Le 19 décembre, le ministre des Finances Jim Flaherty annonçait la fin prochaine de l’engagement fédéral de hausser de 6 p. 100 par année les transferts aux provinces pour les soins de santé. À partir de 2017-2018, ces transferts ne progresseront plus qu’en tandem avec la croissance économique, avec un taux minimum de 3 p. 100 par année et un maximum probablement autour de 4 p. 100.

À première vue, cette décision apparaît raisonnable. Après tout, peut-on éternellement faire croître les dépenses en santé plus rapidement que les revenus du pays? Et certaines provinces n’ont-elles pas réussi à ramener la croissance de leurs dépenses en santé sous le taux habituel de 6 ou 7 p. 100 par année?

Mais il faut se rappeler que l’engagement fédéral de hausser les transferts, pris par le gouvernement de Paul Martin en 2004, venait corriger un écart qui s’était creusé sérieusement dans les années 1990.

Historiquement, l’intervention du fédéral dans le financement des soins de santé est née avec les grands programmes à frais partagés qui, dans les années 1950 et 1960, amenaient Ottawa à assumer la moitié de certains coûts. Cette logique du 50-50 n’a jamais été appliquée à toutes les dépenses de santé, mais en 1976, le gouvernement fédéral payait tout de même 38 p. 100 des dépenses en santé des provinces. Ce pourcentage a diminué avec l’introduction du Financement des programmes établis en 1977, mais il se situait encore à 25 p. 100 en 1980. Vingt ans plus tard, en 2000, la contribution fédérale n’était plus que de 10 p. 100.

Une telle contribution, notait en 2002 la commission Romanow sur l’avenir des soins de santé, ne permettait plus d’assurer le développement adéquat des services de santé, et elle minait graduellement l’idée d’un rôle fédéral en la matière. La commission recommandait donc de revenir au niveau plus ou moins historique de 25 p. 100, sans limiter la progression des transferts à l’évolution du PIB, puisque la demande en santé croissait plus rapidement que l’économie.

Or, malgré l’entente de 2004, la contribution fédérale ne s’élève aujourd’hui qu’à 21 p. 100 des dépenses provinciales ou territoriales en santé. Le plafond annoncé par Ottawa interviendrait donc avant même que « l’écart Romanow » n’ait été corrigé, et il creuserait de nouveau cet écart. Selon le directeur parlementaire du budget, la contribution fédérale pourrait ainsi descendre à moins de 19 p. 100 d’ici 2025, et elle permettrait à Ottawa de réduire sa dette aux dépens des provinces. Un important déséquilibre fiscal réapparaîtrait.

Mais il y a plus. L’annonce de Jim Flaherty s’inscrit également dans un nouveau contexte, défini dès 2007 par le premier véritable budget du gouvernement Harper. En vertu de ce budget, à compter de 2014, le Transfert canadien en matière de santé (TCS) sera réparti strictement au prorata de la population, en ne tenant plus compte de la richesse ou des besoins des provinces. Le TCS perdra ainsi ce qui restait de son lien aux besoins réels en santé pour devenir un simple mécanisme de financement par habitant. Et ce, alors même que le programme de péréquation, qui en principe permet aux provinces d’offrir des services comparables à des niveaux de taxation comparables, est lui aussi limité par un plafond depuis 2008.

La tendance est lourde, et elle a été amorcée bien avant l’arrivée au pouvoir des conservateurs. Jusqu’en 1995, plus de la moitié des transferts fédéraux effectuaient une redistribution importante entre les provinces, en offrant à certaines des revenus au-delà de leur poids démographique. Depuis cette date, les grands transferts se font de plus en plus souvent au prorata de la population. En 2011-2012, les trois quarts des transferts aux provinces seront simplement répartis en fonction du nombre d’habitants.

Graduellement, un nouveau Canada se dessine, qui exprime les préférences de la majorité pour une citoyenneté indifférenciée, définie par des règles uniformes et mécaniques, et qui reflète aussi le poids grandissant des provinces plus riches, et notamment de celles qui, comme dirait Pierre Fortin, « flottent sur une mer d’huile ». Ce nouveau Canada traduit également, bien sûr, la réticence des conservateurs devant toute mesure de redistribution des revenus.

Dans ce nouveau Canada, les citoyens n’ont guère de patience pour les complexités propres au fédéralisme, et ils accordent de moins en moins de poids à la reconnaissance ou aux ententes tacites qui ont façonné le pays. Les programmes fédéraux sont de préférence symétriques, les transferts aux provinces se font autant que possible au prorata de la population et sont plafonnés, et les sièges à la Chambre des communes traduisent aussi fidèlement que possible le poids démographique de chaque province.

Dans la même veine, un rapport du Mowat Centre for Policy Innovation proposait cet automne des règles d’admission « nationales » et uniformes à l’assurance-emploi.

Une personne, un vote, un transfert pour la santé et une seule règle pour l’assurance-emploi ; en principe, la logique est simple et juste. Mais il faut bien voir qu’elle engendre graduellement un pays moins fédéral, moins égalitaire et un peu plus monochrome. Un pays aussi, où le gouvernement fédéral garde le gros des ressources, sans se soucier des conséquences pour les budgets et les politiques sociales des provinces.

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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