi privé d’un instrument incitatif qui passe pour être la clé de voûte de la gestion intégrée de l’eau.

L’interpénétration des territoires urbains et ruraux entre Montréal et Québec accentue les difficultés. La périurbanisation prive les populations de stations d’épuration et de bassins de rétention naturels en réduisant la surface des zones humides. Certaines espèces aquatiques sont en voie de disparition en raison de la destruction de leur habitat. Il en est ainsi du chevalier cuivré (moxostoma hubbsi), poisson dont la répartition géographique se limite désormais à la rivière Richelieu, ou de l’ériocaulon de Parker (eriocaulon parkeri), plante menacée par la circulation de véhicules tout-terrain, l’agrandissement des zones de villégiature et la construction de routes et autres infrastructures.

Ces problèmes sont à l’origine d’une mobilisation croissante d’organisations non gouvernementales et de personnalités médiatiques en faveur du développement durable. Le succès de films documentaires dénonçant la mauvaise gestion des forêts et de l’agriculture au Canada, le débat houleux autour de la privatisation des services d’adduction d’eau potable et de l’exportation de l’eau vers les États-Unis, les inondations du Saguenay en 1996 et la catastrophe sanitaire de Walkerton en Ontario, en 2000, ont eu pour effet de sensibiliser davantage les responsables politiques québécois.

Conscients de l’hétérogénéité des règlements environnementaux et des lacunes dans la planification hydrologique, les pouvoirs publics se sont employés à développer une politique cohérente en matière d’aménagement et de gestion des eaux. La Politique nationale de l’eau pour le Québec (PNE) a été dévoilée le 26 novembre 2002 par le gouvernement de Bernard Landry. Elle met un terme à un long processus commencé sous de précédents gouvernements, dont le point de départ remonte à la mise en place de la Commission Legendre en 1970. Les premières expériences de gestion par basin versant, les travaux du Conseil de la conservation et de l’environnement (1993), le Symposium sur la gestion de l’eau au Québec (1997) et, enfin, le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (1999-2000) ont permis d’esquisser les contours de la PNE.

Cette politique a pour principal objectif de « réformer la gouvernance de l’eau au Québec » par la mise en place d’une gestion intégrée par bassin versant, et d’implanter la gestion intégrée du fleuve Saint-Laurent. Mais elle vise également à protéger la qualité de l’eau et des écosystèmes aquatiques, à poursuivre l’assainissement de l’eau, à améliorer la gestion des services d’eau et à favoriser les activités récréotouristiques relatives à l’eau.

La PNE s’inspire à la fois du modèle de gestion américain (contractualisation) et du modèle français (planification à l’échelle des principaux bassins hydrographiques). Ainsi, dans 33 bassins versants jugés prioritaires par les autorités du Québec, les organismes de bassin versant doivent mettre en œuvre des plans directeurs de l’eau (PDE), puis des contrats de bassin.

Un PDE rassemble les informations nécessaires à la compréhension des problèmes d’ordre hydrique et environnemental du bassin versant ainsi que les solutions d’intervention envisagées, notamment en matière de protection, de restauration et de mise en valeur de l’eau. Les modalités de réalisation et la séquence de mise en œuvre y sont également spécifiées. Chaque PDE doit être évalué et approuvé par le ministère de l’Environnement, en concertation avec les ministères concernés. Il s’agit d’un outil de planification négociée ayant pour base un diagnostic partagé entre les acteurs locaux.

Le contrat de bassin issu du PDE est l’instrument de la mise en œuvre. Le ministère de l’Environnement du Québec l’a présenté en 2002 comme une convention dans laquelle sont consignées les actions des différentes parties qui désirent s’impliquer — selon leurs propres volontés, droits ou responsabilités — dans la protection, la restauration ou la mise en valeur du bassin. Il comprend les détails des actions à entreprendre, les coûts, les noms des maîtres d’œuvre et l’échéancier. Depuis 2004, certains de ces contrats de bassin peuvent prendre la forme de simples protocoles d’entente. Il s’agit alors d’ententes volontaires, non destinées à avoir une force obligatoire au plan juridique, se matérialisant par un document accessible au public. Mais lorsque les actions des PDE s’y prêtent, ils peuvent également être des contrats en bonne et due forme, conclus entre deux ou plusieurs parties, et avoir donc une valeur juridique.

