Une personne qui n’aurait commencé aÌ€ s’intéresser aux relations canado-américaines dans le secteur agroalimentaire que récemment porterait suÌ‚rement un jugement sévé€re sur l’état de ces relations. La couverture médiatique des différends commerciaux est particulié€re- ment critique. Tour aÌ€ tour, l’augmentation des subventions aux producteurs américains lors du dernier Farm Bill, la crise de la vache folle, les litiges commerciaux dans le secteur porcin et le secteur des grains ont fait les manchettes.

Il est incontestable que les industries agroalimentaires des deux coÌ‚tés de la frontié€re ont semblé s’éloigner l’une de l’autre ces dernié€res années. Les agriculteurs canadiens sont préoccupés par le niveau d’aide gouvernementale américain qu’ils jugent déloyal, et par les pressions protec- tionnistes de certains groupes d’intéré‚t. Sans surprise, les agriculteurs américains formulent les mé‚mes doléances envers le Canada.

Avant d’aborder plus en détail les principaux conflits canado-américains dans l’agroalimentaire, il est impératif d’examiner brié€vement le commerce agroalimentaire entre les deux pays pour pouvoir mettre ces disputes dans leur véritable contexte. Contrairement aÌ€ nos différends, qui ont été tré€s médiatisés, la croissance de nos exportations de pro- duits agroalimentaires a attiré peu d’attention mé‚me si nos exportations vers les États-Unis ont plus que doublé entre 1991 et 2003. Certains secteurs, comme la production cana- dienne de légumes, ont pris une expansion que personne n’avait anticipée avant la signature de l’Accord de libre- échange (ALE) Canada–États-Unis.

Tout le monde connaiÌ‚t le phénomé€ne de libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis qui s’est amorcé avec la signature de l’ALE en 1989. Cette entente a sonné le départ d’un processus d’intégration dans le secteur agroalimentaire nord-américain qui n’a jamais cessé d’évoluer depuis. La signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en 1994, a étendu les frontié€res de cette intégra- tion au Mexique.

La moyenne de la valeur annuelle des exportations agroalimentaires cana- diennes vers les États-Unis est passé de 4 046 millions de $US en 1991-93 aÌ€ 10 166 millions pour la période 2001- 2003 (soit une augmentation 151 p. 100). Mé‚me s’il n’est pas tout aÌ€ fait exact de dire que le secteur agroalimen- taire a été laissé complé€tement aÌ€ l’écart des négociations commerciales multi- latérales qui ont précédé celles du Cycle de l’Uruguay, le timide progré€s accom- pli avant 1989 explique pourquoi la mise en œuvre de l’ALE a été accompa- gnée d’une augmentation du flux de commerce agroalimentaire entre le Canada et les États-Unis. Les États-Unis aussi ont profité de la libéralisation du commerce pour augmenter de 76 p. 100 leurs exportations vers le Canada, mais leur balance commerciale dans ce secteur demeure négative. Il est encore plus remarquable de constater le développement de certaines industries au cours des quinze dernié€res années. Par exemple, des investissements majeurs dans la technologie de production en serre et la finalisation de la libéralisation du commerce des fruits et légumes en 1998 a permis d’augmenter la moyenne de la valeur annuelle des exportations canadiennes de tomates fraiÌ‚ches de 5 millions $US en 1991-93 aÌ€ 190 millions en 2001-03.

La découverte, en mai 2003, d’un animal infecté par l’encé- phalopathie spongiforme bovine (ESB), plus communément appelée la maladie de la vache folle, a plongé l’industrie bovine canadienne dans une tempé‚te économique dont elle se relé€ve aÌ€ peine. La fermeture des frontié€res entre le Canada et ses principaux partenaires commerciaux (dont les États-Unis) a provoqué plusieurs ajustements struc- turels dans l’industrie bovine qui vont malheureusement aÌ€ l’encontre du courant créé par les efforts d’intégration des quinze dernié€res années.

