Au cours de la campagne présidentielle américaine, deux des piliers de notre politique étrangère ont été ébranlés par le candidat républicain Donald Trump. Alors que nous aurions pu nous attendre à ce que la cybersécurité, le réchauffement climatique et les tensions en mer de Chine fixent les paramètres des débats en relations internationales, c’est plutôt les coûts financiers de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les conséquences néfastes de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) sur l’économie américaine qui ont monopolisé l’attention. Ces deux institutions, inscrites au cœur de la défense et de la prospérité canadienne, ont subi les attaques répétées du candidat républicain, qui, au moment d’écrire ces lignes, récolte 42,7 % d’appui dans les intentions de vote. Tant et si bien qu’il est possible d’avancer que cette campagne présidentielle fut pour le Canada l’une des plus importantes de l’histoire récente. Elle nous a rappelé que l’architecture de notre politique étrangère est en partie liée aux aléas de la vie politique américaine, et que la forte contestation populaire et le populisme rampant au sud de notre frontière peuvent créer de l’incertitude à Ottawa.

La remise en question de l’OTAN

Lors d’une entrevue accordée au New York Times, Trump a annoncé que si certains membres de l’OTAN n’investissaient pas davantage en défense, une administration sous sa gouverne pourrait cesser d’assurer leur sécurité. Cette déclaration n’était rien de moins qu’une remise en cause des fondements de l’ordre international post-1945. Trump a également mis en avant une logique purement transactionnelle de la défense collective, qui va à l’encontre de l’esprit de l’Alliance atlantique. Cette position a eu un effet choc à Ottawa, puisque l’OTAN permet non seulement au Canada d’assurer sa défense, mais aussi de maintenir une communauté de valeurs à laquelle il s’identifie.

La position du candidat républicain fut vertement critiquée par le camp démocrate. Pour Hillary Clinton, une telle politique ne serait rien de moins qu’« un cadeau de Noël offert au Kremin ». En effet, face au refus d’une hypothétique administration Trump d’honorer les engagements de défense collective contractés par les États-Unis, les États baltes et les alliés est-européens seraient hautement vulnérables face aux visées expansionnistes de la Russie, puisque Moscou aurait soudainement les coudées franches pour réaliser ses ambitions géopolitiques.

Si la déclaration de Trump fut aussi décriée par de nombreux experts qui y ont vu un manque flagrant de connaissance et de jugement, elle ne traduit pas moins l’exaspération maintes fois exprimée en des termes plus diplomatiques par les hauts responsables de l’administration Obama. Lors de son dernier discours à titre de secrétaire à la Défense des États-Unis devant les membres de l’OTAN à Bruxelles en 2011, Robert Gates fit une mise en garde en prédisant un avenir sombre à l’Alliance si ses membres n’investissaient pas davantage en défense. La patience du Congrès américain, disait-il en substance, pourrait rapidement atteindre ses limites.

Dans ce contexte, il est fort probable que le prochain occupant de la Maison-Blanche, qu’il soit républicain ou démocrate, fasse de sérieuses pressions pour que les alliés augmentent leur budget de la défense. À ce propos, il a été décidé à l’OTAN que chaque membre devra consacrer l’équivalent de 2 % de son produit intérieur brut à la défense. Pourtant, à l’heure actuelle, seuls 5 des 28 membres atteignent cet objectif : les États-Unis, le Royaume-Uni, la Pologne, l’Estonie et la Grèce. Pour sa part, le Canada n’y investit que l’équivalent de 1 %. Il faudrait donc qu’Ottawa double son enveloppe budgétaire pour atteindre l’objectif établi par l’Alliance et satisfaire pleinement aux exigences de Robert Gates ou de Donald Trump.

Le gouvernement canadien n’est pas à l’abri des pressions exercées par Washington dans ce domaine. Depuis plus d’un demi-siècle, chaque ambassadeur américain nommé au Canada reçoit la même directive du Département d’État : convaincre Ottawa d’accroître ses dépenses en défense. Dans le contexte actuel, toutefois, en tenant compte des contraintes budgétaires à Washington, du populisme en croissance aux États-Unis et d’un ton plus isolationniste au Congrès, il y a fort à parier que le gouvernement canadien devra constamment faire la démonstration qu’il est prêt à assumer sa juste part du fardeau financier et militaire des opérations de l’OTAN s’il ne veut perdre la réputation qu’il s’est taillée lors des interventions en Afghanistan et en Libye.