Le gouvernement du Québec a placé les organismes de bassin versant au centre du nouveau modèle de gouvernance de l’eau ; nombre d’expériences étrangères ont montré l’intérêt d’articuler la gestion de l’eau autour d’un « parlement local de l’eau », chargé d’organiser la concertation entre les usagers (industriels, agriculteurs, municipalités, pêcheurs, etc.) dans la perspective d’actions soutenues collectivement. Les organismes de bassin ont pour objectif d’élaborer des PDE, puis, de les mettre en œuvre par l’intermédiaire des contrats.

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L’État reste cependant le principal bailleur de fonds de ces organismes. Ceux-ci reçoivent un financement annuel statutaire de 65 000 dollars du ministère de l’Environnement, ce qui est notoirement insuffisant au regard des objectifs qui leur ont été assignés. Le manque de moyens, les empêchant d’engager suffisamment de personnel compétent et expérimenté, les a privés de l’accès à l’expertise nationale ou internationale et a entraîné de nombreux retards dans l’élaboration des PDE. L’inadéquation entre les objectifs et les moyens disponibles a également eu pour conséquence de mettre ces organismes en concurrence dans la recherche de fonds publics et privés, à l’occasion des appels à projets, par exemple. La collaboration entre certains organismes demeure encore difficile aujourd’hui. Pour pallier le problème, quelques-uns — ils sont des organismes sans but lucratif en vertu de la Loi sur les compagnies — sont allés jusqu’à multiplier les prestations de services d’aménagement et d’entretien des rivières, investissant ainsi le secteur que les entreprises occupent.

Dans son budget 20082009, le gouvernement a enfin accordé à la gestion intégrée de l’eau les moyens de ses ambitions : une somme de 15 millions de dollars sur cinq ans, à raison de 3 millions par an supplémentaire, a été accordée à la gestion de l’eau (contre 2,2 millions par an depuis 2003), ce qui revient pratiquement à doubler les fonds des organismes de bassin. De cette somme, 200 000 dollars ont attribués au Regroupement des organisations de bassin versant afin qu’il embauche deux professionnels ayant pour mandat d’accompagner les 24 organisations qui doivent déposer leur PDE d’ici avril 2011. Le gouvernement devrait consacrer aussi près de 15 millions de dollars pour la mise en place du Bureau des connaissances sur l’eau dont le mandat est défini dans le projet de loi toujours en disucssion. Ce bureau permettrait notamment de coordonner la cueillette des données sur les ressources en eau souterraine, les écosystèmes aquatiques et leurs usages à l’échelle des bassins hydrographiques pour en faciliter l’utilisation et la diffusion auprès des gestionnaires et des citoyens.

En janvier 2004, des avancées significatives avaient été faites dans sept bassins versants : trois « portraits » de bassin versant avaient été réalisés (rivières Saint-Anne, Rimouski et L’Assomption) et quatre PDE étaient considérés comme terminés par les autorités québécoises (rivières Saint-Maurice, Chaudière, Etchemin et Fouquette). Dans ces derniers cas, l’élaboration rapide des plans s’explique par le fait que les acteurs locaux avaient engagé des procédures comparables aux PDE avant même le lancement de la Politique nationale de l’eau. Ailleurs, il semblait clair que les délais prévus pour la réalisation des PDE (trois ans) seraient dépassés. La création tardive de plusieurs organismes de bassin (2004-2005), conjuguée au fait que tous n’avaient pas collectés les données nécessaires pour commencer leur PDE, expliquent le report relativement au calendrier initial.

Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) traçait quand même un bilan assez positif en 2006, faisant valoir que 62 p. 100 des 125 actions étaient en cours et que 15 p. 100 étaient complétées. En outre, près de 227 professionnels et 122 techniciens avaient contribué à la mise en œuvre de la PNE en 2005-2006.

Depuis la création des organismes de bassin versant, la politique de l’eau revêt certes un caractère plus opérationnel : la concertation locale est une notion plus concrète pour les participants, et les premières réalisations permettent aux usagers de voir « se matérialiser » l’action des pouvoirs publics et des organismes de bassin. Mais les gains environnementaux restent encore difficilement quantifiables.

