Impossible de rentrer au pays après une douzaine d’années passées à l’étranger sans constater de grands changements. Oui, le Canada est aujourd’hui très différent de ce qu’il était à mon départ, au tournant du millénaire : quoique marqué par une longue guerre, il s’enorgueillit de s’être bien tiré de la crise fi nancière de 2008, mais reste fébrile face à une tourmente économique inapaisée. Quant au tonnerre qu’on entendait gronder dans le ciel politique de l’Ouest des années 1990, il a éclaté avec l’arrivée au pouvoir des conservateurs, lesquels jouent de tous leurs muscles pour bousculer le modèle d’État progressiste élaboré par le Canada laurentien (aidé du socialisme des Prairies). Dans ce tourbillon, l’Ontario s’efforce de retrouver ses marques tandis que le Québec apparaît désormais moins hostile qu’indifférent au reste du pays.

Le Canada actuel s’est aussi replié de la scène internationale et ne semble guère préoccupé qu’on n’y entende presque plus sa voix. Un effacement très remarqué depuis l’Europe, l’Asie et les États-Unis : « Mais où êtes-vous passés ? », y demande-t-on souvent aux Canadiens. D’autres pays recentrent aussi le débat public sur des enjeux intérieurs, mais dans ce monde plus que jamais compétitif et interconnecté, l’insularité comporte de sérieux risques pour les pays de taille moyenne dont l’économie est tributaire du commerce.

Les défis qu’il nous faut relever ont certes des caractéristiques nationales, mais ils sont dictés par des courants mondiaux — politiques, économiques, stratégiques, intellectuels et environnementaux — dont nous devons absolument tenir compte. C’est ce qu’évoque dans ce numéro l’économiste Martin Coiteux, selon lequel le consensus grandissant autour de la crise de la dette souveraine d’Europe repose sur une forme d’union fédérale dont le Québec profite déjà au sein du Canada. Mais l’incidence du repli s’étend à tout le pays. Devant la montée de l’Asie, la conférence de septembre du Conseil canadien des chefs d’entreprise, axée sur le « siècle du Pacifique », a ainsi révélé l’approche hésitante et atomisée du Canada. Nous devrions être beaucoup plus avancés sur la voie de l’Asie.

S’il nous reste à établir une démarche collective dans cet ordre mondial reconfiguré, on trouve aisément de nombreux Canadiens affairés à définir une telle approche. Ils savent qu’elle doit s’enraciner dans les idées et non les idéologies. Ils voient que la révolution numérique ébranle la hiérarchie politique traditionnelle et que l’économie du savoir modifie les perspectives des travailleurs peu qualifiés. Ils estiment que le refus de s’attaquer aux inégalités aura des répercussions historiques sur une classe moyenne qui reste le fondement de la démocratie et du capitalisme, et que ceux qui souhaitent préserver l’humanité du Canada de Tommy Douglas doivent créer, pour ce faire, un nouveau modèle économique.

Tous les gouvernements sont confrontés à des variantes du même défi : comment, dans une économie mondiale affaiblie par une dette souveraine quasi généralisée et soumise à des mesures d’austérité inégalées, assurer à leurs citoyens les services qu’ils continuent de réclamer ? Dans un article paru en janvier dernier dans Foreign Affairs, l’historien Francis Fukuyama montre que les idéologies nées au XIXe siècle ne peuvent résoudre les problèmes du siècle actuel et nous exhorte à repenser la chose politique pour sauver la démocratie. « Imaginez un chercheur méconnu réfugié quelque part dans sa mansarde, écrit-il, qui tente aujourd’hui d’élaborer une idéologie réaliste ouvrant la voie à un monde fondé sur une classe moyenne prospère et de solides démocraties. À quoi ressemblerait cette idéologie ? »

Options politiques veut rassembler les têtes chercheuses qui s’affairent un peu partout à dresser cette feuille de route. La revue sollicitera les nouvelles voix qui se font entendre dans les milieux gouvernementaux et le monde universitaire, les ONG, les laboratoires scientifiques et les groupes de réflexion, tout en proposant des mesures, stratégies et politiques fondées sur des analyses et des données probantes. Elle sera une plateforme pour les idées innovantes de partout et le porte-voix des idées canadiennes qui parlent au reste du monde. Comme le dit l’informaticien canadien Jonathan Stray, précurseur d’un journalisme guidé par les données susceptibles d’expliquer la complexité des systèmes qui nous gouvernent : « L’intérêt public est en manque criant de technophiles [geeks] non rémunérés par qui que ce soit. »

Surtout, Options politiques privilégiera les solutions. D’autres médias traitent des joutes prévisibles auxquelles donnent lieu les guerres partisanes. Mais pour beaucoup d’entre nous, le débat public souffre de ces chasses gardées, des intérêts étriqués d’adversaires qui se battent à coup d’idées reçues de part et d’autre d’un désert intellectuel que personne n’ose fouler. Or nous croyons aux solutions efficaces. Au lieu de baisser les bras face à nos maux et problèmes, nous voulons des clés et des remèdes. Options politiques cherchera les idées qui transformeront ce désert en fertile oasis.

Photo: Shutterstock /Ruslan Grumble

Bruce Wallace
Bruce Wallace a été nommé rédacteur en chef d'Options politiques, la revue phare de l'IRPP, en août 2012. Il travaillait auparavant au Los Angeles Times, de 2004 à 2008 comme chef de bureau à Tokyo, par la suite comme responsable du service étranger du quotidien. Au cours de sa longue carrière de journaliste, il a couvert au Canada et à l'étranger aussi bien des guerres que des élections ou l'actualité économique, sans parler de trois Jeux olympiques. Originaire de Montréal, Bruce a séjourné à l'extérieur du pays pendant 16 des 19 dernières années ; il possède une excellente compréhension des courants mondiaux en matière économique, politique et de sécurité, et de leur incidence sur les politiques publiques canadiennes.

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