Les États-Unis sont depuis longtemps le plus important pays pro- ducteur de bovins. Le Canada, lui, ne produit qu’environ 3 p. 100 de la pro- duction bovine mondiale et dépend fortement du marché américain pour écouler sa production. Avant la crise de mai 2003, les deux industries opéraient comme une seule ; tous les types d’a- nimaux et la viande bovine circulaient librement entre les deux pays en fonc- tion des signaux économiques émis par le marché.

La fermeture de la frontié€re aux exportations de produits bovins a créé de vives distorsions sur les marchés, surtout au Canada ouÌ€ les prix ont chuté de façon spectaculaire. Bien que le commerce entre les deux pays reprit relativement rapidement pour cer- taines coupes de viande jugées pra- tiquement sans danger pour la santé humaine, l’embargo sur le commerce des animaux vivants segmentait les deux marchés et causait d’importantes pertes financié€res.

Le 4 janvier 2005, le service d’ins- pection américain du département d’a- griculture décida d’autoriser l’importation des animaux vivants de moins de 30 mois, mais un groupe de pression américain (R-CALF USA) tenta de bloquer l’ouverture de la frontié€re par le biais des tribunaux. Curieuse- ment, une des nations les plus ouverte- ment opposées au principe de précaution n’a pu empé‚cher l’invoca- tion de ce principe par un groupe de pression désirant garder la frontié€re fer- mée. Pourtant, on pourrait penser que les probabilités de trouver d’autres vaches malades seraient essentiellement les mé‚mes aux États-Unis et au Canada compte tenu de la forte intégration des marchés avant la crise et des similarités dans la réglemen- tation des deux pays. En rai- son des délais judiciaires, le commerce entre les deux pays ne reprit finalement qu’en juillet 2005.

S’il y a un élément positif relié aÌ€ cette crise provoquée par le passage instantané d’un équilibre de libre- échange aÌ€ un équilibre autarcique, c’est la démonstration que la concur- rence est vitale dans une industrie. Elle démontre que l’ouverture des marchés et l’intégration des activités commer- ciales sont garantes de stabilité au niveau des revenus.

Suite aÌ€ la fermeture de la frontié€re canado-américaine, le prix du bétail a chuté de plus de 50 p. 100 au Canada. Cette observation s’applique aussi bien pour le bouvillon d’engraissement, dont la viande est vendue dans les boucheries et les épiceries, que pour la vache de réforme, dont la viande est destinée aux marchés de la restauration rapide et institutionnel.

Pour l’industrie de la vache de réforme (par exemple une vache laitié€re tarie), la structure particulié€re de ce marché est aÌ€ l’origine des malheurs des producteurs laitiers. Au début de la crise, il n’y avait qu’un seul acheteur majeur de bovins de réforme dans tout l’est du Canada. Bien que les produc- teurs québécois n’aient exporté his- toriquement qu’un petit nombre de vaches laitié€res vers les États-Unis, l’ou- verture de la frontié€re exerçait une pres- sion disciplinaire certaine sur l’acheteur. En d’autres mots, la possibi- lité que les producteurs puissent exporter leurs animaux vers les États- Unis forçait l’abattoir aÌ€ offrir aux pro- ducteurs laitiers un prix concurrentiel mé‚me si cet abattoir n’avait pas d’autres concurrents sur le marché intérieur. La fermeture de la frontié€re élimina toute possibilité d’arbitrage dans la fixation des prix des deux coÌ‚tés de la frontié€re. On ne peut nier que plusieurs abattoirs ont aussi subi d’importantes pertes, par- ticulié€rement au début de la crise, alors que la valeur de leurs inventaires chutait abruptement et que les marchés d’exportation se fermaient complé€te- ment. Par contre, il est aussi vrai que la structure du marché canadien leur a permis de tourner la situation aÌ€ leur avantage en 2004.

