(Cet article a été traduit en anglais.)

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a fait l’effet d’une douche glacée : si on veut limiter le réchauffement global à 1,5 °C, il reste 12 ans à l’humanité pour changer de trajectoire. Il est encore possible d’éviter la catastrophe climatique, précisent les chercheurs, car nous connaissons les solutions et nous avons les technologies pour les mettre en œuvre. Ce qui manque, c’est la volonté politique.

Ce manque de volonté politique, les États-Unis l’illustrent dans le dossier de l’efficacité énergétique des véhicules. En effet, l’administration Trump ordonnait en avril dernier à la U.S. Environmental Protection Agency (EPA) de rendre moins contraignant le règlement sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) des véhicules à passagers et camions légers en proposant de les geler aux niveaux de 2020. Elle tente même de révoquer le droit de la Californie d’imposer des normes plus rigoureuses que le gouvernement central, un droit qu’elle avait pourtant acquis dans les années 1970 en raison de graves problèmes de smog. La Californie contestera cette invalidation devant les tribunaux. Mesurées sur 10 ans, soit de 2020 à 2030, ces décisions entraîneront une augmentation des émissions de GES de plusieurs millions de tonnes aux États-Unis. Ce seront aussi des milliers de dollars additionnels que les automobilistes devront débourser pour le carburant pendant la durée de vie de leur véhicule, étant donné que les constructeurs automobiles ne seront plus incités à fabriquer des véhicules moins énergivores.

Il s’agit là d’un coup de sabre de plus dans le grand démantèlement des normes environnementales amorcé par la Maison-Blanche. Et cette fois-ci, la décision des Américains aura des conséquences directes pour le Canada, car elle pourrait entraîner un gel des normes équivalent chez nous, comme nous l’avions expliqué précédemment dans Options politiques.

L’apologie du recul

Dans un document de 500 pages publié cet été, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA), en collaboration avec l’EPA et le département de l’Énergie, affirme qu’en maintenant la trajectoire actuelle, notre planète se réchauffera de 4 °C d’ici 2100. Et elle décrit les conséquences désastreuses pour l’environnement et l’humanité : feux de forêt, élévation du niveau des océans, perte de la biodiversité, etc.

Oui, vous avez bien lu : une agence de l’administration Trump reconnaît l’impact des changements climatiques aux États-Unis, aussi surprenant que cela puisse être ! La tête dirigeante de ce gouvernement n’a-t-elle pas clamé haut et fort que le réchauffement global était un canular ? La suite, toutefois, est plus qu’inquiétante.

L’objectif du document n’est pas d’exposer la menace du réchauffement climatique, mais de faire l’apologie de la décision d’assouplir les normes qui obligent les constructeurs automobiles à fabriquer des véhicules plus écoénergétiques. Selon la NHTSA, des normes rigoureuses entraîneront des réductions de GES si négligeables par rapport aux efforts à déployer que le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle. Les analyses coûts-bénéfices de la réglementation démontrent pourtant le contraire. Au Canada seulement, la réglementation actuelle nous rapporte un bénéfice net de plusieurs milliards de dollars.

Si la position de l’administration américaine ne surprend personne ― le gouvernement semble prêt à tout pour maintenir le pays dans l’ère des énergies fossiles ―, sa façon de la justifier est inquiétante, car pétrie de contradictions.

L’argumentaire fallacieux

Par un véritable tour de force argumentaire, l’EPA estime qu’en raison des normes d’émissions de GES, il y aurait 1 000 décès de plus par année sur les routes américaines. Elle explique que, pour pouvoir respecter les normes, les constructeurs automobiles devront fabriquer des véhicules plus légers, qui seront alors moins résistants aux collisions et coûteront plus cher. Et autre conséquence : en raison des économies de carburant réalisées, les consommateurs utiliseront davantage leurs véhicules tout en les gardant plus longtemps à cause des coûts d’achat plus élevés. Il y aura ainsi plus de victimes sur les routes, car les vieux véhicules ne seront pas équipés des dernières technologies qui les rendent plus sûrs.

