En 2000, le gouvernement Bouchard prit la décision de fusionner les municipalités des plus grandes agglomérations  québécoises, ce qui comprenait notamment Montréal, Québec, Longueuil, Gatineau et Sherbrooke. La réorganisation des structures décisionnelles et administratives d’aussi grandes entités n’est pas banale en elle-méme. Elle comporte, en effet, des conséquences politiques majeures, telles que la redistribution du fardeau fiscal et le redéploiement des services a la population, de même que la mise en contact permanent de groupes socio-économiques et de communautés linguistiques qui, auparavant, ne partageaient bien souvent que les lieux de travail ainsi que quelques factures d’équipements régionaux.

Les fusions ont profondément transformé le paysage politique municipal. Certaines des anciennes villes centres ont ainsi vu leur taille doubler ou tripler selon les cas (tableau 1). Presque toutes les nouvelles cités présentent aujourd’hui un caractére moins francophone que les anciennes villes centres. La nouvelle Montréal est ainsi moins francophone de 6 p. 100. D’autres cités d’importance ont aussi connu une diminution du poids des francophones, dont Longueuil, (10 p. 100), Gatineau (7 p. 100) et, plus modestement, Sherbrooke (1 p. 100).

En réalisant les fusions municipales, le gouvernement québécois disait vouloir moderniser les structures politiques et administratives des grandes agglomérations, améliorer la planification urbaine et assurer une meilleure coopération entre intervenants majeurs des divers paliers de représentation. Les documents gouvernementaux n’insistaient pas tant sur les économies d’échelle que sur la redistribution du fardeau fiscal entre contribuables.

Ces arguments favorables aux fusions municipales sont presque aussi anciens que la fragmentation politique des agglomérations métropolitaines. Ils n’expliquent toutefois pas l’émergence de la conjoncture qui permit au gouvernement d’aller de l’avant. Les obstacles et les objections étaient pourtant de taille. Au premier chef, aucun gouvernement n’avait jusqu’alors osé les réaliser de crainte de s’aliéner politiquement les maires des villes concernées et leur électorat. En outre, les fusions municipales étaient redoutées parce qu’elles amenaient la création de nouvelles cités dotées d’un poids financier et politique considérable. Sur le plan financier, Montréal et quelques autres cités disposent maintenant d’un budget supérieur a celui de nombreux ministéres, tandis que, sur le plan politique, les maires des nouvelles grandes agglomérations métropolitaines unifiées sont dorénavant élus par davantage d’électeurs que n’importe quel député provincial. Autre frein aux fusions, le cas particulier de Montréal. La fusion y impliquait nécessairement la diminution du poids des francophones en plus de poser l’épineux probléme de la langue, notamment la conservation du statut bilingue des anciennes municipalités ou l’octroi de ce statut aux quartiers les moins francophones des anciennes villes centres, tel que l’avait réclamé l’ex chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Claude Ryan, par exemple. La question de la langue de travail a d’ailleurs refait les manchettes en décembre 2002, alors que la ville exprimait son intention de revoir les usages linguistiques dans les relations de travail.

Les obstacles a surmonter étaient donc considérables. C’est précisément ce qui fait que l’on ne saurait expliquer la réforme des structures municipales sans préciser l’intérét immédiat que le gouvernement québécois y trouvait, a savoir l’atteinte de l’équilibre budgétaire ”” le déficit zéro ”” par le transfert aux municipalités des dépenses locales et régionales qu’il assumait lui-même au paravant. Cet objectif représentait, pour le gouvernement Bouchard, un élément stratégique de premier plan en vue d’un prochain rendez-vous référendaire. Alors que toutes les provinces et Ottawa s’engageaient dans cet exercice, il aurait été impensable que Québec demeure le seul gouvernement a s’endetter a chaque nouveau budget, au risque de démontrer son inaptitude a gouverner. La signature de l’Entente-cadre sur l’union sociale en 1999 allait ajouter une pression supplémentaire car la réalisation de l’autonomie en matiére de politique sociale allait dépendre en bonne partie de saines finances publiques. L’opposition politique « traditionnelle » a l’égard des fusions municipales, étant donné les couts politiques appréhendés, céda donc le pas devant ces contraintes supérieures de l’Etat. Le moment était d’autant plus opportun que le gouvernement ontarien de Mike Harris avait lui-même ouvert la voie, obligeant les municipalités du grand Toronto et de la région d’Ottawa a fusionner, sans trop souffrir politiquement de l’affaire.

