(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Notre système de justice pénale a besoin d’être réformé : il existe un large consensus à ce sujet.  Le système est lent, inaccessible, coûteux, traumatisant, stigmatisant et inefficace à assurer la sécurité publique. Plus grave encore, la surreprésentation de personnes issues de communautés marginalisées dans le système amplifie leur inégalité et leur vulnérabilité sur le plan social. La justice réparatrice est mise en avant comme solution à ces problèmes (voir notamment la lettre de mandat de la ministre de la Justice, le récent rapport du Sénat sur les lenteurs du système de justice pénale et le récent rapport de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels).

La justice réparatrice a suscité de l’intérêt et des investissements, mais son plein potentiel n’est pas encore exploité. Jusqu’ici, elle a surtout été considérée comme une option de renvoi à d’autres processus que le système de justice pénale. La Nouvelle-Écosse a mis en place l’un des premiers programmes de justice réparatrice pour les jeunes au Canada, et l’un des plus complets. Accessible à toutes les étapes du processus de justice pénale et dans toute la province, le programme donne aux jeunes accès à des processus différents, offerts par des agences de justice réparatrice dans leur collectivité. En 2016, ce programme s’est étendu aux adultes partout dans la province.

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a agi comme catalyseur dans les provinces et territoires au Canada pour l’élaboration et la mise en œuvre d’options de justice réparatrice pour les jeunes. De fait, le récent relevé du ministère de la Justice répertorie 407 programmes de justice réparatrice en vigueur au Canada, dont 27 seulement ne s’adressent pas aux jeunes.

L’application de la justice réparatrice a donné des résultats positifs pour les personnes et le système de justice pénale : elle a favorisé la responsabilisation des délinquants et le respect des règles, augmenté le taux de satisfaction pour toutes les parties concernées, et amélioré l’efficacité et le rapport coût-efficacité comparativement au système de justice pénale conventionnel.

Toutefois, cet usage limité de la justice réparatrice comme simple solution de rechange ne permet pas d’exploiter tout son potentiel. En effet, il laisse intact l’actuel système en tant que porte-étendard de la justice, avec sa dure logique, et fait apparaître la justice réparatrice comme une option « molle » ou non contraignante.

Pour bien nous rendre compte du potentiel de la justice réparatrice de transformer le système de justice pénale, nous devons examiner quelle idée de la justice elle propose, de même que les défis que cette idée représente pour la logique du système actuel. La justice réparatrice est plus qu’un autre chemin pour atteindre les mêmes objectifs que le système de justice pénale : elle est un mode de pensée différent qui déploie un nouveau plan pour la justice.

Envisagée sous cet éclairage, la justice réparatrice a beaucoup plus à offrir à la réforme du système de justice pénale que le seul renvoi des délinquants vers une autre voie. Elle préconise une approche proactive et préventive de la justice au sein des collectivités et entre les systèmes afin que les causes n’arrivent plus au système de justice pénale. La justice réparatrice est aussi un outil puissant pour retracer les voies actuelles au sein même du système de justice pénale.

La justice réparatrice et l’établissement de relations justes

Ceux qui connaissent un tant soit peu la justice réparatrice soulignent l’importance des relations pour son application. Ainsi, l’archétype actuel de la justice réparatrice implique une interaction en face à face entre la victime et le délinquant. Le succès d’un tel projet se mesure au moyen de relations, car les histoires de réparation racontent en fait la réparation au sein d’une relation, la réconciliation ainsi que la transformation.

La justice réparatrice est donc une approche relationnelle de la justice ; cependant, l’attention ne porte pas exclusivement sur la médiation de relations interpersonnelles. La justice envisagée du point de vue de la réparation est d’abord une question de relations justes. En d’autres mots, le type de relation révèle notre idée de la justice et de ses enjeux autant que notre réaction. Ce point de vue relationnel s’étend, au-delà des relations interpersonnelles, aux relations entre groupes, institutions, systèmes et membres d’une société.

Dans beaucoup de cas, les relations entre les parties concernées n’ont jamais été justes. Et dans tous les cas, la justice réparatrice s’attache à chercher ce qui favoriserait des relations justes à l’avenir, comment faire échec aux injustices et obtenir justice.

Cette façon de concevoir la justice diffère de la priorité accordée par le système actuel aux individus et aux violations des lois. La justice réparatrice met plutôt l’accent sur les relations qu’entretiennent les uns avec les autres et sur tout l’environnement des personnes.

La Nouvelle-Écosse a adopté cette approche auprès de collectivités et dans divers services sociaux. Par exemple, la province s’est beaucoup investie dans la mise en œuvre d’une approche réparatrice dans les écoles, qui s’étend à plus de 100 établissements dans la province. Ses écoles considèrent dorénavant l’impact des politiques et des pratiques sur les relations dans la salle de classe, dans la cour de récréation, entre les membres du personnel, avec les parents et la collectivité dans son ensemble. L’attention apportée à bâtir et à maintenir des relations justes dans les écoles a généré, chez les élèves, un plus grand attachement envers l’école, une diminution des conflits, une amélioration des comportements, une diminution des exclusions et un meilleur apprentissage. Tous ces résultats représentent des facteurs importants dans la réduction des risques de délinquance chez les jeunes.

