Une famille canadienne sur deux achète des aliments biologiques chaque semaine. La demande de produits biologiques augmente de 16 % chaque année au pays, faisant du Canada le 5e plus grand marché pour les produits biologiques au monde. Cependant, la production agricole biologique canadienne ne suffit pas à répondre à cette demande, et l’importation grandissante de produits biologiques représente des occasions de marché manquées pour notre secteur agricole.

Pourquoi les agriculteurs canadiens refusent-ils de se lancer dans la production biologique ? La question est complexe. D’une part, la transition vers l’agriculture biologique entraîne une période sensible pour les producteurs agricoles. Effectivement, pendant la période de transition des terres vers la régie biologique, les producteurs ne peuvent bénéficier de la plus-value associée à l’usage de l’appellation biologique pour leurs produits. Au cours de cette période de transition, d’une durée habituelle de trois ans, les rendements des cultures peuvent chuter de façon importante, puisque les producteurs doivent composer avec  de nouvelles méthodes de production (par exemple, les producteurs de grandes cultures en transition biologique doivent apprendre à utiliser et à ajuster les équipements de désherbage mécanique qui remplacent l’utilisation d’herbicides pour éliminer les mauvaises herbes), en plus de renoncer à recourir  à de multiples intrants  (comme des pesticides et des engrais fertilisants de synthèse).

D’autre part, la transition biologique a jusqu’à tout récemment attiré les producteurs les plus innovateurs, capables de gérer un haut niveau de risques, ou ceux qui priorisent les valeurs environnementales par rapport aux gains financiers. Mais la situation a changé, et les prix à la hausse des produits biologiques, une meilleure structuration du marché et les garanties offertes par la réglementation canadienne en vigueur depuis 2006 sécurisent les producteurs en transition et ceux qui envisagent une transition vers l’agriculture biologique. Cependant, la production agricole biologique augmente encore trop peu lentement pour répondre à la demande des Canadiens qui veulent davantage de produits bio dans leur assiette, et nous importons donc de plus en plus de produits certifiés biologiques. Il est temps de mettre en place des politiques publiques pour encourager les producteurs à prendre le virage bio.

Des politiques publiques solides qui encouragent et soutiennent les producteurs agricoles dans leur transition biologique fonctionnent. Au Québec, la Stratégie de croissance du secteur biologique, lancée en mai 2015 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation du Québec produit déjà des résultats. Dotée d’un budget de plus de neuf millions de dollars sur trois ans, cette stratégie a pour objectif d’augmenter l’offre québécoise de produits biologiques. Elle est composée d’un ensemble de mesures de soutien qui permettent d’appuyer concrètement les entreprises agricoles. Parmi celles-ci figure le Programme d’appui pour la conversion à l’agriculture biologique ; ce programme soutient financièrement les unités de production en transition vers l’agriculture biologique (hectares, entailles et ruches). Depuis son lancement en juin 2015, il a permis de soutenir financièrement la conversion de plus de 5 000 hectares de terre en culture et de 2,6 millions d’entailles en acériculture. Le programme offre également une aide financière pour la construction ou la modification d’installations d’élevage afin de répondre aux normes biologiques en vigueur. En fait, il connaît un tel succès qu’il a été prolongé jusqu’en 2022.

Comme autre mesure, on retrouve un soutien financier bonifié qui rembourse à hauteur de 85 % les frais associés aux services-conseils techniques, économiques et agroenvironnementaux auxquels les producteurs biologiques ou ceux qui sont en transition peuvent recourir. Cela permet aux producteurs de mieux gérer les risques de la transition bio et d’être mieux outillés et plus efficaces dans le transfert de connaissances et de technologies innovantes pour augmenter la compétitivité de leur entreprise.

