Plus que les autres provinces du pays, celles du Canada atlantique sont confrontées à des défis démographiques importants. La conjugaison du dépeuplement et du vieillissement soulève des questions particulièrement complexes pour les dirigeants de cette région de l’est du Canada. Elle a notamment des répercussions majeures sur l’aménagement du territoire et le développement régional.

La population des provinces atlantiques ne parvient pas à suivre le rythme évolutif du Canada dans son ensemble. Elle a augmenté de seulement 4,2 p. 100 entre 1981 et 2011, tandis que le Canada enregistrait une croissance de 37,5 p. 100. Notons que, depuis 1851, son évolution démographique n’a été égale ou supérieure à celle du pays que durant deux décennies, de 1931 à 1941 et de 1941 à 1951. Depuis 1951, le poids démographique des provinces atlantiques au sein du Canada n’a cessé de diminuer. Si, en 1981, le Canada atlantique composait 9,17 p. 100 de la population canadienne, cette proportion est passée à 6,95 p. 100 en 2011. Attribuable à la fois à la dénatalité, à un solde migratoire négatif et au vieillissement, cette diminution a eu des effets considérables sur le tissu de peuplement, notamment en milieu rural.

Au sujet du vieillissement, il importe de distinguer deux phénomènes. Le premier, le vieillissement « par le haut », désigne l’augmentation de la proportion des 65 ans et plus parmi la population totale. Il est dû à l’allongement de l’espérance de vie, à la dénatalité, aux mouvements migratoires et à l’héritage démographique. De 1981 à 2011, la proportion des 65 ans et plus s’est accrue de 6,1 points de pourcentage dans les provinces atlantiques par rapport à 4,9 points pour le -Canada. Toutes provinces confondues, la palme revient à Terre-Neuve-et-Labrador, qui affiche une croissance de 8,3 points. Le second phénomène, le vieillissement « par le bas », correspond à la diminution de la proportion des 0 à 24 ans au sein de la population totale. La dénatalité et l’émigration figurent parmi ses principales causes. La proportion des jeunes dans les provinces atlantiques a régressé de 17,5 points de pourcentage entre 1981 et 2011, contre 7,5 points pour le Canada. C’est encore Terre-Neuve-et-Labrador qui est la province la plus touchée par ce type de vieillissement, sa proportion de jeunes ayant décru de 23,1 points de pourcentage en 30 ans.

On dénombre 126 localités dont la population a décliné de manière continue entre 1981 et 2011.

En réduisant notre échelle d’analyse, nous constatons que les mutations démographiques se manifestent avec une ampleur considérable au sein de certaines catégories de localités. Les milieux ruraux — définis comme des subdivisions de recensement dont la population est inférieure à 2 500 habitants — font piètre figure, leur population ayant régressé de 16,4 p. 100 entre 1981 et 2011. Au cours de la même période, les villes enregistraient une augmentation de 11,4 p. 100 de leurs effectifs.

La situation des petites localités, c’est-à-dire celles de moins de 500 habitants, est encore plus inquiétante. Elles ont perdu plus du tiers de leur population entre 1981 et 2011. Le dépeuplement atteint des proportions inégalées dans 67 d’entre elles, dont les effectifs ont décru de 50 p. 100 ou plus en 30 ans, ce qui représente une perte de 48 705 personnes. Ces localités (de 420 habitants en moyenne) constituent 8,6 p. 100 des subdivisions de recensement du Canada atlantique. Elles se concentrent essentiellement à Terre-Neuve-et-Labrador, qui en compte 59. Outre leur petite taille, leur dépeuplement endémique se double d’une marginalité géographique, puisqu’elles se situent en moyenne à 46,6 kilomètres d’une ville. Avec un taux de chômage moyen de 35,4 p. 100 en 2006, ces localités souffrent aussi de sous-emploi en raison d’une économie largement tributaire de l’exploitation des ressources naturelles. La proportion de travailleurs dans le secteur primaire compose 22,6 p. 100 de leur structure occupationnelle.