Les effets aÌ€ long terme de cette crise nord-américaine seront importants. Le gouvernement canadien a généreusement financé le développement de la capacité d’abattage dans la dernié€re année afin de réduire la dépendance du Canada vis-aÌ€-vis les usines d’abattage améri- caines. On observera fort proba- blement dans les prochaines années un problé€me de capacité excédentaire dans l’industrie de l’abattage en Amérique du Nord. Cela devrait continuer de fragiliser l’industrie qui est mal en point depuis mai 2003. En effet, les usines qui auront une trop forte proportion de leur capacité inutilisée seront con- frontées aÌ€ des problé€mes de rentabilité. Seules les firmes avan- tageusement positionnées pour faire face aÌ€ une concurrence intense pour- ront survivre. D’ores et déjaÌ€, nous pou- vons prédire que les entreprises aux prises avec des difficultés financié€res se tourneront vers les différents paliers de gouvernement pour obtenir un soutien financier. Des réponses favorables aÌ€ ces requé‚tes pourraient envenimer davan- tage les relations commerciales.

Par ailleurs, aÌ€ la lumié€re des impacts créés par cette crise, le Canada et les États-Unis devraient améliorer la coordination dans l’application des mesures non-tarifaires (comme les mesures sanitaires et phytosanitaires) afin de minimiser les effets négatifs sur le commerce.

Le Canada et les États-Unis sont aussi engagés dans de nombreux recours commerciaux qui sont débattus par le biais des mécanismes de résolution de disputes de l’ALENA et de l’OMC. Deux recours commerciaux sont fréquem- ment utilisés. Premié€rement, le droit anti-dumping, qui est un tarif douanier imposé sur les ventes d’une firme étrangé€re lorsque celle-ci écoule son pro- duit sur le marché aÌ€ un prix inférieur aÌ€ celui qui est en vigueur dans le pays d’o- rigine et qu’il en découle un dommage ou un préjudice important pour l’indus- trie dans le pays importateur. Plusieurs pays ont leur propre loi pour encadrer l’analyse des pétitions anti-dumping déposées par des groupes protection- nistes. Ces lois doivent é‚tre conformes aux ré€gles de l’OMC mais elles sont généralement tré€s arbitraires, laissant passablement de discrétion aux décideurs, et peuvent é‚tre manipulées aÌ€ des fins protectionnistes.

Le deuxié€me recours, le droit com- pensatoire, est un tarif appliqué aux exportations d’un pays lorsqu’il est déterminé que ce pays offre une aide gouvernementale qui permet aÌ€ son industrie d’exporter au point d’infliger un préjudice important aÌ€ l’industrie du pays importateur. AÌ€ l’instar des lois anti-dumping, l’administration des recours de versements de droits com- pensatoires peut faire l’objet d’une ten- tative de capture politique par des groupes d’intéré‚t.

La marge de dumping est souvent calculée par « modélisation » de couÌ‚ts estimés. Or, les aléas climatiques, les délais entre les décisions de produire et de mise en marché et la com- posante cyclique de certains produits forcent parfois les producteurs agricoles aÌ€ se départir de leurs pro- duits aÌ€ des prix inférieurs aux couÌ‚ts de production. Il n’y a cependant pas laÌ€ matié€re aÌ€ sévir puisque le prix courant chez l’exportateur est le mé‚me que celui qui prévaut aÌ€ l’é- tranger et ne reflé€te aucune- ment un comportement prédateur.

Le Canada se sent harassé par les actions anti-dumping américaines et voudrait que la gestion des pétitions soit changée pour décourager les pétitions sans fondement. Toute amélioration des lois encadrant la détermination des marges de dumping et de l’im- portance des dommages serait accueilli favorablement par l’industrie agroalimentaire canadienne.

L’exemple de la filié€re porcine illus- tre bien les problé€mes reliés aÌ€ l’u- tilisation des droits compensatoires et anti-dumping. L’hypothé€se selon laquelle les exportations canadiennes de porcs vers les États-Unis causent un préjudice économique aux produc- teurs porcins américains est régulié€re- ment avancée.

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Le désaccord commercial sur le porc entre les États-Unis et le Canada n’est pas nouveau. En 1984, l’organisa- tion représentant les producteurs de porcs américains, le National Pork Producers Council (NPPC), réussit aÌ€ convaincre le Département du Commerce Américain (DOC) d’impos- er un droit compensatoire sur les exportations canadiennes de porcs vivants et de viande ; une décision qui fut plus tard renversée par la commis- sion américaine du commerce interna- tional (USITC). Le NPPC revint aÌ€ la charge en 1989 et un droit compen- satoire fut perçu jusqu’en 1999.