Ce contexte est important car il permet de comprendre a la fois les objectifs, la stratégie et les résultats qui suivirent. Le gouvernement Bouchard décida donc d’agir rapidement, consultant peu, se concentrant sur l’objectif principal, les fusions, et refoulant a la marge les débats sur les modalités et l’aménagement des relations de pouvoir entre les groupes.

La manœuvre eut toutefois un effet « imprévu », celui de consolider les positions des forces fédéralistes sur la scéne politique québécoise. La politique municipale, en effet, est étroitement lié aux forces politiques majeures au Québec, et nous verrons que, suite aux fusions, il y a eu réalignement des partis politiques municipaux au profit des forces fédéralistes.

Il n’est pas facile de situer la politique municipale par rapport a la politique des deux autres paliers de représentation, provincial et fédéral. Louise Harel, ministre des Affaires municipales et de la Métropole et responsable du dossier des fusions, a maintes fois prétendu que la nature des champs de compétence des municipalités assoyait naturellement l’indépendance de la politique municipale face aux paliers provincial et fédéral. Il en découlait par conséquent l’impossibilité logique d’une transposition du clivage linguistique sur la scéne municipale ou, par extension, du clivage opposant libéraux et péquistes. De fait, les souverainistes ont toujours hésité a investir les scénes politiques fédérale et municipale, considérant que seule la scéne politique provinciale leur permettait de promouvoir et de réaliser la souveraineté. Pour défendre son projet, la ministre Harel soutenait également que l’accés au pouvoir municipal était profondément lié au role et au charisme des chefs de partis municipaux. Cela réduisait d’autant l’importance des partis municipaux et du clivage linguistique, si déterminant aux niveaux provincial et au fédéral. Même a Montréal, la prééminence du charisme du chef devait suffire pour garantir aux souverainistes une participation et même l’accession d’un chef sympathisant au pouvoir.

En réalité, la politique municipale québécoise est profondément imbriquée dans la vie politique québécoise. D’abord pour des raisons de nature sociologique : des groupes bien distincts y vivent, et chacun présente des conceptions du politique qui différent passablement, aussi bien au municipal qu’aux autres paliers de représentation. Ensuite pour des raisons de nature politique : des liens étroits unissent chacun des groupes aux partis politiques qui marquent la vie politique québécoise. Les municipalités vivent, elles aussi, de multiples problématiques linguistiques, selon le statut bilingue des municipalités et selon la proportion de non-francophones qui vivent dans chacune. Ces problématiques embrassent la langue des services publics, la langue de travail et des communications entre élus et travailleurs, de même que la conception particuliére des anglophones relativement a la place qu’occupent les municipalités sur la scéne politique québécoise. La situation montréalaise donne une idée de cette complexité. Il s’agissait d’amener quinze municipalités bilingues (a majorité anglaise) et onze autres municipalités (douze avec le Dorval, six habitants) a coexister avec la population de l’ancienne Montréal (a 60 p. 100 francophone). Or, dans les premiéres, maintenant des arrondissements de Montréal, la langue de travail a souvent été l’anglais, tout comme la langue des communications avec l’extérieur et la langue des services publics. En 2001, trois municipalités montréalaises a statut bilingue n’offraient toujours pas de plan de services publics en francais a leur population, cela vingt cinq ans aprés l’adoption de la Charte de la langue francaise qui enjoignait les municipalités et organismes bilingues a le faire. Les substitutions de langue (ou transferts linguistiques) dans l’ensemble des municipalités bilingues montrent que cette prépondérance de l’anglais s’est traduite, au fil des décennies, par des soldes de transferts linguistiques négatifs du groupe francophone, langue maternelle, au bénéfice de l’anglais, langue parlée a la maison.