Aux dernières nouvelles, en mai 2009, le MDDEP avait reçu 10 PDE, dont sept avaient été approuvés et trois étaient en cours d’approbation. Dix-huit organismes de bassin lui avaient remis la partie comportant le diagnostic et les enjeux, et le MDDEP leur avait transmis les commentaires du collège d’experts. De plus, environ 130 contrats de bassin avaient été signés par divers acteurs de l’eau dans des domaines très variés, allant de l’entretien et de la restauration des berges et du lit d’un cours d’eau à l’assainissement et à la réduction des pollutions d’origine agricole, en passant par la sensibilisation et l’éducation de la population.

Les pouvoirs publics québécois se concentrent désormais sur l’arrimage des PDE avec les autres outils d’aménagement du territoire, en particulier les documents locaux d’urbanisme; l’harmonisation des divers outils de planification constitue en soi un précieux gage de mise en œuvre, basée sur une concertation et une planification assurément plus globale.

Compte tenu des investissements nécessaires et des aires concernées, il n’est pas étonnant que la mise en œuvre de la gestion par bassin versant ne se fasse que graduellement. Initialement, on avait envisagé d’adopter une démarche par étapes ; on se serait concentré alors sur 10 bassins versants à la fois, en y affectant les moyens techniques et financiers, avant de passer aux 10 suivants, et ainsi de suite. Mais, pour des raisons politiques sans doute, le gouvernement Landry a choisi à l’époque d’intervenir simultanément dans 33 bassins versants, ce qui peut expliquer l’impression de saupoudrage qu’a laissée l’intervention publique. Pour le Regroupement des organisations de bassin versant, l’erreur fut de sélectionner 33 territoires aux dimensions fort différentes et de subventionner d’égale manière les organismes de bassin concernés. Reste à voir si la réorganisation territoriale conduite récemment par le ministère de l’Environnement, sous l’impulsion du Regroupement, pourra changer les choses. Déjà, on peut se demander si la « couverture des territoires orphelins » constituait véritablement une priorité.

Le débat sur les cyanobactéries à l’été 2007, à la suite de la pollution de certains lacs, a eu pour conséquence de remettre au goût du jour plusieurs notions présentées dans la PNE, à commencer par la gouvernance locale de l’eau. Par ricochet, cette discussion a également conforté le rôle des organismes de bassin. Dans le cadre de son plan de lutte contre les cyanobactéries, la ministre de l’Environnement Line Beauchamp a en effet confié un mandat à ces organismes et a accordé 890 000 dollars au Regroupement des organisations de bassin versant afin que ceux-ci planifient des études et entreprennent des travaux et des actions de sensibilisation. Cette reconnaissance suscitera sans doute l’intérêt des préfets des municipalités régionales de comte ́e tdes maires, en majorite ́peu enclins jusqu’à maintenant à prendre en considération les recommandations de ces organismes.

Cette reconnaissance politique des organismes de bassin était une étape importante et s’imposait pour deux raisons au moins. En premier lieu, leur statut d’association les avait desservis face aux puissants groupes d’intérêt avec lesquels ils devaient composer, tels les producteurs agricoles, les municipalités ou encore HydroQuébec. Cette fragilité avait souvent incité leurs administrateurs à chercher à consolider leur organisation plutôt qu’à se concentrer sur les enjeux relatifs à l’eau comme telle — au point où certains d’entre eux avaient préféré abandonner leur poste. En second lieu, le « tout participatif » inhérent au développement durable se traduisait par la mise sur pied d’espaces délibératifs (comme les conférences régionales des élus portant sur la planification territoriale) qui concurrençaient plus qu’ils ne complétaient les organisations de bassin.

Huit ans après son adoption, on doit en somme tracer un bilan mitigé de la mise en œuvre de la Politique nationale de l’eau.

Depuis la création des organismes de bassin versant, la politique de l’eau revêt certes un caractère plus opérationnel : la concertation locale est une notion plus concrète pour les participants, et les premières réalisations permettent aux usagers de voir « se matérialiser » l’action des pouvoirs publics et des organismes de bassin. Mais les gains environnementaux restent encore difficilement quantifiables : la destruction d’un écosystème peut être rapide, mais sa reconquête est assurément très longue.

