Le premier ministre Justin Trudeau participait, à la mi-novembre à Manille, au Sommet de l’Asie de l’Est, le forum de dialogue principal de la région sur la sécurité. C’est une première pour un premier ministre canadien en exercice et une étape cruciale pour le Canada. Le Sommet de l’Asie de l’Est est de loin l’organisation de sécurité régionale la plus pertinente pour le Canada dont il n’est pas membre — pas encore.

Ce Sommet, organisé par les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), regroupe 18 membres, dont la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, et représente plus de 50 % de la population et du PIB mondiaux. Parmi les partenaires de l’ANASE — les pays qui entretiennent une relation proche et officialisée avec l’Association —, le Canada est le seul de la région de l’Asie-Pacifique qui ne soit pas membre du Sommet. Pourtant, la région n’a jamais été aussi importante pour le Canada, autant sur le plan économique que du point de vue de la sécurité.

Devant le repli du gouvernement américain et l’incertitude régnant sur l’avenir de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Canada a besoin de diversifier ses relations commerciales. Déjà, des consultations sont en cours à propos d’un éventuel accord de libre-échange avec la Chine. Mais la région de l’ANASE, avec ses 600 millions d’habitants et une classe moyenne en croissance, est l’un des marchés les plus prometteurs dans le monde, comme l’explique un rapport de la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Les pays de l’ANASE sont déjà le sixième plus important partenaire commercial du Canada, et la valeur des échanges commerciaux bilatéraux s’élevait à 21,6 milliards de dollars l’an dernier. De plus, un accord de libre-échange avec ce groupe de pays est une condition préalable à la participation du Canada au Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership, ou RCEP), une entente de plus grande envergure. En septembre dernier, le Canada a d’ailleurs entamé des discussions exploratoires sur un tel accord de libre-échange avec l’ANASE.

Le Canada est partie prenante de la sécurité régionale, et il devrait en conséquence être membre à part entière de son forum de sécurité principal.

Cette région est aussi au centre d’importants problèmes de sécurité qui vont des enjeux maritimes aux migrations en passant par les tensions dans la péninsule coréenne, questions dont les dirigeants discutent chaque année pendant le Sommet. Le Canada tire avantage de la baisse des tensions en matière de sécurité dans la région, et écope en cas d’instabilité. Il est partie prenante de la sécurité régionale, et il devrait en conséquence être membre à part entière de son forum de sécurité principal.

Le Canada, en tant qu’intervenant stable, raisonnable et ayant à cœur de promouvoir une prospérité et une sécurité communes, peut apporter beaucoup à une région ébranlée par un gouvernement américain imprévisible, qui se désengage, et encore ambivalente face à la Chine, qui joue un rôle de plus en plus prépondérant. Dans un contexte mondial où la rhétorique d’exclusion s’intensifie, et dans une région d’une immense diversité, le message canadien d’inclusion en est un qui résonne.

Jusqu’à cette année, le Canada n’avait jamais été invité à participer aux discussions entre chefs d’État du Sommet de l’Asie de l’Est. Cette conjoncture est particulièrement importante pour celui-ci et pour l’ANASE, alors que l’on célèbre les 50 ans de l’organisation et les 40 ans des relations entre le Canada et l’ANASE. Cette année est également opportune parce que les Philippines, qui président actuellement l’ANASE, sont également le pays coordonnateur du Canada au sein de l’ANASE, c’est-à-dire le pays responsable de coordonner les relations du Canada avec l’Association. Les Philippines figurent parmi les pays qui ont appuyé notre adhésion au Sommet le plus ouvertement, et ce, bien avant l’arrivée du gouvernement philippin actuel. Le pays coordonnateur du Canada change aux trois ans, et la présidence de l’ANASE, tous les ans, donc la concordance de rôles cette année offrait au Canada une ouverture unique.

La relation qu’entretient le Canada avec l’ANASE a fluctué au cours des dernières décennies, avec des périodes de plus grand engagement que d’autres, mais a été le plus souvent caractérisée par un accent particulier (sécurité ou commerce bilatéral, par exemple). Néanmoins, le Canada établit lentement mais sûrement une présence plus convaincante dans la région. Il bénéficie maintenant d’une présence diplomatique dans chacun des pays de l’ANASE, ainsi que d’une ambassadrice auprès de l’Association depuis l’année dernière, même si certains continuent d’affirmer que la politique étrangère canadienne envers la région manque encore d’une vision réellement stratégique.

Le Canada doit continuer à renforcer son engagement de façon sérieuse et à long terme envers la région de l’Asie du Sud-Est pour mériter une invitation officielle à devenir membre à part entière du Sommet de l’Asie de l’Est l’année prochaine, lorsque Singapour en assumera la présidence. Il s’agirait alors d’une réussite considérable pour le Canada sur la scène internationale.

Photo : Un prêtre philippin bénit les forces de sécurité gouvernementales qui ont été déployées au Sommet de l’Asie de l’Est le 5 novembre 2017 à Manille, aux Philippines. À ce 31e Sommet, qui s’est tenu du 10 au 14 novembre, les chefs de gouvernement de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ont rencontré leurs homologues de l’Australie, du Canada, de la Chine, de l’Union européenne, de l’Inde, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la Russie, de la Corée du Sud et des États-Unis. EPA / Francis R. Malasig 


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Pascale Massot
Pascale Massot est professeure adjointe à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. De 2015 à 2017, elle a été conseillère principale du ministre du Commerce international et conseillère du ministre des Affaires étrangères du Canada pour la région de l’Asie-Pacifique.

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