Alors qu’entre en vigueur l’Accord économique et commercial global (AECG) entre l’Union européenne et le Canada, il faut se féliciter du leadership qu’a exercé l’ancien premier ministre Jean Charest, il y a 10 ans, dans l’ouverture des négociations qui ont mené à cet accord. Sa conclusion arrive à point nommé pour une Union européenne déboussolée, à la recherche d’un point de repère un an après le vote du Brexit.

Après six mois de déferlante Trump, marquée par le torpillage du Partenariat transpacifique (PTP), une nouvelle crise du bois d’œuvre et la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’environnement commercial du Québec et du Canada est lui aussi rempli d’inconnus.

Dans ce contexte, quelles sont nos options commerciales ? Sauvegarder ce qui peut l’être de la relation privilégiée avec les États-Unis, consolider l’accord avec l’Europe ? Le gouvernement canadien a posé les gestes qui s’imposaient. Pour le reste, il faut éviter d’être spectateur comme dans le cas du PTP, où les règles ont été décidées par les autres, le Canada arrivant à la onzième heure. Le Canada doit donc multiplier les pourparlers avec ses autres principaux partenaires commerciaux, notamment le Royaume-Uni et le Japon, mais aussi la Chine, qui s’impose comme partenaire incontournable au 21e siècle.

La volonté d’intensifier les relations

Il y a un an, en annonçant leur volonté de tenir des discussions exploratoires en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange sino-canadien, les premiers ministres Justin Trudeau et Li Keqiang remettaient à l’ordre du jour le renforcement de leurs relations commerciales.

C’est dès 2006 que le gouvernement de Jean Charest a inscrit la Chine dans la liste des « pays prioritaires » en Asie. Plus récemment, dans la mise à jour de sa politique internationale, le gouvernement de Philippe Couillard accorde à la Chine une place plus importante que jamais. On y souligne

… l’émergence de la Chine, qui a un effet structurant sur les rapports internationaux. […] Cette perspective met en évidence l’importance de la Chine dans plusieurs domaines, dont la lutte contre les changements climatiques, la recherche scientifique, les technologies vertes, l’aérospatiale, le bioalimentaire et le tourisme. De plus, certaines provinces et municipalités autonomes chinoises se développent rapidement et constituent des interlocuteurs d’intérêt en raison du grand potentiel de renforcement des relations économiques et institutionnelles.

Au plan commercial, la volonté « d’accroitre l’accès au marché chinois » compte parmi les objectifs du Québec.

Mais, au-delà du commerce, le Québec cible la Chine, car

Il entend poursuivre ses efforts en intégrant les structures de dialogue établies avec ce pays par le Gouvernement du Canada. Le Québec compte également intensifier ses interventions auprès des provinces et des villes chinoises ainsi qu’auprès des représentants des secteurs économiques chinois et québécois, avec pour objectif l’établissement d’initiatives porteuses pour les intérêts stratégiques du Québec en Chine, dans un esprit de partenariat mutuellement bénéfique.

Bref, le Québec ne souhaite pas être passif vis-à-vis de la Chine ni limiter son action à la simple promotion du commerce. Dans cette veine, des avenues s’offrent à lui s’il sait en profiter. D’autant plus que le gouvernement fédéral affirme, dans ses consultations sur un potentiel accord de libre-échange avec la Chine, vouloir « maximiser les avantages économiques et sociaux d’un tel accord ».

Les gestes à poser

Le Québec, s’il juge que les avantages du libre-échange avec la Chine l’emportent sur les désavantages, pourrait jouer le rôle de fer de lance du débat, comme il le fit dans les années 1980, dans le cadre de la campagne en faveur d’un accord de libre-échange avec les États-Unis, et tirer ainsi des avantages politiques et économiques.

Les Chinois demeurent très sensibles à toute profession d’amitié et, pour le Québec, de se faire l’apôtre du libre-échange sino-canadien pourrait n’avoir que des conséquences heureuses pour ses intérêts politiques et ses entreprises. En outre, alors que la Chine pousse plusieurs de ses grandes sociétés à investir des centaines de milliards de dollars à l’étranger pour qu’elles deviennent des multinationales de premier rang, le Québec se positionnerait encore davantage comme terre d’accueil pour les sociétés chinoises désireuses de s’implanter sur le continent nord-américain (notons qu’Investissement Québec est présente en Chine depuis plus de 10 ans).

De plus, une coopération plus étroite avec la Chine et les provinces chinoises permettrait aux entreprises canadiennes et québécoises de profiter davantage des grandes initiatives chinoises (notamment la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, les Nouvelles Routes de la soie et le Partenariat économique régional global).

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Pour que ces avantages se réalisent, certains gestes administratifs devraient être posés.

D’abord, le Québec doit revendiquer sa place au sein de l’équipe de négociation canadienne, pour que ses priorités soient considérées en amont, en nommant son propre négociateur en chef, comme ce fut le cas pour l’AECG et maintenant pour la renégociation de l’ALENA.