Mais un phénomène encore plus insidieux que l’on retrouve surtout (mais non exclusivement) au Canada atlantique est le dépeuplement progressif sur une longue période. On dénombre 126 localités dont la population a décliné de manière continue au cours des sept recensements compris entre 1981 et 2011. Les deux tiers, soit 82, se situent à Terre-Neuve-et-Labrador. Bien que les milieux ruraux soient touchés davantage par ce phénomène, ils ne sont pas les seuls. Le dépeuplement continu affecte aussi 21 villes, dont Corner Brook, Bathurst, Shippagan et la municipalité de Cap-Breton (Sydney), entraînant ainsi un affaiblissement notable de l’armature urbaine des provinces atlantiques. Pareille situation n’est pas sans se répercuter négativement sur leur rôle de dispensatrices de services ainsi que sur leur potentiel de développement. Des 126 subdivisions en dépeuplement continu, 31 ont perdu plus de la moitié de leur population, celle-ci étant passé de 20 668 personnes en 1981 à 7 561 en 2011. Terre-Neuve-et-Labrador abrite 29 de ces subdivisions, alors que le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard en comptent une.

De toute évidence, ces milieux devraient faire l’objet d’une intervention particulière de la part des décideurs publics. On pourrait par exemple leur accorder le statut de « zone prioritaire d’intervention ». Un tel statut nous apparaît d’autant plus justifié que leur économie est lourdement handicapée par un sous-emploi chronique, le taux d’activité ne s’établissant qu’à 48,7 p. 100 en 2006. De plus, comme les transferts gouvernementaux composent plus du tiers du revenu total, tout porte à croire que ces milieux souffrent aussi de pauvreté.

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Bien que le vieillissement ne représente pas nécessairement un problème en soi, il touche particulièrement les milieux ruraux et, de surcroît, les petites localités, comme l’indique le tableau ci-dessous.

 

Simard-table

Ainsi, la proportion de personnes âgées s’est accrue de 8,8 points de pourcentage dans les milieux ruraux, comparativement à 7,5 points dans les villes. Au sein des petites localités, cet accroissement a été de 9,8 points. Étant donné que les milieux les plus sujets au vieillissement ont aussi tendance à se situer loin des agglomérations urbaines, une telle situation peut s’avérer problématique pour certains aînés qui ne disposent pas d’automobile, qui sont peu mobiles ou qui n’ont pas accès à un service de transport collectif. Les milieux ruraux sont aussi particulièrement touchés par le vieillissement « par le bas », un phénomène qui va même en s’amplifiant avec la réduction de la taille démographique des localités. Loi du nombre oblige, les villes sont plus touchées par l’augmentation du nombre d’aînés que les milieux ruraux, ce que d’aucuns désignent sous le vocable de « gérontocroissance ». À l’inverse, la « juvénodécroissance », la diminution du nombre des 0 à 24 ans, est davantage le fait des milieux ruraux.

À la lumière de cette brève analyse, nous prenons conscience que le Canada atlantique fait face à des défis démographiques titanesques. Il est assujetti à des tendances lourdes dont le renversement apparaît difficile, voire impossible à réaliser à court terme. Néanmoins, les effets liés au dépeuplement et au vieillissement peuvent être atténués par l’élaboration d’une politique publique orientée vers l’aménagement du territoire et le développement régional. À ce chapitre, les 31 localités ayant perdu plus de la moitié de leur population en l’espace de 30 ans et dont la décroissance se manifeste, de surcroît, de façon continue devraient recevoir une attention particulière afin de ralentir leur dépeuplement.

Par ailleurs, toute mesure d’atténuation doit aussi s’inscrire dans une perspective d’intervention plus globale de façon à agir sur les facteurs structurels de la dépopulation et à favoriser l’amélioration de la qualité de vie. Nous pensons, entre autres, à des mesures destinées à mieux contrôler les flux migratoires, à des congés de taxes foncières pour les nouvelles familles qui désirent s’installer en milieu rural, à la stimulation de l’immigration, à l’amélioration des services de proximité, à des crédits d’impôt dans le but d’accroître la natalité, à la mise en place de garderies subventionnées, à des actions visant une meilleure conciliation travail-famille, à des stratégies soutenant le maintien à domicile des personnes âgées, à la consolidation des petites villes, voire à la création de nouveaux foyers d’attraction dans le but de renforcer l’armature urbaine et de mieux équilibrer le tissu de peuplement.

Photo: Shutterstock

MS
Majella Simard est professeur au Département d'histoire et de géographie à l'Université de Moncton.  

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