Pour ce qui est de l’accroissement du kilométrage en raison des économies de carburant, les scientifiques étudient ce phénomène (aussi appelé « effet de rebond ») depuis des années. Quoique réel, son ampleur fait l’objet de nombreux débats. Selon des études recensées par l’OCDE, et plusieurs autres recherches, on ne peut affirmer que les gains d’efficacité énergétique seront annulés par l’effet de rebond. L’argument de l’EPA ne tient donc pas la route.

Lorsqu’elle affirme que le prix d’achat rebutera les consommateurs, qui s’abstiendront alors d’acquérir des véhicules neufs plus sécuritaires, l’EPA ne tient pas compte de l’épargne mensuelle à la pompe, qui au bout de deux ans rendra profitable la dépense accrue initiale. Elle ne prend pas en considération le fait que les consommateurs économiseront des milliers de dollars en dépenses de carburant sur la durée de vie du véhicule. L’EPA ne regarde que le prix d’achat. Ses conclusions ne pourraient être plus erronées.

Pour ce qui est de l’argument qui veut que les véhicules auront une moins grande résistance aux collisions parce qu’ils seront plus légers (tout en étant plus sécuritaires parce que dotés de technologies de pointe), l’EPA omet un élément important. Pour remplacer l’acier et l’aluminium, les constructeurs utiliseront davantage de fibres de carbone, qui sont plus solides et plus résistantes. « Léger » n’est pas synonyme de « moins sécuritaire ». Pourtant, c’est le point que défend l’EPA.

Cet argumentaire incohérent occulte aussi le fait que les facteurs de mortalité sur les routes sont tout autres et largement connus : excès de vitesse, infractions au code de la route, conduite en état d’ébriété, distractions électroniques, achalandage croissant et manquement au port de la ceinture de sécurité. Personne, à l’exception de l’administration Trump, n’a eu l’audace d’associer le nombre de morts sur les routes aux normes d’émissions de GES et d’économie de carburant.

Le fatalisme comme unique sortie

Ce qui est alarmant dans le document de la NHTSA, c’est qu’elle utilise le pire scénario du réchauffement contenu dans le rapport du GIEC (le scénario A1FI) comme un fait prédéterminé. Selon ce scénario, les pays du monde ne prendront aucune mesure importante pour limiter leurs émissions de carbone. Mais la NHTSA semble oublier que 184 pays ont ratifié l’Accord de Paris sur le climat. Plus est, les États et les villes travaillent activement à réduire leurs émissions de GES et obtiennent de bons résultats, y compris aux États-Unis.

En fait, la NHTSA se fonde sur ce scénario pour justifier la décision de rendre moins contraignantes les normes d’émissions de GES des véhicules à passagers et camions légers. Pour réduire les GES, affirme-t-elle, « l’économie et le parc de véhicules devraient s’éloigner considérablement de l’utilisation des combustibles fossiles, ce qui n’est actuellement pas réalisable sur le plan technologique ou économique » [notre traduction, page 5-30]. C’est faux. Sur le plan technologique et économique, l’électrification des transports est bien avancée, les entreprises se sont conformées à la réglementation et ont développé des technologies plus rapidement que ce que l’on attendait.

L’objectif de cet article n’est pas de démontrer le manque de crédibilité de l’administration Trump en matière de lutte contre les changements climatiques ― elle-même s’en charge déjà ―, mais de souligner que la position de notre gouvernement sera cruciale. Si le Canada devait suivre l’exemple de l’administration fédérale américaine, il se ferait complice des arguments fallacieux de la Maison-Blanche. Ce serait baisser les bras face aux changements climatiques.

Pour maintenir sa crédibilité internationale et respecter ses engagements de l’Accord de Paris, le Canada doit rompre avec les États-Unis et établir sa propre réglementation. Il doit même adopter des mesures plus ambitieuses encore pour diminuer les émissions de GES du secteur des transports et ainsi atteindre les cibles qu’il s’est fixées pour 2030.

Photo: Shutterstock / Omar F. Martinez


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Jessie  Pelchat
Jessie Pelchat est chercheuse en transport à Équiterre. Elle mène des recherches sur les politiques publiques qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports au Québec et au Canada.

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