L’ALENA, un bouc émissaire

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, un candidat républicain à la présidence s’y oppose. Trump a exprimé à de nombreuses reprises que l’ALENA est le pire accord jamais négocié par les États-Unis, puisqu’il est responsable de la délocalisation d’entreprises américaines vers le Mexique et de pertes d’emplois massives aux États-Unis. Non seulement le républicain a indiqué qu’il souhaitait en renégocier certaines dispositions, mais il a affirmé qu’il n’hésiterait pas à résilier l’accord si le résultat des négociations n’était pas suffisamment avantageux pour les États-Unis.

Comme chef du pouvoir exécutif, le président américain aurait vraisemblablement l’autorité de retirer les États-Unis de l’ALENA en invoquant la clause 2205 de l’accord, sans même l’autorisation du Congrès. Bien que pareil retrait unilatéral soit exceptionnel, il n’est pas sans précédent : dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, le président George W. Bush avait retiré les États-Unis du traité sur la limitation des missiles antibalistiques (Traité ABM) conclu avec l’URSS 30 ans plus tôt afin de permettre le déploiement du bouclier antimissile.

Un retrait de l’ALENA est donc possible et imaginable. Cela dit, il serait néfaste tant pour l’économie canadienne que pour l’économie américaine. Si les États-Unis et le Canada restaient tout de même membres de l’Organisation mondiale du commerce, le retour à des barrières tarifaires, même modestes, aurait possiblement pour effet de hausser les prix à la consommation. Il est loin d’être certain, n’en déplaise au candidat Trump, que la fin de l’ALENA permettrait de ramener des emplois aux États-Unis. De plus, le Canada est le premier marché d’exportation pour 35 des 50 États américains. Un retrait unilatéral de l’ALENA affecterait donc la stabilité de l’économie nord-américaine et pénaliserait de nombreuses entreprises des deux côtés de la frontière.

Hillary Clinton a reconnu que l’ALENA n’a pas été à la hauteur des attentes de l’économie américaine mais s’est bien gardée de critiquer cet accord à répétition, puisqu’il s’agit d’un héritage de son mari Bill Clinton. Mais comme elle a dû jouer la carte protectionniste pour consolider ses appuis au sein du Parti démocrate, elle a choisi de s’opposer au Partenariat transpacifique (PTP) qui, selon elle, n’accorde pas de protection suffisante aux travailleurs américains. (Bien sûr, elle ne s’est pas non plus vantée du fait qu’elle a participé activement aux négociations du PTP lorsqu’elle était secrétaire d’État de Barack Obama de 2009 à 2013.)

Il est intéressant de constater que pour la première fois dans l’histoire récente des États-Unis, les deux candidats à la présidence ont des positions hostiles à l’égard d’un accord de libre-échange en cours de négociation. Le PTP n’a l’appui d’aucun des deux candidats, ce qui laisse orphelins les électeurs américains favorables au libre-échange. Cela est de mauvais augure pour l’avenir des accords commerciaux multilatéraux.

En somme, l’OTAN et l’ALENA, deux piliers de notre politique étrangère, ont été malmenés durant cette campagne présidentielle américaine. Certains diront que cette situation est liée à la nomination improbable de Trump comme candidat républicain, qui a exploité la colère, la frustration et l’anxiété des Américains face aux effets de la mondialisation. Bien sûr. Mais cette explication ne dissipe pas pour autant la menace que fait planer cette campagne présidentielle sur les intérêts sécuritaires et commerciaux du Canada.

Photo: Marit Hommedal / NTB scanpix

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle aux États-Unis.

 


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Jonathan Paquin
Jonathan Paquin est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université Laval, directeur de la revue Études internationales et professeur associé à l’Institut des hautes études internationales (HEI).

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