Les résultats inattendus des élections fédérales du 2 mai dernier ont créé des bouleversements importants et continuent de susciter de nombreuses analyses quant aux implications à long terme pour la politique canadienne. Parmi celles-ci, une question se retrouve sur toutes les lèvres : compte tenu de l’ampleur de sa défaite, quel est l’avenir du Parti libéral du Canada?

Pour ne pas se perdre d’emblée dans un certain fatalisme, établissons quand même quelques balises contextuelles autour du débat qui s’amorce sur l’avenir du PLC. Notons d’abord que, dans les cinq dernières élections fédérales, 40 p. 100 des électeurs n’ont pas exercé leur droit de vote. Autrement dit, à chaque scrutin, deux électeurs sur cinq choisissent consciemment de ne pas voter. Le désenchantement de la population à l’égard de la politique — et des politiciens — est un phénomène maintenant bien établi.

Dans ce contexte, les partis politiques, qui sont au cœur de cette fragilisation et de cette crise de confiance, sont assujettis comme jamais auparavant aux humeurs d’un électorat fondamentalement insatisfait de ce que la politique est devenue. Certains en bénéficient, d’autres en subissent les contrecoups.

Aujourd’hui majoritaires, les conservateurs ont déjà été réduits à deux sièges, en 1993. Si le PLC et le Bloc québécois se trouvent aujourd’hui dans une position précaire, rien ne garantit que les autres partis ne subiront pas le même sort dans un avenir relativement rapproché. Où sera le Parti conservateur quand Stephen Harper partira? Le NPD sans Jack Layton? Les empires sont défaits, même quand ils ont dominé leurs adversaires ; les partis politiques aussi.

Qui plus est, notre système électoral uninominal à un tour doit inciter à une certaine prudence dans l’interprétation des résultats. Même si la victoire des conservateurs nous est apparue décisive et sans appel, moins de six millions de Canadiens ont voté pour le Parti conservateur le 2 mai dernier. Avec 39,6 p. 100 des suffrages — seulement 2 p. 100 de plus qu’aux élections de 2008 —, le parti de M. Harper a récolté près de 55 p. 100 des sièges. Le PLC a obtenu 18,9 p. 100 des votes, mais ses 34 sièges représentent moins de 9 p. 100 des sièges. Le NPD a augmenté son pourcentage d’appuis de 12 p. 100 par rapport à 2008, mais il a presque triplé son nombre de sièges aux Communes.

Dans les démocraties bien établies, des partis qui ont une longue histoire et qui sont bien implantés ont tous eu, dans l’histoire récente, à essuyer des revers affligeants. C’est le cas notamment du Labour Party au Royaume-Uni et du Parti socialiste en France. La loyauté aux partis politiques n’est plus ce qu’elle a déjà été ; l’appartenance est interchangeable et malléable. L’univers politique en est un de branding, où l’on vend par tous les moyens un produit dont on pourra disposer sans difficulté au besoin. Les étiquettes sont simplistes à outrance, mais dans un univers médiatique orienté vers le sensationnalisme et le besoin de produire des nouvelles en masse, elles permettent de présenter en apparence des choix clairs.

Nous assistons ni plus ni moins à la « twitterisation » de la politique, où il suffit de 140 caractères pour faire basculer une campagne électorale et une carrière politique. Les campagnes électorales se sont transformées en grand concours de popularité, et les médias n’en ont que pour la « course ». Ce qui domine la nouvelle, c’est le sondage quotidien qui détermine quel chef est le plus populaire, qui a le vent dans les voiles et avec qui on aimerait aller prendre une bière.

Dans ce contexte, les politiciens plus sérieux et austères, qui refusent d’être des amuseurs publics pour ainsi dire, se font avaler tout rond. Leurs idées sont présentées comme étant menaçantes ou, encore pire, ne font même pas l’objet d’une analyse rigoureuse et sérieuse. Ainsi, la politique est couverte comme un spectacle. Plutôt que d’informer, on cherche trop souvent à divertir. En gros, il ne s’agit pas de rapporter ce que les chefs ou les partis proposent, mais de spéculer sur qui est en tête et qui traîne de la patte. On assemble des panels d’observateurs à la télévision pour nous dire que tel chef a marqué un point et qu’un autre est en train d’en prendre plein la gueule.