La dernié€re tentative du NPPC remonte aÌ€ mars 2004, lorsqu’il allégua, dans une plainte appuyée par plusieurs organisations régionales, que les sub- ventions canadiennes versées aux pro- ducteurs porcins causaient un dommage important aux producteurs américains. Il exigea également que des droits compensatoires soient imposés puisqu’on avait documenté que les pro- ducteurs canadiens bénéficiaient de subventions. Curieusement, les pro- grammes d’aide du Québec étaient cités dans la pétition mé‚me si le Québec n’exporte pas de porcelets ; le pro- gramme de stabilisation du revenu per- met aux producteurs porcins de recevoir un prix basé sur une moyenne des couÌ‚ts de production de l’industrie.

En aouÌ‚t 2004 et en mars 2005, le DOC conclut toutefois que les subven- tions canadiennes n’étaient pas com- pensables. Par ailleurs, en avril 2005, le USITC statua que les exportations de porcs vivants ne causaient pas de dom- mage aux producteurs américains. Cette décision a finalement clos le plus récent chapitre de la bataille opposant les pro- ducteurs porcins canadiens et américains.

Cette récente dispute était motivée par l’augmentation rapide depuis 1996 des exportations de porcelets du Manitoba et de l’Ontario. Ces change- ments toutefois reflétaient le principe des avantages comparatifs plutoÌ‚t que des privilé€ges indus. Le couÌ‚t de l’ali- mentation des porcs est moins élevé dans le centre-ouest américain que dans les plaines canadiennes. Le mou- vement dans la valeur relative des devises américaine et canadienne influ- ence aussi la direction et le volume de commerce entre les deux partenaires.

En plus des irritants juridiques dans la filié€re porcine, les agriculteurs et les entreprises de transformation doivent suivre de pré€s le débat entourant la loi américaine sur l’éti- quetage selon le pays d’origine. Dans sa forme actuelle, la loi obligerait les détaillants américains de moyenne et grande taille aÌ€ indiquer la provenance d’origine du produit vendu. Dans le cas de viande produite d’un animal né au Canada mais engraissé aux États- Unis, le porcelet devra conserver son « passeport » jusqu’au point final de vente parce que l’étiquette apposée sur les morceaux de viande devraient porter la mention « viande provenant d’un animal né au Canada, engraissé et abattu aux États-Unis ». Imaginez les étiquettes pour des produits fabriqués aÌ€ partir d’animaux nés au Canada, engraissés au Mexique mais abattus aux États-Unis…!

Pour plusieurs, cette loi ne vise qu’aÌ€ contrer les forces d’intégration unissant les marchés canadien et américain. Bien que les importations ne comptent que pour environ 10 p. 100 de la viande con- sommée aux États-Unis, les supporteurs d’un tel projet croient que les consom- mateurs seront pré‚ts aÌ€ débourser un montant d’argent supérieur aux couÌ‚ts énormes associés aÌ€ la gestion d’un tel programme. La plupart des représen- tants de l’industrie américaine ont rejeté cette loi et veulent plutoÌ‚t développer un projet d’étiquetage volontaire. Mé‚me si l’entrée en vigueur de ce projet de loi est prévue pour 2006, beaucoup d’incertitude demeure quant aÌ€ la date exacte.