La politique municipale reste, pour une trés large partie de la population anglophone, un important lieu d’expression d’autonomie politique. La menace sécessionniste fait en sorte que les anglophones, souvent insatisfaits des principaux partis politiques québécois, Parti libéral du Québec inclus, investissent non seulement fortement la scéne fédérale mais aussi les municipalités dans lesquelles ils représentent un poids démographique important. Ainsi, dans les mois précédant la fusion, ce sont bien quatorze municipalités a statut bilingue (et une unilingue francaise, de la région de Québec) qui ont contesté la loi 170 devant les tribunaux. Certaines ont argué que les garanties constitutionnelles couvraient les municipalités bilingues contre toute tentative d’abrogation de la part du gouvernement provincial. Le mécontentement fut tel que les élus d’autres municipalités bilingues ont même tenté de soustraire les avoirs des anciennes municipalités a la mainmise de la nouvelle ville. Ces orientations et ces décisions sont concomitantes avec l’adoption de résolutions favorables a la partition du territoire québécois advenant la souveraineté : de 1995 a 1997, quinze des dix-sept municipalités comptant 46 p. 100 et moins de francophones ont adopté des résolutions partitionnistes.

A l’époque, les porte-parole des villes a statut bilingue considéraient donc les fusions municipales comme une attaque directe contre les institutions traditionnellement controlées par les anglophones. Ils avaient la conviction que les fusions ne pouvaient se faire qu’au prix des droits des habitants des anciennes villes. Ces éléments ont fomenté une véritable crise politique, questionnant directement la légitimité des fusions et des futurs représentants, et transformant les élections municipales de novembre 2001 en une étape vers une demande de réparation pour torts subis.

C’est dans ce climat enflammé, avec la complicité des élus des anciennes banlieues, pourtant premiers opposants aux fusions, qu’ont été créés les nouveaux partis municipaux. Dans la plupart des nouvelles cités, les forces en présence opposaient les maires et leur équipe des anciennes villes centres contre les maires et leurs équipes de banlieue. (Tel n’était pas le cas a Longueuil, ou deux des municipalités s’étaient prononcées en faveur des fusions.) Partout, les diverses campagnes électorales de l’automne 2001 ont vu les partis en présence adhérer aux fusions municipales elles- mémes. Seul l’aspirant a la mairie de Montréal, Gérald Tremblay, a la téte du parti municipal issu des banlieues de Montréal, devait hésiter en affirmant étre prét a financer les contestations judiciaires des opposants aux fusions. Cette hésitation fut toutefois bréve et corrigée dans les heures qui suivirent. Elle révéle néanmoins la puissance du mouvement de contestation.

De nouveaux partis furent créés, la plupart du temps a mêmeles équipes déja en place. Le profil des chefs et des candidats renseigne sur la nature des partis et sur leur place sur l’échiquier politique. Ainsi a-t-on pu distinguer deux types de partis municipaux : ceux « affiliés » aux forces souverainistes et ceux « affiliés » aux forces fédéralistes. A Québec, Longueuil, Sherbrooke, Gatineau, Trois-Riviéres et plusieurs autres, l’un des chefs des deux principaux partis présentait un passé politique au sein des forces fédéralistes, tandis que l’adversaire, souvent issu des villes centres, affichait des affiliations souverainistes, quoique souvent moins nettement.

