Pour mener à bien un examen approfondi des priorités politiques des Canadiens, l’IRPP s’est associé avec Nanos Research pour connaître leur avis sur de nombreux défis auxquels notre pays est confronté. Il s’en est dégagé deux tendances fortes qui pourraient bien déterminer l’évolution des politiques publiques de la période à venir : l’importance accordée aux questions étroitement liées à la vie quotidienne et l’accent mis sur les problèmes auxquels nos élus peuvent apporter des solutions.

Une majorité de Canadiens ont jugé important chacun des défis qui leur étaient présentés, toutefois, deux courants d’opinion se sont clairement manifestés quand nous leur avons demandé de classer leur importance sur une échelle de 1 à 10 (selon laquelle 1 indique aucune importance et 10 une très grande importance ; voir tableau 1). Plus l’enjeu était proche de leur quotidien, plus il était susceptible d’obtenir un pointage élevé. C’est ainsi qu’en tête du classement, le défi de garder notre système de santé fort a recueilli pas moins de 9 points sur 10. Malgré les tiraillements entre Ottawa et les provinces autour de l’Accord sur le renouvellement des soins de santé et les débats sur l’avenir du système, cet enjeu s’impose clairement au premier rang des préoccupations des Canadiens. Qu’il s’agisse de l’accès à un médecin généraliste en région rurale ou des temps d’attente aux services d’urgence des hôpitaux urbains, il est jugé d’une extrême importance aussi bien chez les hommes que les femmes, dans toutes les régions et parmi toutes les générations.

Sans surprise en cette période d’incertitude économique, la création d’emplois est aussi considérée comme très importante, avec un pointage de 8,7 sur 10. Si le Canada s’est mieux tiré de la récession mondiale que la plupart des pays, il est clair que la pétroéconomie, même si elle a amoindri les turbulences, a produit une certaine asymétrie économique. Les provinces des Prairies restent ainsi de solides moteurs économiques alors que le secteur manufacturier du centre du pays continue de stagner. Mais malgré cette asymétrie, une majorité de Canadiens ont attribué à la création d’emplois un pointage de 9 ou de 10, y compris dans la prospère région des Praires. Parmi les quatre défis prioritaires aux yeux des Canadiens, on retrouve ensuite l’investissement dans notre système d’éducation et la sécurité de nos collectivités (tous deux à 8,4).

On notera que ces quatre défis sont liés à la vie quotidienne des Canadiens, qui sont préoccupés par des questions qu’on pourrait formuler comme suit : Ma mère pourra-t-elle faire remplacer sa hanche? Est-ce que je vais conserver mon emploi? Nos enfants feront-ils des études qui assureront leur avenir? Sommes-nous en sécurité dans nos collectivités?

Les enjeux plus éloignés du quotidien, qu’il s’agisse d’améliorer la qualité de vie des Premières Nations, de développer le Nord canadien ou de faire valoir notre rôle dans les affaires internationales, se sont moins bien classés (respectivement 6,8, 6,8 et 7,1 sur 10). « Loin des yeux, loin du cœur » : cette règle semble s’appliquer à l’opinion publique.

Individuellement, chaque défi était considéré comme important. Mais comme on l’a vu, les soins de santé et la création d’emplois ont dominé le classement : ainsi, 24,9 p. 100 des Canadiens ont donné priorité à un système de santé fort et 19,7 p. 100, à la création d’emplois, l’équilibre budgétaire des gouvernements se classant loin derrière au troisième rang, à 9,7 p. 100.

Les Canadiens étaient généralement partagés sur la capacité du pays de résoudre ses problèmes nationaux ou provinciaux. À l’échelle nationale (tableau 2), ils étaient deux fois plus nombreux à n’avoir pas confiance en cette capacité (18 p. 100) qu’à être confiants (9,4 p. 100). À l’échelle provinciale (tableau 3), ce déficit de confiance était encore plus marqué, passant de deux à trois contre un : seulement 7,1 p. 100 des Canadiens ont ainsi confiance qu’on puisse résoudre les problèmes clés de leur province, contre 24,3 p. 100 qui n’ont pas cette confiance. Les autres Canadiens, tant pour ce qui est d’Ottawa ou de leur province, n’avaient pas d’opinion tranchée, se disant « plutôt confiants » ou « plutôt non confiants ».