Ensuite, le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), qui s’est doté de stratégies globales ciblant spécifiquement les États-Unis et l’Europe, devrait faire de même pour la Chine. C’est une lacune qu’il faudrait combler, afin d’assurer la cohérence de l’ensemble de l’action gouvernementale visant le géant asiatique. Une telle stratégie permettrait aussi de rattraper plusieurs autres provinces canadiennes qui accueillent, en pourcentage et toutes proportions gardées, plus d’étudiants et de touristes chinois, et qui ont des échanges de biens (exportations et importations) plus intenses avec la Chine.

On devrait aussi envisager de créer au sein de la Direction générale responsable de l’Asie-Pacifique du MRIF une Direction Chine, dotée de ressources budgétaires et humaines appropriées. On ferait ainsi la jonction entre le discours officiel, qui fait de la Chine une priorité, et la structure administrative. Ce serait aussi un message politique (auquel les autorités chinoises ne seraient pas insensibles) et économique rassurant pour les entreprises et les institutions du Québec.

Il faudrait déterminer comment mieux aider les entreprises et les institutions à aborder le marché chinois et, surtout, lesquelles aider. Pour ce faire, il faut connaître leurs besoins exacts et établir la meilleure façon d’y répondre. Cela implique le recensement des ressources privées et institutionnelles susceptibles de fournir l’aide et le soutien nécessaires à une bonne entrée sur le marché chinois. Ensuite, le gouvernement pourra déterminer les actions et programmes concrets en vue d’aider les entreprises et la société québécoises à faire face aux défis du libre-échange avec le marché chinois. Une « Stratégie Chine » apporterait des réponses à ces questions.

Compte tenu des enjeux que cela représente pour chacun des acteurs, il n’est pas exclu non plus que le secteur privé et le monde institutionnel, particulièrement les universités, soient partie prenante dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une telle Stratégie Chine à l’échelle du Québec. Elle pourrait se traduire par des actions conjointes ou concertées en Chine, telle l’implantation d’un important centre culturel québécois ainsi que de parcs industriels qui agissent comme incubateurs pour les entreprises québécoises, particulièrement les PME, en leur permettant de partager des ressources et de diminuer leurs coûts et leurs risques.

Vers un partenariat actif

De nombreux sondages ont démontré les réticences d’une partie importante de la population canadienne devant la conclusion d’un accord commercial avec la Chine. Les vives réactions qu’a suscitées l’an dernier la perspective que soit négocié un traité d’extradition avec le géant asiatique en disent long aussi. Le gouvernement fédéral, dans le cadre des consultations qu’il tient en ce moment sur un accord de libre-échange avec la Chine, souhaite donc discuter des aspects « progressistes » qu’un tel accord pourrait inclure.

Comme les négociations de l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et la Chine ou l’Accord de libre-échange Chine-Australie l’ont démontré, certaines négociations peuvent s’étendre sur plus d’une décennie. La situation concurrentielle de nos entreprises ne nous permet pas d’attendre aussi longtemps. Le Québec doit promouvoir la conclusion rapide d’un accord « vivant », qui permettra d’engager un dialogue fondé sur la confiance avec les autorités chinoises et de coopérer à divers titres avec elles. Un accord initial rapide, non exhaustif, implique une approche graduelle et un contenu qui évoluera avec le temps. Les aspects commerciaux et non commerciaux doivent donc demeurer ouverts et faire l’objet de protocoles additionnels, car l’inclusion d’aspects sociétaux et de gouvernance pourrait offrir des perspectives intéressantes de coopération pour le Québec.

La Chine partage, à divers degrés, des traits communs avec d’autres pays en émergence, notamment des défis importants en matière de gouvernance, des problèmes de corruption, une capacité d’action de la société civile et une autonomie institutionnelle limitées, des déficiences en matière d’application du régime de droit, de lourds impacts sociétaux des changements climatiques et une forte détérioration de l’environnement. Dans plusieurs de ces domaines, le Québec pourrait se présenter comme un partenaire actif de la Chine et participer à des dossiers de coopération institutionnelle entre le Canada et la Chine, ou alors lancer ses propres chantiers. Il l’a déjà fait sur une base ad hoc (par exemple la formation des juges), mais il pourrait contribuer à (et profiter de) l’établissement de partenariats soutenus avec l’administration publique, les institutions et la société civile chinoises. Les deux pays en sortiraient enrichis. Et cela aussi serait conforme à la volonté de l’État québécois de soutenir les échanges sur les meilleures pratiques, dans des domaines de sa compétence, dans le cadre de partenariats bilatéraux et multilatéraux.

Cet article fait partie du dossier Les politiques commerciales en des temps incertains.

Photo: Le premier ministre du Québec Philippe Couillard reçoit le premier ministre chinois Li Keqiang à Montréal, le 23 septembre 2016. La Presse canadienne / Paul Chiasson.


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Patrice Dallaire
Patrice Dallaire est diplomate en résidence aux Hautes études internationales de l’Université Laval, et directeur exécutif du Centre d'études pluridisciplinaires en commerce et investissement internationaux (CEPCI). Il a œuvré en Chine pour le compte du gouvernement du Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

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