De tous les chefs, Stephen Harper est de loin celui qui a mené la pire campagne. Mauvais débats, absence de nouvelles idées, style hermétique et défensif, seulement quatre questions aux journalistes par jour : en théorie, tous les ingrédients étaient réunis pour un désastre électoral.

C’est tout comme si on décrivait un combat de boxe. Il faut un gagnant et un perdant, un bon et un vilain. La couverture que les médias font des débats télévisés des chefs pendant les campagnes électorales est particulièrement débilitante. La discussion est à peine terminée et voilà que le clergé d’experts laisse tomber ex cathedra son verdict sur le vainqueur et les perdants. La plupart du temps, on ne tient nullement compte du contenu, des propositions ou des messages véhiculés, mais de la forme : le non-verbal, l’assurance, la répartie.

De tous les chefs, Stephen Harper est de loin celui qui a mené la pire campagne. Mauvais débats, absence de nouvelles idées, style hermétique et défensif, seulement quatre questions aux journalistes par jour : en théorie, tous les ingrédients étaient réunis pour un désastre électoral. La réalité est qu’il se trouve aujourd’hui à la tête d’un gouvernement majoritaire et qu’il a les coudées franches pour mettre en œuvre son programme politique.

En somme, la politique est devenue superficielle. La faute ne revient pas seulement aux médias. La professionnalisation de la politique y est pour beaucoup. Dans ce contexte-là, le succès des partis politiques dépend d’une foule de facteurs qui n’ont pas tant à voir avec leurs valeurs ou leur philosophie politique, mais plutôt avec leur capacité de « se vendre » à l’électorat par le truchement des médias. Les résultats des groupes de consultation et des sondages internes prennent le dessus sur les principes et les idées. Il y a trop de politiciens de carrière.

Il serait injuste d’attribuer la défaite du 2 mai dernier à Michael Ignatieff, qui a mené une campagne inspirée et sans bavure. Certains diront que son leadership était fragile, que les attaques négatives à son endroit ont été d’une efficacité désarmante, soit. Il reste que depuis les élections de 2000, le Parti libéral a vu son pourcentage de votes diminuer à chacun des scrutins, et ce sous la direction de trois chefs différents. Le déclin latent du parti ne peut donc s’expliquer uniquement par le prisme du leadership. Les raisons en sont plus profondes.

Comment alors comprendre la débandade des libéraux? Il n’y a pas de réponse aisée à cette question.

On peut envisager plusieurs hypothèses. J’en retiens deux. La première, et probablement la plus évidente: le PLC ne peut aspirer à former de façon durable un gouvernement majoritaire sans récolter un certain nombre de sièges au Québec francophone et dans l’Ouest. Dans la mesure où il lui est désormais impossible de remporter tous les sièges en Ontario, comme jadis quand les libéraux faisaient face à une droite fragmentée, le PLC doit gagner un nombre significatif de sièges dans toutes les régions du pays, sans exception. Dans un avenir rapproché, cela constitue un défi de taille, il va sans dire. Et il n’y a pas de recette miracle pour le relever. Il faut rebâtir une par une les associations de comté, se donner des objectifs de recrutement de membres, trouver des façons ingénieuses de collecter des fonds, augmenter le nombre de donateurs, etc.

Le rejet du PLC par le Québec francophone est particulièrement problématique. La dernière fois que les Québécois francophones ont appuyé en grand nombre le PLC, c’était en 1980 avec Pierre Trudeau, il y a plus de 30 ans. À ne pas en douter, l’affaire des commandites a causé un tort irréparable au parti. Qui sait combien de sièges Paul Martin aurait pu remporter en 2004 au Québec n’eut été de ce désastre politique que le PLC s’était lui-même infligé?

