Lors de la campagne électorale de 2015, la contribution du Canada aux opérations de maintien de la paix de l’ONU était au cœur de la plateforme libérale. Cette promesse ne s’est pas réalisée encore. Mais quoiqu’il en soit, il importe de comprendre l’opinion des Canadiens au sujet de tels engagements. En effet, l’opinion publique peut parfois agir comme un boulet pour un gouvernement, le faible appui pour la campagne en Afghanistan en est un bon exemple. Dans la mesure du possible, un État démocratique se doit d’arrimer la décision politique aux préférences de sa population pour ainsi être représentatif de la communauté nationale.

Les types d’intervention

Avant de nous intéresser au maintien de la paix en particulier, évaluons dans un premier temps l’appui populaire à l’intervention militaire canadienne à l’étranger. Les multiples enquêtes publiques qui ont été effectuées portaient majoritairement sur l’appui à l’intervention du Canada sur des théâtres d’opérations précis, bien souvent liés à des situations de combat. De possibles interventions au Mali (2013), dans la crise ukrainienne (2014) ou pour combattre le groupe armé État islamique (EI) ont été au cœur de ces coups de sonde, l’opération contre l’EI en Irak et en Syrie représentant la très grande majorité de ceux-ci.

En tout, j’ai compilé 24 sondages sur ces questions, effectués entre 2013 et 2016. Ils portaient sur trois grands types d’intervention : l’opération au sol incluant la présence de soldats canadiens, la participation à une campagne de bombardements aériens et l’entraînement de troupes locales étrangères par des instructeurs militaires canadiens. Chaque mission étant spécifique, les sondages ont généré des résultats différents chaque fois. Par contre, lorsque nous analysons l’appui populaire à l’opération contre l’EI, force est d’admettre que l’acceptation publique a été très élevée. Les Canadiens ont fortement appuyé les trois types d’intervention lorsqu’ils devaient s’exprimer sur chaque type séparément : la campagne au sol a reçu de 40 à 72 % d’appuis, la campagne de bombardements, de 48 à 72 %.

Lorsqu’on leur a présenté un choix entre différents types d’intervention (sol, bombardements, entraînement) — ce qui est plus représentatif du débat public sur ces questions —, dans quatre des cinq sondages, l’entraînement de troupes locales a reçu nettement plus d’appuis qu’une campagne au sol ou une mission de bombardements aériens (voir tableau). La variation dans les pourcentages d’appui (de 27 à 57 %) s’explique surtout par le nombre de choix de réponse offerts aux répondants : plus le nombre de choix était élevé, plus les préférences étaient dispersées.

L’appui plus élevé à l’entraînement de troupes locales nous indique que ce type d’opération serait éventuellement à privilégier dans des missions de paix futures. Il cadrerait assez bien avec un autre objectif, celui de réformer le secteur sécuritaire d’un État en situation de postconflit. En même temps, ce type d’intervention représente une solution mitoyenne acceptable pour bien des Canadiens ; il permettrait au Canada d’intervenir sans mener des actions risquées qui pourraient entraîner des pertes humaines canadiennes.

Et le maintien de la paix ?

Les données ci-dessus portaient sur des opérations de combat ou d’entraînement. Or une opération de maintien de la paix en diffère sensiblement. Elle peut utiliser la force, mais la neutralité en reste un élément central. Ainsi, l’opération contre l’EI ne peut être considérée comme une mission de maintien de la paix, la facette combat primant clairement sur toute autre posture. Le fait que le Canada n’a pas participé de manière importante à des opérations de maintien de la paix limite l’analyse de l’opinion publique sur la question. Seulement deux sondages ont porté sur ce type d’opération dans les dernières années.

Bien que le maintien de la paix représente un symbole fort de l’engagement dans l’imaginaire de nombreux Canadiens, les années au pouvoir de Stephen Harper auraient pu contribuer à un affaiblissement de l’appui à ce type d’intervention ; or il n’en était rien. Un sondage mené par la firme Nanos Research en octobre 2016 nous apprenait que 69 % des Canadiens appuyaient le déploiement de soldats canadiens en tant que Casques bleus dans des zones de combats. Ce soutien se compare aux résultats de l’Étude électorale canadienne, réalisée à partir de questions semblables il y a plusieurs années : 79 % des répondants en 2008 et en 2011 étaient d’avis que « le Canada devrait participer à des opérations de maintien de la paix à l’étranger, même si cela mettait à risque la vie de Canadiens ».

