Avec le soutien du ministère fédéral de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail de même que son Groupe d’experts sur l’emploi chez les jeunes, Fusion Jeunesse a mené une consultation auprès des jeunes autochtones participant aux projets de l’organisation. Elle les a interrogés sur leurs aspirations professionnelles, leur perception du marché du travail, la manière dont ils s’y projettent et leurs besoins pour atteindre leurs buts. Nous présentons ici une synthèse de cette consultation ainsi que quelques pistes de solution que les jeunes ont proposées.

Environ 200 jeunes provenant de 17 communautés autochtones — cries, inuites, mohawks et innues principalement — ont participé à des tables rondes dans leurs écoles respectives, qui ont été modérées par les coordonnateurs de Fusion Jeunesse. Les questions posées portaient sur des traits de personnalité (la personne qu’ils admirent le plus, leurs qualités personnelles), leur appréciation du marché de l’emploi (l’emploi idéal, les emplois intéressants, les obstacles à l’emploi) et leurs besoins pour atteindre leur objectif en matière d’emploi.

Intérêts et désirs

Les jeunes ont éprouvé de grandes difficultés à nommer leurs qualités. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce phénomène : l’aspect culturel — l’humilité étant un des sept enseignements traditionnels autochtones —, un manque d’estime de soi ou une perception négative d’eux-mêmes ou de leur communauté.

Pour ce qui est de la personne qu’ils admirent le plus, plusieurs jeunes ont dit que c’était leur mère en raison de l’importance qu’elle joue dans la poursuite et la réussite de leurs études. Quand ils ne se référaient pas à leur mère, ils mentionnaient des personnes célèbres du domaine du sport ou de la musique.

La grande majorité des jeunes ont montré un intérêt pour des emplois déjà présents dans leur milieu, tels docteurs, infirmiers, pilotes, éducateurs, chauffeurs de camions d’eau, coiffeurs, policiers ou pompiers. Ils semblent aussi valoriser les emplois locaux et traditionnels (la chasse par exemple) et sont particulièrement intéressés par les domaines des arts et du sport. Ils ont clairement exprimé leur désir d’avoir un emploi de qualité qui leur permettrait de s’épanouir au sein même de leur communauté. Ils voudraient notamment démarrer leurs propres entreprises. Cette volonté entrepreneuriale s’observe aussi dans leur souhait, formulé à plusieurs reprises, d’être directeur d’établissement scolaire plutôt qu’enseignant…, ce qui révèle peut-être leur aspiration à être patron ou à assumer une position de leadership.

En résumé, les jeunes autochtones que nous avons consultés manifestent très clairement des ambitions de carrière et démontrent une volonté de s’accomplir sur le marché de l’emploi. Alors pourquoi en est-il souvent autrement dans la réalité ?

Obstacles

L’ethnicité, soit le bagage culturel et identitaire de ces jeunes, est perçue comme un obstacle majeur. Plusieurs jeunes femmes ont exprimé leur désir de devenir médecin ou infirmière, mais elles pensent que seulement les « Blancs » peuvent avoir accès à ces carrières, puisque — selon la perception qu’ils ont de leur communauté — ce sont uniquement eux qui détiennent ces postes. Alors, « à quoi bon poursuivre en vain ses ambitions ? » résument-elles.

Les jeunes considèrent la langue comme un autre obstacle majeur pour l’accès aux études supérieures. Une très grande majorité d’entre eux valorisent leur langue maternelle, mais la perçoivent comme une barrière, étant donné que les programmes d’études postsecondaires ne peuvent être suivis qu’en anglais ou en français.

Et pour se rendre jusqu’aux études postsecondaires, il faut avoir obtenu le diplôme d’études secondaires. C’est un défi supplémentaire : le taux de diplomation dans la Commission scolaire crie et la Commission scolaire Kativik après cinq ans est d’environ 18 % (données de 2014-2015). Les jeunes considèrent les sciences et les mathématiques comme le principal obstacle à l’obtention de ce diplôme. Conséquemment, plusieurs mentionnent que l’école, telle qu’ils la connaissent, ne correspond pas à leurs besoins.