Le cas montréalais échappe a cette dichotomie. Il est vrai que l’ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, était, avant son entrée en politique municipale en 1994, publiquement connu pour ses sympathies souverainistes. Mais depuis sa premiére campagne électorale municipale, il a multiplié les déclarations hostiles au projet souverainiste et a toute mesure linguistique dont ne voudrait pas l’électorat anglophone. Les élections de novembre 2001 l’ont d’ailleurs explicitement amené, avouait-il en entrevue dans les semaines suivantes, a rechercher des appuis du coté de l’organisation libérale fédérale (son directeur de campagne était d’ailleurs l’ex-directeur régional du Parti libéral du Canada (PLC)) de maniére a contrecarrer son adversaire, Gérald Tremblay, fort de l’appui des libéraux provinciaux. Deux partis reposant sur les forces fédéralistes se sont donc opposés a Montréal.

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L’affiliation partisane s’est également répercutée dans le profil sociologique des équipes en lice. Dans tous les partis municipaux affiliés aux forces fédéralistes, le profil sociologique des candidats s’est révélé on ne peut plus conforme au « noyau dur » (ultra-conservateur) des forces fédéralistes, clairement distinct du profil des candidats des partis affiliés aux forces souverainistes. Les affiliations individuelles aux partis politiques, généralement discrétes, laissent également voir la préséance des affiliations aux forces fédéralistes par rapport aux forces souverainistes. A cet égard, encore une fois, Montréal ne suit pas la norme : la discrétion n’y est pas de mise. Les deux partis ont ainsi fait grand étalage des allégeances partisanes de leurs candidats. Fait surprenant, l’équipe de l’ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, semblait plus intégrée au camp fédéraliste que l’équipe de l’aspirant Gérald Tremblay. Plus du quart de ses candidats (28 sur 103) étaient affiliés aux forces fédéralistes (conseillers, attachés et autre personnel politique, nominations), davantage aux libéraux fédéraux qu’aux libéraux provinciaux, contre seulement trois candidats affiliés aux forces souverainistes. Equipe Tremblay comptait 23 de ses 101 candidats affiliés aux forces fédéralistes, dont quatre ex-députés libéraux provinciaux et l’ex-chef et ex député de l’Equality Party, Robert Libman, mais seulement trois candidats affiliés aux forces souverainistes.

Les résultats aux élections municipales de novembre 2001 ont dérouté plus d’un observateur. S’il est vrai que le clivage banlieue-ville centre fut préséant a Québec (l’équipe issue de la banlieue ne fit pas élire sa candidate a la mairie, mais elle récolta néanmoins une majorité des conseillers), il resta pourtant secondaire a Montréal et Longueuil (ou les équipes issues de la banlieue ont triomphé). Dans ces derniéres cités, les résultats électoraux ont davantage été influencés par le clivage linguistique. Mais même a Québec, ou le parti issu de la banlieue souscrivait aussi a la fusion forcée, on a retrouvé les caractéristiques habituelles du clivage linguistique et constitutionnel.

La situation montréalaise est des plus remarquables. L’analyse des résultats indique d’abord clairement la prévalence du clivage linguistique sur le clivage entre le centre et la banlieue. Trois groupes étaient en présence et deux d’entre eux, les anglophones et les allophones, ont chacun fait la différence la ou ils constituaient une proportion suffisante de l’électorat. L’équipe de Gérald Tremblay a réussi a canaliser vers elle une portion suffisante du mécontentement des anglophones pour l’emporter systématiquement partout en banlieue et même dans la ville centre, la ou les anglophones étaient suffisamment concentrés. Parmi ceux qui se sont déplacés pour voter (seulement 40 p. 100 environ), les anglophones ont appuyé, indépendamment de leur lieu de résidence, a prés de 10 contre 1 les candidats d’Equipe Tremblay.

D’autre part, l’équipe de Pierre Bourque est parvenue a obtenir l’appui d’une confortable majorité chez les allophones (environ deux contre un). La forte participation de ces derniers illustre un certain enthousiasme et l’intérét suscité par les fusions. Ce comportement électoral des allophones a transcendé les frontiéres administratives de l’ancienne ville de Montréal pour s’étendre aux allophones de banlieue. A l’exemple des anglophones, qui ont fait la différence partout ou ils étaient concentrés en proportion suffisante, les allophones ont fait la différence en faveur d’Equipe Bourque dans tous les autres districts électoraux.