Une approche réparatrice est également adoptée dans les établissements postsecondaires pour mener une action contre les conflits sur les campus ou pour renverser un climat négatif. La Faculté de dentisterie de l’Université Dalhousie, par exemple, a suivi un processus de justice réparatrice pour s’attaquer au sexisme et appuyer les standards de professionnalisme, en se fondant sur l’approche réparatrice déjà en vigueur sur le campus afin de créer une communauté sécuritaire et inclusive.

L’approche réparatrice au sein même du système de justice pénale

Dans les cas de causes qui doivent ou devraient être prises en charge par le système de justice pénale, l’approche réparatrice favorise des processus moins nuisibles, traumatisants ou dommageables, surtout à l’égard de personnes vulnérables et marginalisées. Mais le système de justice pénale actuel est rigide et ses processus sont figés. Pour obtenir justice, les parties concernées doivent adapter leurs problèmes au système et accepter ce qu’il peut offrir. L’échec du système à saisir leurs besoins ou à en tenir compte est à l’origine des nombreuses demandes de réforme actuelles en ce qui concerne le traitement de la violence à caractère sexuel et sexiste.

La justice réparatrice met en avant un ensemble général et prévisible de principes pour guider les pratiques et les processus ; il ne s’agit pas d’une approche qui s’appuie sur un modèle ou une pratique fixes. Une approche fondée sur des principes permet à la justice réparatrice de tenir compte de la nature de la situation et des besoins des parties. Ce facteur est sans doute celui qui peut avoir le plus d’impact sur la réforme du système de justice pénale.

Une approche réparatrice de la justice remodèlerait le système de justice pénale pour qu’il présente les caractéristiques suivantes :

  • Axé sur les relations : centré sur la compréhension et favorisant des relations justes entre personnes, groupes et collectivités ;
  • Complet et holistique : prenant en compte les contextes, les causes du délit et ses impacts ;
  • Inclusif et participatif : approprié sur le plan culturel et averti des traumatismes subis ; soucieux de la sécurité et du bien-être des participants ;
  • Réactif : attentif au contexte et souple dans sa pratique ;
  • Centré sur la responsabilité personnelle et collective ;
  • Collaboratif et non accusatoire ;
  • Tourné vers l’avenir : éducatif, non punitif ; à la recherche de solutions, préventif et proactif.

La Nouvelle-Écosse a commencé à intégrer à son système de justice pénale une approche réparatrice fondée sur ces principes.

Le Tribunal de la santé mentale de la Nouvelle-Écosse, actif depuis 10 ans, s’appuie explicitement sur des principes de réparation. Il est soutenu par une équipe multisectorielle et interdisciplinaire qui travaille de concert pour apporter son aide aux personnes qui comparaissent devant les tribunaux, en reconnaissant leurs besoins, en y répondant et en les accompagnant dans leur processus de responsabilisation et de changement de comportement.

Le nouveau Tribunal pour l’instruction de causes de violence familiale a adopté une approche semblable, qui favorisera l’évaluation et le traitement des délinquants en même temps que le travail avec les personnes et les familles touchées.

La Nouvelle-Écosse privilégie aussi une approche réparatrice dans d’autres secteurs de son système de justice pénale, y compris au sein de l’établissement correctionnel pour les jeunes, et plus récemment pour réagir au décès d’un détenu.

Le système de justice pénale est aux prises avec des situations complexes liées aux problèmes de nature systémique qu’il faut régler au moyen d’une approche relationnelle. Des solutions doivent être conçues et mises en œuvre en collaboration avec d’autres systèmes et secteurs. Le succès de l’approche réparatrice de la Nouvelle-Écosse comme outil de transformation du système de justice pénale dépend des partenariats et des collaborations qu’elle facilite au sein et au-delà du système de justice pénale.

La nature collaborative et inclusive de la justice réparatrice est la clé pour acquérir des connaissances et une compréhension des processus, et pour renforcer les compétences et l’engagement des parties afin de s’attaquer à la racine des problèmes qui accablent l’actuel système de justice pénale. L’approche réparatrice permet de générer et de soutenir la mobilisation et la collaboration de tous les systèmes ― santé, services sociaux, travail et éducation ― et de transformer véritablement et de façon durable le système de justice.

Cet article fait partie du dossier Une vision élargie de la réforme du système de justice pénale.

Photo: Pamela Williams (à gauche), juge en chef de la Cour provinciale et du Tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse, et Amy Sakalauskas, juge à la Cour provinciale de Halifax, le 23 février 2018. La Nouvelle-Écosse étend son Programme de tribunaux pour l’instruction des causes de violence familiale après le succès d’un projet pilote au Cap-Breton en 2012. La juge Sakalauskas présidera le tribunal. La Presse canadienne / Andrew Vaughan.


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Jennifer Llewellyn
Jennifer Llewellyn est titulaire de la Chaire Yogis & Keddy en droit régissant les droits de la personne à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie. De 2015 à 2019, elle a été commissaire à la Restorative Inquiry for the Nova Scotia Home for Colored Children, une enquête sur les sévices endurés par des enfants noirs d’un orphelinat de la Nouvelle-Écosse.

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