En votant massivement pour le Bloc québécois pendant près de 20 ans et maintenant pour le NPD, les Québécois ont envoyé un message assez clair : la participation active à la gouverne du Canada n’est pas une priorité pour eux. C’est un peu comme s’ils avaient dit : « Nous avons notre gouvernement, le gouvernement du Québec, et notre Parlement, l’Assemblée nationale, pour s’occuper de nos affaires. Le Canada? Ça ne nous intéresse pas vraiment. L’important, c’est de rejeter le gouvernement Harper, avec lequel nous ne partageons ni les valeurs, ni la manière de faire de la politique. »

Indubitablement, ceux qui par ailleurs voient dans l’appui au NPD une bonne nouvelle pour le fédéralisme canadien se leurrent. À preuve, bon nombre des nouveaux députés du NPD au Québec ont admis avoir voté oui au référendum de 1995. Étant donné que la majorité des députés du NPD vient désormais du Québec, le parti est maintenant perçu, bien malgré lui, comme celui qui doit représenter les intérêts du Québec aux Communes et jouer le rôle que le Bloc a assumé pendant près de 20 ans.

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La deuxième hypothèse qui explique le déclin du PLC est celle de l’embourgeoisement. Au cours du dernier siècle, le PLC a outrageusement dominé la politique canadienne. Il a formé le gouvernement pendant 65 des 90 dernières années. Un parti si familier avec le pouvoir développe forcément de mauvaises habitudes et une certaine lassitude : il ne s’occupe pas ou peu de sa base et de ses militants, il prend son succès pour acquis sans trop se demander ce que l’avenir lui réserve, il devient arrogant et favorise les amis du régime. Il se transforme lentement, mais sûrement, en un parti d’initiés.

Obnubilé par son succès indéniable au cours du dernier siècle, le PLC ne s’est pas suffisamment préoccupé de sa « marque » — et ce, à son propre péril. Le pouvoir l’a rendu narcissique.

La politique, par définition, n’est pas statique. Et les partis politiques ne sont pas éternels, mais sujets à des mutations importantes. À un moment ou un autre de leur histoire, ils encaissent des défaites qui peuvent même les amener à disparaître. Il serait très surprenant, même si ce n’est pas totalement impossible, que ce soit le cas pour le PLC, et cela pour au moins deux raisons.

La première tient aux idéaux que défendent les libéraux : l’interventionnisme économique mesuré, la redistribution de la richesse, les libertés individuelles, la justice sociale ainsi que l’équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels sont tous assez largement partagés par une grande majorité de Canadiens.

La deuxième est que les libéraux, en dépit de la crise existentielle qu’ils traversent, possèdent des bases très solides au sein de la culture politique canadienne. Le PLC a tellement façonné le pays — pensons à Laurier et l’expansion vers l’Ouest, l’effort d’après-guerre et l’édification de l’État moderne canadien, l’idéal pearsonien à l’étranger, la Loi sur les langues officielles, la Charte canadienne des droits et libertés — qu’il sera difficile de le faire disparaître dans l’air du temps.

Rappeler l’historique aide à mettre les choses en perspective. À deux reprises au cours du dernier demisiècle, le PLC a connu des défaites importantes. Mais chaque fois, le parti est revenu en force. Les années Diefenbaker ont mené aux années Pearson et Trudeau ; les années Mulroney ont précédé les années Chrétien. Mais si rien ne permet de conclure à la fin du PLC, rien ne garantit non plus son succès dans un avenir rapproché. Certaines conditions sont nécessaires à sa réhabilitation et, sans aucun doute, une dose de bonne fortune sera requise. Comme dans toute situation difficile, il y a toujours des occasions à saisir.

La première condition de succès du PLC est de reprendre vie au Québec ; l’essence même et le fondement historique du Parti libéral, c’est d’être ce pont entre les deux grandes communautés linguistiques du Canada. Le parti doit non seulement repenser sa relation avec le Québec francophone, mais la réinventer sur de nouvelles bases. Cette approche n’implique pas de se mettre à genoux ou de se relancer dans les anciennes velléités constitutionnelles dont personne ne sortirait gagnant. Afin de retrouver ses assises au Québec, il lui faut rebâtir une base et procéder à un changement de garde.