Quant aux francophones, leur division presque égale entre Equipe Tremblay et Equipe Bourque, sans égard a leur localisation dans la ville centre ou les anciennes banlieues, accompagnée de trés forts taux d’abstention (similaires a ceux des anglophones), les a laissés sans poids électoral : le sort des candidats des deux équipes reposait presque entiérement entre les mains des anglophones pour Equipe Tremblay et des allophones pour Equipe Bourque. L’électorat francophone montréalais, pourtant le plus souverainiste de tout le Québec, a plutot hésité devant les partis proposés par les forces fédéralistes.

Le travail de mobilisation des partis provinciaux et fédéraux est crucial pour comprendre la nouvelle donne politique montréalaise. En parvenant adroitement a canaliser, a encadrer et a répartir les voix des allophones et celles des anglophones, les forces fédéralistes sont parvenues a tirer profit des liens étroits entre les anglophones et le PLQ et entre les allophones et le PLC : chaque groupe compte pour au moins un tiers de la clientéle de l’électorat d’Equipe Tremblay et d’Equipe Bourque, et chacun a fait la différence. Le souverainiste Pierre Bourque a ainsi récolté les fruits de nombreuses prises de position contre les lois linguistiques et les souverainistes, ainsi que de la place de choix qu’il a accordée aux libéraux fédéraux dans l’organisation de sa campagne électorale. Dans l’ensemble, en constituant ainsi une force incontournable et déterminante, tant au sein de l’équipe au pouvoir que dans l’opposition, les forces fédéralistes ont connu un véritable succés de mobilisation qui répéte avec éclat ce qui avait été réussi en 1989 avec l’Equality Party.

Ce portrait serait incomplet s’il omettait l’examen des équipes élues et des membres des comités exécutifs nommés par les nouveaux maires. Ainsi, au fur et a mesure que l’on monte dans la hiérarchie des élus des quatre principales cités, les affiliations fédéralistes et les caractéristiques socialement conservatrices des candidats s’accentuent. Par exemple, a Montréal, alors que les candidats affiliés aux forces fédéralistes comptaient pour environ 25 p. 100 de l’ensemble des candidats et des élus, ils représentaient 41 p. 100 des postes supérieurs et 50 p. 100 du comité exécutif restreint; les candidats aux caractéristiques conservatrices représentaient 85 p. 100 des candidats, 89 p. 100 des élus, 95 p. 100 des postes supérieurs et 100 p. 100 des membres du comité exécutif restreint.

Les élections du 4 novembre 2001 ont donc permis a des chefs et a des équipes affiliées aux forces fédéralistes de prendre le pouvoir dans toutes les nouvelles cités d’importance, sauf a la mairie de Québec (mais la majorité des conseillers de cette derniére appartient toutefois a un parti affilié aux forces fédéralistes). Cette situation n’est pas sans avoir des répercussions sur la structuration du pouvoir. Il faut ici comprendre toute l’importance des municipalités en tant que premier lieu de maillage avec les diverses organisations de la société civile : l’exercice du pouvoir permet aux équipes élues d’étendre leur influence a une foule d’organismes publics et privés (tels les organisations d’affaires, les hopitaux et les CLSC, les organismes communautaires, ceux voués aux arts et a la culture, et autres commissions scolaires). Les municipalités offrent en quelque sorte un premier lieu de réseautage, tant pour les forces souverainistes que fédéralistes, que ces derniers semblent davantage exploiter. Cette mise en réseau représente dans les faits un atout essentiel a la poursuite d’une carriére politique. Elle consolide du mêmecoup leur pouvoir dans l’ensemble de la société. Les municipalités jouent de plus le role d’école de formation pour futurs députés provinciaux et fédéraux et permettent aux députés défaits a d’autres paliers politiques de prolonger leur carriére politique sur la scéne municipale.