Du reste, la politique locale de l’eau relève aujourd’hui principalement des municipalités. Certaines d’entre elles, comme la ville de Québec au sujet de la rivière Saint-Charles, n’ont d’ailleurs pas attendu la PNE pour réaliser de coûteux travaux (près de 140 millions de dollars) de renaturation destinés à rectifier minimalement les erreurs du passé (artificialisation des berges, système de rétention des eaux pluviales sous-dimensionné, etc.). Lorsque les élus locaux s’approprient la question de l’eau, sous la pression des médias ou des administrés, les dossiers semblent avancer plus vite que si ce sont les organismes de bassin, au demeurant très impliqués mais en quête de légitimité, qui les portent.

Hydro-Québec a certes changé ses pratiques et intègre désormais des études d’impact pour ses projets, mais il subsiste des interrogations sur la manière dont le gouvernement l’obligera à concilier ses ambitions avec les règles de la concertation inhérentes à la gestion intégrée.

Autre constat : le système de redevances, indispensable au financement de la PNE, est toujours inexistant, alors qu’il devait être mis en place en 2004. Thomas Mulcair, ministre libéral de l’Environnement de 2003 à 2006, a repoussé à plusieurs reprises les projets de son administration portant sur des redevances. Puis, les échéances électorales de 2007 et la priorité donnée au désengagement de l’État et à la résorption de la dette publique avaient incité le ministère à la prudence. Par conséquent, les moyens alloués aux organisations de bassin étaient jusqu’à présent insuffisants. L’augmentation récente des subventions qui leur sont octroyées par le gouvernement du Québec devra, d’après celui-ci, leur permettre d’atteindre leurs objectifs. Reste à espérer que l’adoption toute récente de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection (Loi sur l’eau) favorisera enfin la mise en place effective de redevances.

Avec l’adoption de cette Loi sur l’eau, on semble s’acheminer vers le renforcement de la politique de l’eau. Le principe de l’utilisateur-payeur est présenté dans cette loi au titre des principes fondamentaux. La loi définit également des règles de gouvernance de l’eau fondées sur une gestion intégrée et concertée, à l’échelle du bassin versant.

La gestion par bassin n’est cependant pas une solution miracle. Elle a pour avantage de mettre l’accent sur une unité spatiale plutôt que sur un usage, s’opposant ainsi à la notion de gestion sectorielle, qui dominait les paradigmes de gestion par le passé. Mais elle peut se révéler inappropriée pour la gestion des eaux souterraines (stratégique pour l’alimentation en eau potable), car il n’y a pas systématiquement de coïncidence entre les aquifères et les bassins versants de surface. Ces territoires de l’eau ont, de plus, le gros défaut de n’être pas forcément (encore) devenus des territoires politiques.

Finalement, il reste à voir comment le gouvernement entend obliger Hydro-Québec, très largement détachée des organismes de bassin, de participer aux mécanismes de la gestion intégrée. L’article 19 de la Loi sur l’eau prévoit déjà une dérogation en matière de prélèvements pour la production hydroélectrique. Or, sans pétrole, et sans gaz jusqu’à récemment, le Québec a résolument choisi, dès les années 1960, d’assumer une forte dépendance envers l’hydroélectricité produite à partir des fleuves du nord de son territoire, où la densité de population est très faible, pour assurer sa croissance économique. La société d’État est devenue un véritable instrument géopolitique au service de l’économie, mais aussi des projets politiques et économiques du gouvernement québécois. HydroQuébec a certes changé ses pratiques et intègre désormais des études d’impact pour ses projets, mais il subsiste des interrogations sur la manière dont le gouvernement l’obligera à concilier ses ambitions avec les règles de la concertation inhérentes à la gestion intégrée.


Cet article repose sur les recherches conduites avec Frédéric Lasserre au sein de l’Observatoire de recherches internationales sur l’eau.

Photo: Shuttersock

AB
Alexandre Brun est géographe et chargé du projet de recherche Idéaux, au CNRS de Montpellier, France, et chercheur invité au CRAD, à l’Université Laval.

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