Un schéma générationnel est toutefois apparu à l’échelle nationale comme à l’échelle provinciale : les jeunes Canadiens, quoique encore minoritaires, étaient comparativement plus confiants que leurs aînés en la capacité du Canada de régler les problèmes.

Quand nous leur avons demandé si cette capacité était pire ou meilleure que par le passé, les Canadiens ont été plus nombreux à la juger pire (31,8 p. 100) que meilleure (18,6 p. 100) qu’autrefois (tableau 4). Sur ce point, les Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta) se distinguent en faisant jeu égal, 24,3 p. 100 des répondants y estimant que cette capacité est meilleure et 23,5 p. 100 qu’elle est pire. Sans doute est-ce le climat économique qui influe ici sur les perceptions.

La corrélation entre l’importance d’un problème et la confiance en notre capacité de lui trouver une solution nous amène à quelques constats intéressants. Nous avons ainsi créé le tableau « Confiance et importance des enjeux » (figure 1), qui établit le positionnement relatif des problèmes en termes d’importance (axe X) et de confiance (axe Y). C’est la moitié droite du tableau qui attire l’attention, car on y voit que les Canadiens accordent une certaine importance à presque tous les enjeux.

Quelques éléments se démarquent toutefois. Il est ainsi évident que les soins de santé sont l’enjeu prioritaire, puisqu’on les retrouve complètement à droite ; par contre, la confiance en notre capacité de leur trouver des solutions est plus faible qu’ailleurs. Une série d’enjeux sociaux comme le vieillissement de la population, les programmes sociaux et le niveau de vie revêtent aussi une réelle importance, mais encore, la confiance est faible quant à notre aptitude à résoudre les problèmes qu’ils soulèvent.

Fait intéressant, les Canadiens jugent important d’équilibrer les budgets du pays, mais accordent le plus faible niveau de confiance à notre capacité d’y arriver, et cela, même si Ottawa et les provinces ont relativement assaini leurs finances. Ce qui dénote un faible optimisme à court terme en matière d’équilibre budgétaire.

La conclusion la plus significative du sondage réside dans les enjeux qui suscitent la plus forte confiance en notre capacité de trouver des solutions, quoique leur importance varie : les ressources naturelles, la protection des frontières, la sécurité de nos collectivités, la recherche-développement (R-D), le commerce et les affaires internationales.

Certains diront que plusieurs de ces défis semblent alignés sur les priorités du gouvernement Harper, c’est-à Nik Nanos dire l’énergie et les sables bitumineux, la sécurité frontalière, la criminalité et les échanges commerciaux.

Cette situation met en évidence les facteurs qui ont une forte incidence sur le processus d’élaboration des politiques. On peut en effet supposer que les élus faisant preuve d’opportunisme politique privilégieront les problèmes que les Canadiens jugent plus faciles à résoudre et délaisseront les autres, réputés difficiles à régler.

Or beaucoup d’enjeux politiques majeurs sont à la fois complexes et éloignés, non seulement du point de vue géographique mais aussi en termes de temps et d’argent. Les Canadiens se disent ainsi peu confiants que leur pays réglera les problèmes liés à une population vieillissante et aux conditions de vie des Premières Nations des réserves. Est-ce à dire que nos élus devraient y renoncer? Bien sûr que non.

Cette enquête a mis en lumière la nécessité de comprendre les préoccupations des Canadiens et de déterminer en quoi elles peuvent influencer nos élus, partagés entre un certain opportunisme politique et des impératifs stratégiques d’une réelle complexité.

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Nik Nanos
Chercheur et conseiller stratégique, Nik Nanos est régulièrement appelé à conseiller des dirigeants sur un large éventail de sujets, notamment les fusions d'entreprises, les campagnes de sensibilisation du public, la gestion de la réputation et les questions réglementaires. Il dirige l'équipe de Nanos, qui conduit des recherches au Canada et aux États-Unis, est fellow au Woodrow Wilson International Center for Scholars de Washington, D.C., et chercheur et professeur agrégé à  la State University of New York de Buffalo. Il est aussi analyste principal pour l'indice Bloomberg-Nanos de la confiance des consommateurs canadiens, dont les résultats sont transmis hebdomadairement aux clients de Bloomberg. Chaque semaine, il présente The Nanos Number à  l'émission Power & Politics de la CBC, qui suit l'évoution politique, économique et sociale. Il siège au comité de rédaction du Journal of Professional Communication de l'Université McMaster.

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