Le Canada n’est pas immunisé contre les tentations d’abuser les ré€gles d’anti-dumping, comme on l’a vu récemment dans la pétition initiée par des producteurs de maïs canadiens pour faire lever des droits compensatoires sur les exporta- tions américaines. Et les États-Unis nourrissent également quelques objec- tions aÌ€ l’encontre des pratiques com- merciales canadiennes. La question des entreprises commerciales étatiques (ECE), auxquelles des droits et/ou des privilé€ges sont accordés et qui peuvent avoir une influence sur les volumes importés et/ou exportés, constitue une source de litige ; le gouvernement américain presse d’ailleurs le Canada et les autres pays membres de l’OMC de réglementer ces entreprises dans le but de décourager cette forme de com- merce. Par exemple, et mé‚me si les pra- tiques commerciales de la Commission canadienne du blé (CCB) ne sont pas contestées que par des intéré‚ts étrangers et qu’on dénombre un con- tingent non négligeable d’agriculteurs canadiens farouchement opposés au monopole exclusif de la CCB, certaines organisations américaines aimeraient bien voir le Canada démanteler la CCB.

Les allégations qu’une entreprise commerciale étatique comme la CCB subventionne implicitement les expor- tations n’ont jamais été démontrées de façon convaincante. Par contre, cer- taines réformes devront é‚tre entrepri- ses aÌ€ la lumié€re des engagements pris par les pays membres de l’OMC lors de l’entente cadre de juillet 2004. Il est probable que le gouvernement cana- dien ne puisse plus garantir le budget d’opération de la CCB.

La CCB effectue un paiement ini- tial aux agriculteurs canadiens sur livraison de leur production mé‚me si cette production n’est pas écoulée instantanément. Ce paiement initial est basé sur les prévisions de la CCB re- lativement aux conditions du marché. Un paiement final est transmis aux producteurs lorsque la production est entié€rement écoulée. Ce paiement final correspond aÌ€ la moyenne des prix obtenus sur les différents marchés moins le paiement initial versé aux producteurs et les couÌ‚ts de finance- ment et d’exploitation de la CCB.

Un paiement initial basé sur des prévisions des revenus beaucoup trop optimistes pourrait occasionner un déficit d’exploitation. Historiquement, cela ne s’est pas produit souvent mais, chaque fois, le gouvernement fédéral a épongé le déficit et les producteurs céréaliers n’ont pas eu aÌ€ rembourser une partie du paiement initial. La dernié€re fois que le gouvernement canadien est intervenu de cette façon a coïncidé avec le dépoÌ‚t d’une pétition pour que des droits compensatoires soient imposés sur les exportations canadiennes de blé. Un timing pour le moins gé‚nant !

Les industries laitié€re et avicole sont des secteurs particulié€rement sensi- bles pour le gouvernement canadien. Ce sont les deux seuls secteurs qui ont été globalement exclus des efforts de libéra- lisation de l’ALE. Les États-Unis exercent un certain leadership présentement aÌ€ l’OMC pour accroiÌ‚tre l’accé€s au marché et abaisser les barrié€res tarifaires, mais ils ne semblent pas préoccupés outre- mesure par la protection accordée aÌ€ ces industries canadiennes. Il faut dire que les États-Unis ont aussi des tarifs impor- tants sur les produits de tabac et le sucre. Par contre, ces biens n’ont que peu d’importance dans les relations com- merciales Canada–États-Unis.

Il faut aussi noter que les États-Unis ont réussi avec l’aide de la Nouvelle- Zélande aÌ€ « internaliser » les pro- grammes canadiens de gestion de l’offre. En 1998, ils ont déposé une requé‚te aÌ€ l’OMC demandant d’exa- miner si le systé€me de gestion de l’offre dans l’industrie laitié€re (plus parti- culié€rement le systé€me de paiements par classe de lait) ne venait pas aÌ€ l’en- contre des engagements canadiens dans l’Accord sur l’agriculture en matié€re de subventions aÌ€ l’exportation. Le prix du lait payé par les entreprises de transfor- mation était fonction de l’usage que l’entreprise faisait de ce lait. Un lait des- tiné aÌ€ la fabrication de produits vendus localement était payé plus cher que le lait destiné aÌ€ la fabrication de produits pour les marchés d’exportation.