Alors que faire devant de tels enjeux ?

Propositions

Être ancrés dans leur communauté et avoir un accès équitable aux emplois de qualité qui y sont offerts : voilà les souhaits de ces jeunes autochtones.

Ils ont clairement exprimé le besoin d’avoir accès à des études postsecondaires au sein de leur communauté, dans leur langue maternelle, non seulement dans les domaines techniques, mais aussi en arts, en sciences sociales et en sciences de la nature. Ils ont également manifesté leur besoin d’obtenir une aide financière accrue (en particulier pour le logement) pour pouvoir faire des études postsecondaires à l’extérieur de leur communauté.

Par ailleurs, ils souhaiteraient recevoir du soutien financier pour créer de petites entreprises qui seraient reliées aux valeurs traditionnelles (fabrication de parkas, restaurants à saveur locale, etc.) et qui pourraient être bénéfiques à leur communauté. Ils donnent en exemple le projet d’un parc de planche à roulettes pour lequel ils avaient reçu les matériaux de construction et avaient été payés pour le temps travaillé. Ce parc, dont ils ont été les architectes et maîtres d’œuvre, leur offre de plus la possibilité d’être actifs et de s’amuser de manière positive avec leurs pairs.

Les jeunes aimeraient avoir plus de soutien en matière de recherche d’emploi et d’orientation de carrière : ils voudraient se familiariser avec les habiletés requises en entrevue, mieux connaître le processus de postulation à un emploi, avoir des possibilités de découvrir leurs talents et leurs qualités. Ils cherchent aussi des occasions de réflexion sur leur avenir et celui de leur communauté tout comme sur leur engagement citoyen. Ils souhaitent avoir accès à des mentors dans leur communauté ainsi qu’à un réseau professionnel élargi.

Bien que limitée à quelque 200 jeunes d’une vingtaine de communautés, notre enquête nous a permis de dégager un élément clé : le désir des jeunes d’avoir un accès équitable à des emplois de qualité, ancrés dans leur communauté. Pour y arriver, ils demandent, entre autres, d’être maîtres de leur destinée, de transformer leur milieu scolaire en une école qui leur ressemble, de faire des études postsecondaires au sein de leur communauté, dans leur langue maternelle — demandes somme toute légitimes de la part d’une jeunesse autochtone qui ne demande qu’à être reconnue, valorisée et appuyée dans ses démarches.

Le temps est donc venu d’écouter nos jeunes et d’agir.

En novembre 2016, le rapport du Conseil national de développement économique des Autochtones dévoilait que le produit intérieur brut du Canada augmenterait de 27,7 milliards de dollars chaque année si les obstacles empêchant les autochtones de participer pleinement à l’économie étaient supprimés.

Voilà un des objectifs que s’est donné notre Groupe d’experts sur l’emploi chez les jeunes du gouvernement fédéral. Nous espérons que les recommandations contenues dans notre rapport final, qui sera publié incessamment, inciteront les gouvernements et la population en général à passer à l’action afin d’offrir plus d’opportunités aux jeunes autochtones. Car l’employabilité, la persévérance et la citoyenneté des jeunes devraient être une priorité pour tous.

Cet article fait partie du dossier L’évolution des modes de travail.

Photo : mise gracieusement à notre disposition par Fusion Jeunesse | Hyun-Gu Kang


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Gabriel Bran Lopez
Gabriel Bran Lopez est président fondateur de Fusion Jeunesse, un organisme de bienfaisance qui lutte contre le décrochage scolaire. Il est aussi membre du Groupe d’experts sur l’emploi chez les jeunes du ministère fédéral de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail.
Hélène Moïse
Hélène Moïse est responsable de la programmation et de l’évaluation à Fusion Jeunesse. Pédagogue de formation et de vocation, elle aide les jeunes à développer leur plein potentiel.

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