Il apparai‚t paradoxal qu’un gouvernement souverainiste ait favorisé des réformes structurantes de l’espace politique sans se soucier des implications qui lui étaient défavorables a moyen et a long terme. Difficile d’expliquer comment l’on a pu croire que les grandes lignes de fracture de l’électorat québécois ne se transposeraient pas sur la scéne municipale et qu’aucun examen des forces en présence n’ait été réalisé pour évaluer les positions détenues par les forces fédéralistes avant les fusions et les positions qu’elles étaient susceptibles d’occuper aprés. Dorénavant, les équipes fédéralistes disposent d’avantages plus importants dans toutes les plus grandes cités québécoises. La réforme a structurellement changé la donne politique au Québec et constitue désormais un obstacle de plus face a la réalisation du projet des forces sécessionnistes.

Il semble que des préoccupations politiques d’ordre supérieur, une conception conservatrice de la démocratie et une stratégie consensuelle (dont témoignent la constitution, la composition et le role essentiel joué par les comités de transition) soient les facteurs qui permettent d’expliquer la nouvelle donne politique. Le respect des forces politiques dominantes commande en effet la formulation de consensus politiques locaux acceptables a celles-ci. Il n’est donc pas étonnant de constater, a posteriori, que les nouvelles équipes élues aient entériné les budgets proposés par les comités de transition ”” par exemple, a Montréal, le statu quo en matiére de dépenses par habitant, soit des dépenses de 1 100 $ par habitant dans les riches quartiers de banlieue contre moins de 350 $ pour les quartiers francophones et immigrants de l’ancienne Montréal ””, opté pour le statu quo linguistique (pendant un an avant la remise en question de la fin de l’automne 2002) et proposé une redéfinition de la vie démocratique municipale qui fasse davantage de place aux groupes dominants (Gérald Tremblay favorise l’augmentation du nombre de représentants élus pour les anciennes municipalités bilingues rappelons que, parmi les cinq modes d’élections en vigueur en 2001 a Montréal, l’un d’eux tend carrément a éliminer toute opposition : un tiers des conseillers de la ville et un quart des conseillers d’arrondissement furent élus au scrutin plurinominal majoritaire, reconnu pour limiter les groupes minoritaires dans leur accés a la représentation).

Les résultats des fusions municipales, a Montréal comme dans les grandes agglomérations qui constituent une large partie de la trame urbaine du Québec, ont illustré les limites plutot étroites de la démocratie telle que pratiquée sous un mode de scrutin majoritaire. Un nouveau mode de scrutin aurait pu étre mis de l’avant par le gouvernement provincial, mais la réflexion démocratique s’est brisée sur le conservatisme des dirigeants souverainistes et leur peur de s’aliéner les forces politiques en présence. En définitive, l’analyse politique du PQ a reposé sur une compréhension erronée de l’impact des institutions et des structures politiques. Elle a également eu pour effet de diminuer davantage ses capacités d’accéder au pouvoir au même titre que les autres groupes défavorisés et sous-représentés.
La victoire des équipes fédéralistes dans la plupart des grandes cités québécoises, lors des élections de novembre 2001, apparait donc favoriser l’emprise des forces fédéralistes au sein des nouvelles cités. Les paramétres habituels régissant les comportements électoraux laissent croire en l’existence d’un avantage qui durera tant que la menace sécessionniste demeurera dans le paysage politique. A long terme, les nouvelles dynamiques électorales et politiques qui sont issues des fusions devraient favoriser le renforcement d’une culture de plus en plus fédéraliste au sein des institutions municipales ainsi que dans les relations qu’elles entretiennent avec leurs partenaires. Dans ce remodelage des rapports de force, il sera intéressant de surveiller l’évolution du role de l’anglais comme langue du pouvoir et l’extension de son utilisation parmi les employés municipaux. Le role de Montréal comme « creuset intégrateur » de la société québécoise semble sortir affaibli des fusions municipales.

 

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