AÌ€ l’automne 2000, la décision de l’organe de ré€glement des différends de l’OMC a forcé le gouvernement cana- dien aÌ€ réformer les mécanismes d’ex- portation de lait. Depuis, le lait utilisé pour la fabrication de produits destinés aux marchés d’exportation était vendu aÌ€ l’extérieur du systé€me de gestion de l’offre. Les plaignants argumenté€rent que ce systé€me constituait encore une subvention aÌ€ l’exportation alors que le gouvernement canadien proÌ‚nait qu’il était conforme au jugement émis par le panel formé par l’OMC. Apré€s de mul- tiples appels, il a finalement été statué que le systé€me canadien constituait un paiement par vertu d’une action gou- vernementale et que les paiements totaux étaient supérieurs aux engage- ments du Canada en matié€re de sub- vention aux exportations. Les exportations canadiennes sont main- tenant contraintes en termes de vo- lume et de valeur selon les engagements du gouvernement cana- dien aÌ€ l’OMC.

Le concept de produits sensibles a été officiellement reconnu dans l’ac- cord-cadre de 2004, ce qui a provoqué un soupir de soulagement dans le secteur laitier car on y voyait l’assurance que le concept de gestion de l’of- fre serait préservé dans sa forme actuelle. C’est peut-é‚tre laÌ€ un faux sen- timent de sécurité.

Il semble assuré que l’accé€s au marché intérieur pour les produits sen- sibles devra é‚tre amélioré. De plus, le gouvernement américain tente de négocier une diminution agressive des tarifs, diminution qui s’appliquerait aussi aux produits sensibles mais dans une moindre proportion. L’Union européenne a déjaÌ€ accepté de réduire progressivement (jusqu’aÌ€ l’élimination totale) ses subventions aÌ€ l’exportation. Dans ce contexte, les exportations canadiennes de produits laitiers devront aÌ€ moyen terme é‚tre écoulées sur le marché intérieur (aÌ€ moins que des modifications importantes ne soient apportées aux modalités de paiement du lait entrant dans la fabri- cation de ces produits). Finalement, le soutien interne classé « de minimis » (c’est-aÌ€-dire le soutien qui est inférieur aÌ€ 5 p. 100 de la valeur de la production dans un secteur) devra aussi é‚tre réduit. Cela pourrait affecter le systé€me de soutien du prix de la poudre de lait et du beurre opéré par la Commission canadienne du lait, lequel est utilisé pour fixer le prix cible reçu par les pro- ducteurs laitiers.

L’augmentation des échanges entre les deux pays depuis 15 ans ne per- met pas de conclure hors de tout doute que l’industrie agroalimentaire cana- dienne a bénéficié de l’ALE. Une telle analyse, qui curieusement n’a jamais été effectuée, nécessiterait l’évaluation des gains de productivité des facteurs utilisés dans le secteur agroalimentaire, des gains de consommation attribuables aux réductions de prix et aÌ€ une sélection élargie de produits, mais aussi des couÌ‚ts d’ajustement supportés par certains secteurs. Par contre, sur la base des flux commerciaux, on peut dire que l’ALE a été un véritable succé€s.

Le commerce agroalimentaire entre les deux pays est tré€s important et un repli des efforts de libéralisation effectués jusqu’aÌ€ présent serait vraisemblablement tré€s préjudiciable. Mais si les deux économies sont maintenant tré€s intégrées, de vieux irritants per- durent et de nouveaux se sont ajoutés. AÌ€ cet égard, il est quelque peu décevant de constater que personne au Canada ne mette de l’a- vant des alternatives aux programmes ou politiques dont la forme actuelle est critiquée. Les pressions sur le systé€me de ges- tion de l’offre par exemple ne vien- nent pas que du coÌ‚té américain et il est important de prévoir des solu- tions afin de minimiser les incon- vénients si jamais d’importants changements devaient é‚tre amé- nagés. De façon similaire, le Québec devra peut-é‚tre aussi revoir ses poli- tiques de soutien du revenu en agri- culture dans la mesure ouÌ€ les engagements du Canada sur la scé€ne internationale impliquent une réduc- tion importante du soutien interne.

Seulement si ces enjeux sont dis- cutés franchement pourra-t-on mettre en place une stratégie durable pour que les Canadiens continuent de reti- rer pleinement les bénéfices du com- merce avec les États-Unis.

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