Dans la même veine, un sondage réalisé par la firme Angus Reid en septembre 2015 indiquait que 74 % des Canadiens considéraient le maintien de la paix comme la principale responsabilité des Forces armées canadiennes, devant la préparation des Forces à des opérations de combat. Ce sondage montrait que les Canadiens entretiennent une relation complexe avec le maintien de la paix. En effet, une majorité de répondants donnant priorité au maintien de la paix appuyaient du même souffle, dans une question subséquente, la poursuite de l’opération de combat contre l’EI : maintien de la paix et combat ne semblent donc pas mutuellement exclusifs (voir figure). Certains percevaient le maintien de la paix comme un type d’intervention militaire à l’étranger utilisant la force.

Par ailleurs, l’appui au maintien de la paix allait autrefois de pair avec ce qu’on appelait l’internationalisme libéral, qui se résumait grosso modo par un désir de créer un ordre international plus juste. Mais aujourd’hui, dans l’imaginaire des Canadiens, l’appui au maintien de la paix ne semble pas nécessairement ancré dans ce type de principes. Par exemple, seuls 30 % des répondants ayant privilégié le maintien de la paix étaient aussi favorables à ce que le Canada augmente son aide publique au développement, et seuls 20 % considéraient comme une priorité de lutter contre les abus des droits de la personne perpétrés à l’étranger. De plus, interrogés sur les priorités internationales du Canada, les répondants classaient le fait de se positionner comme leader en matière de causes humanitaires au deuxième rang, loin derrière l’amélioration des ententes commerciales avec les partenaires économiques du Canada. Ainsi, dans l’esprit de bien des Canadiens, maintien de la paix et idéaux humanitaires ne vont plus nécessairement de pair.

Cela étant dit, l’apparition de notions comme le « maintien de la paix robuste » nous amène à considérer qu’en effet, maintien de la paix et combat ne sont plus opposés : l’utilisation de la force devient une réalité tangible dans bien des missions de paix. Ce qui nous amène à soupeser les opérations possibles…

Où s’investir ?

Peu de théâtres d’opérations précis ont fait l’objet de sondages d’opinion au cours des dernières années. Certains ont toutefois été effectués lorsque les combats faisaient rage au Mali (2013) et en Ukraine (2014). Ces deux pays sont revenus dernièrement dans le débat sur un possible déploiement des Forces armées canadiennes. Dans les deux cas, le niveau d’appui à l’envoi de troupes de combat a été assez faible, l’option d’entraînement de troupes locales recueillant la faveur populaire. Une aide humanitaire s’est aussi avérée l’option préférée des répondants dans le cas du Mali. La situation sur le terrain dans les deux pays s’est stabilisée depuis 2014 et convient alors davantage à une mission de maintien de la paix. La complexité du cas ukrainien et la présence d’un joueur influent (la Russie) font d’une possible mission en Ukraine un choix hautement improbable. Une participation à la mission au Mali pourrait s’avérer moins risquée et moins coûteuse politiquement. Le nombre de Casques bleus tombés au combat y a été relativement faible (133), en comparaison du nombre total de soldats déployés (14 445). Cet élément est important, surtout lorsque l’on sait que l’impopularité de la mission en Afghanistan a été en partie due au nombre de soldats canadiens qui y ont perdu leur vie.

La présence d’alliés traditionnels comme la France ou l’Allemagne représente aussi un facteur non négligeable. D’après une recherche récente menée par Theodore McLauchlin de l’Université de Montréal, les Canadiens sont plus susceptibles d’appuyer des missions onusiennes ou pilotées par des alliés européens. Un déploiement au Mali semble réunir toutes les conditions d’un large soutien public à une opération de maintien de la paix. Reste à voir si le gouvernement canadien annoncera ce mois-ci un engagement véritable en ce sens et, le cas échéant, quelles seront les modalités de son engagement (entraînement ou forces de maintien de la paix).

Cet article est un extrait d’une présentation qui sera faite à la Conférence du CIRRICQ sur la politique étrangère et défense du Canada, le 5 décembre 2017 à Gatineau.

Cet article fait partie du dossier Réinventer le rôle du maintien de la paix.

Photo : La sculpture de la non-violence de Fredrik Reutersward devant le siège des Nations unies à New York. Shutterstock / Julien Hautcoeur


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Mathieu Landriault
Mathieu Landriault enseigne en études politiques à l’Université d’Ottawa et est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ).

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