À ce jour, 4 % des producteurs agricoles du Québec sont certifiées biologiques, alors que la moyenne canadienne n’atteint que près de la moitié de ce chiffre (2 %). Québec maintient ainsi sa place de leader au pays en termes de pourcentage de fermes certifiées biologiques. Il est à parier que d’ici 2022, de 6 % à 8 % des fermes agricoles du Québec seront certifiées biologiques, ce qui fera du Québec le leader nord-américain du bio. Il ne reste qu’à souhaiter que les succès réalisés au Québec inspirent d’autres provinces canadiennes dans leur virage bio.

 Cependant, tout n’est pas rose non plus dans la filière biologique. Les organismes chargés du maintien et de la surveillance de la certification biologique sont sous-financés. Le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), l’organisme mandaté pour superviser l’accréditation des organismes de certification au Québec, bat de l’aile. La démission de sa directrice au cours des dernières semaines a fait les manchettes. Exaspérée par le manque de financement du CARTV, elle a laissé une série de recommandations au ministre Lessard qui, espérons-le, veillera au soutien du CARTV dans le futur. Pourtant, la réglementation est le pilier central sur lequel repose la confiance des consommateurs en matière de produits biologiques et d’échanges commerciaux internationaux de produits bio. Seul un système de certification fort et crédible permettra de développer le marché des produits biologiques à son plein potentiel.

 De plus, il est impératif que toutes les provinces canadiennes adoptent une réglementation pour encadrer l’appellation « biologique » (« organic ») et son diminutif « bio ». Effectivement, comme le Règlement sur les produits biologiques du gouvernement fédéral ne s’applique pas aux ventes de produits à l’intérieur d’une même province, chaque province doit adopter des normes pour mieux encadrer l’utilisation de ces termes dans le cas du commerce intra-provincial. Présentement, seules la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont réglementé ces termes ou prévoient le faire au cours de la prochaine année. Il est donc primordial que les autres provinces se dotent d’appellations réservées pour assurer la confiance des consommateurs dans les produits biologiques et dans le processus de leur certification.

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Le gouvernement canadien aurait aussi avantage à inclure l’écoconditionnalité dans tous ses programmes du domaine agricole. La performance environnementale des entreprises agricoles doit devenir le pilier principal de l’attribution de financement public en agriculture. Le développement de l’agriculture canadienne dépend de la protection de ses ressources. Des indices de performance liés à la conservation des sols, à la qualité de l’eau, au respect du bien-être animal et à la prévention des maladies dans les productions animales, entre autres, aideraient à développer la reconnaissance publique de l’agriculture, tout en préservant les ressources naturelles nécessaires à la prospérité du secteur agricole au-delà du prochain cadre stratégique fédéral.

Il faut continuer de soutenir les entreprises agricoles canadiennes dans le développement de leur résilience. Nous avons besoin d’entreprises capables de faire face aux changements à venir dans le secteur agricole : perturbations des marchés, changements climatiques, vieillissement des agriculteurs, demande des consommateurs, etc. Le gouvernement canadien a intérêt à modifier ses politiques pour subventionner les entreprises agricoles les plus efficientes, et non les plus productives. Il doit continuer de fournir du soutien et des incitatifs pour que les entreprises agricoles s’éloignent des modes de production industrielle peu efficients, et appuyer celles qui s’engagent dans la transition vers l’agriculture biologique.

L’actuel cadre stratégique agricole fédéral arrivera à échéance en mars 2018. Le gouvernement fédéral a donc l’occasion d’investir dans des entreprises agricoles résilientes et innovantes, pour garantir la prospérité, la stabilité et la reconnaissance publique du secteur agricole. Le développement de la production agricole biologique au Canada est en lien direct avec les orientations stratégiques énoncées dans la Déclaration de Calgary de juillet dernier. Les consommateurs demandent des produits locaux et biologiques. Les producteurs agricoles demandent plus de soutien technique et financier pour réduire les risques liés à la transition biologique de leur entreprise. Faisons 1 + 1 et investissons dans le développement de l’agriculture biologique.

Cet article fait partie du dossier L’agriculture canadienne à la pointe du secteur

Photo: Shutterstock.com (Vignoble biologique, Osoyoos, C.B. Shutterstock/Nalidsa)


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