Si le Parti libéral ne réussit pas à mobiliser des jeunes Québécois et Québécoises de la génération émergente — celle qui a entre 18 et 40 ans —, son avenir sera sérieusement compromis. C’est à eux de prendre le flambeau — comme jadis les Marchand, Pelletier, Trudeau et Lalonde l’ont fait — et de redéfinir le libéralisme du XXIe siècle. L’époque où l’intelligentsia du PLC résistait farouchement au nationalisme québécois est bel et bien révolue. Paul Martin, Stéphane Dion et Michael Ignatieff l’ont maintes fois démontré. La différence québécoise n’est pas un fardeau mais un atout incommensurable pour le reste du pays. Le PLC l’a compris.

La deuxième condition, directement liée à la première, est de réussir la transition générationnelle à la tête du parti. L’idée n’est pas de trouver un messie comme chef, mais un individu capable d’incarner une certaine évolution, un renouveau et un dynamisme au sein du parti. Une personne qui sait communiquer, bien sûr, mais aussi quelqu’un qui représentera un changement de garde et qui saura s’imposer.

La troisième condition du succès du PLC est de pouvoir redevenir le parti des réformes et de l’avenir. S’il y a un élément qui, historiquement, a différencié le libéralisme du conservatisme, c’est la confiance que les libéraux ont toujours eue en l’avenir. Dans un des plus grands discours qu’il ait prononcé, celui du 26 juin 1877, l’ancien premier ministre Wilfrid Laurier avait brillamment exprimé cette idée : « Je suis un libéral. Je suis un de ceux qui pensent que partout, dans les choses humaines, il y a des abus à réformer, de nouveaux horizons à ouvrir, de nouvelles forces à développer. »

En 2017, le Canada aura 150 ans. Les défis auxquels nous faisons face sont nombreux, notamment le vieillissement de la population et la pression que ce phénomène exerce sur nos charges sociales, le développement durable, les finances publiques mal en point, une économie en pleine transformation et des frontières éclatées qui nous exposent à une compétition féroce. Ces problèmes ne sont pas abstraits, ils affectent notre vie de tous les jours.

L’une des forces du PLC est de n’avoir jamais été un parti idéologique, enfermé dans de vieux dogmes ; et le défi qu’il doit relever aujourd’hui est de demeurer au centre, là où il a toujours logé, et de proposer des solutions concrètes à des problèmes modernes. Son avenir se jouera en grande partie dans sa capacité de redevenir ce grand parti du centre auquel les Canadiens se sont identifiés dans le passé.

Les citoyens savent bien que les gouvernements ne peuvent pas régler tous les problèmes. Dans cette ère de cynisme, ils n’en attendent d’ailleurs pas tant de leurs élus. Ce qu’ils n’endurent plus, ce sont les astuces mensongères, les slogans vides et la partisanerie excessive. Ils ont une soif réelle pour que leurs leaders politiques fassent preuve d’une certaine authenticité, d’une certaine vision de l’avenir, d’un certain courage de sortir des sentiers battus. Compte tenu de la nouvelle réalité médiatique, il ne suffira pas que le PLC se refasse une virginité sur le plan des idées et de l’humilité.

À ne pas en douter, la prochaine élection fédérale sera cruciale pour le PLC ; s’il n’améliore pas son score, il pourrait devenir un parti marginal — même s’il est possible que sa reconstruction s’étende sur plus d’un mandat.

Le PLC peut et doit redéfinir les fondements du libéralisme canadien contemporain — tout comme Tony Blair et Bill Clinton l’ont fait pour leurs mouvements politiques respectifs — et avancer des propositions qui ne se basent pas sur des dogmes idéologiques, mais sur des valeurs et des idées relevant les défis d’aujourd’hui.

Photo: Shutterstock

Robert Asselin
Robert Asselin is a senior fellow at the University of Toronto’s School of Public Policy & Governance and a former adviser to Finance Minister Bill Morneau.

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