Après plusieurs reports et bien des spéculations, le budget de 2017 sera déposé le mercredi 22 mars à Ottawa. À ce moment, nous serons des centaines à devoir analyser avec précision ce long et complexe document. Puisqu’il s’agit d’une commande ardue, nous vous offrons quelques conseils pour vous simplifier la tâche.

Premier conseil : Pour analyser le budget, il faut d’abord comprendre son élaboration

Il est bon de rappeler que le budget est un exercice de relations publiques. Chaque statistique, graphique ou tableau est scruté par un nombre incalculable de fonctionnaires et de politiciens au cours d’un processus qui dure des mois. Au bout du compte, les éléments retenus sont ceux qui appuient davantage le message que le gouvernement veut transmettre. Tout cela a aussi pour objectif de camoufler certains éléments jugés nuisibles.

En d’autres mots, le but d’un budget n’est pas de brosser un tableau global et objectif de la situation économique et fiscale du pays, et cela vaut pour tous les gouvernements. Être conscient de cette réalité nous rend plus sceptiques et nous amène à nous questionner.

Deuxième conseil : Préparez-vous !

Avant le dépôt du budget, pensez à votre rôle et à celui de votre organisation. Quels sont vos intérêts ? Quelle est votre perspective ? De notre côté à l’IRPP, nous essayons de cerner les priorités économiques et politiques du gouvernement pour les analyser à la lumière des politiques publiques. Est-ce que le gouvernement fait les bons choix ? Quelles sont les différentes options qui se présentent à lui ? Les partis d’opposition, eux, ont un point de vue différent ; ils vont chercher les angles morts du budget et tentent de cerner si le gouvernement a tenu ses promesses.

Pour mieux vous préparer, plusieurs ressources peuvent vous aider :

Troisième conseil : Les chiffres avant tout

Lorsque vous aurez le budget entre les mains, prenez d’abord quelques minutes pour lire les grandes lignes du communiqué de presse et du discours du ministre. Ensuite, passez directement aux chiffres afin de demeurer perméable aux lignes de communication du gouvernement.

Par où commencer ? Si vous disposez de peu de temps, trois tableaux s’avèrent indispensables.

Premier arrêt : Les prévisions économiques

Votre point de départ devrait être le sondage du ministère des Finances basé sur les prévisions économiques du secteur privé, puisque le gouvernement se fonde sur ces dernières pour produire ses propres estimations.

Le tableau contient beaucoup de chiffres, mais pour simplifier les choses, regardez la section sur le PIB nominal et plus spécifiquement les variations de ce dernier. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous tiré de l’Énoncé économique de l’automne 2016, la projection du PIB en 2020 est de 40 millions inférieure à ce qui était initialement prévu. La situation est donc claire : les perspectives économiques sont moins favorables. Incidemment, la marge de manœuvre fiscale du gouvernement sera moindre, et il devra peut-être réduire ses dépenses pour éviter que le déficit ne s’emballe. À l’opposé, il pourrait garder la même trajectoire et accepter un déficit plus important, ou encore donner un coup de pouce à l’économie avec des dépenses supplémentaires.

Deuxième arrêt : Les nouvelles mesures

Les nouvelles mesures fiscales représentent le second élément à prendre en compte. Une fois de plus, il y a beaucoup de chiffres, mais tâchez de déterminer lesquels auront un grand impact. Quelle est la mesure la plus dispendieuse ? Quand ces dépenses entreront-elles en vigueur ? Ce sont d’importantes questions, puisque c’est ici que l’équipe des communications du gouvernement tente de nous influencer. Par exemple, on pourrait essayer d’attirer notre attention sur des dépenses qui ne sont pas si « nouvelles » ou qui entreront uniquement en vigueur dans plusieurs années. C’est ce qui est arrivé avec le plan d’infrastructure de « 81 milliards sur 11 ans » annoncé par le gouvernement Trudeau dans son énoncé économique de l’automne 2016.

La figure suivante montre la présentation initiale des dépenses d’infrastructures faite par le gouvernement. Les nouvelles dépenses sont en jaune, les fonds annoncés dans le budget de 2016 sont en rouge et les dépenses annoncées par les gouvernements précédents sont en vert.

Toutefois, une fois que le DPB a mis la main sur les chiffres détaillés, le portrait tracé est très différent :

On peut voir qu’il y a beaucoup moins de jaune — donc de nouvel argent — qu’initialement suggéré. En fait, quand la plus grande partie des dépenses a été annoncée dans le budget de 2016, l’énoncé économique indiquait surtout comment les fonds seraient utilisés. Le gouvernement libéral se limitait à une promesse d’investir davantage, mais engageait en fait le gouvernement qui succédera (en 2023) au prochain gouvernement.

Troisième arrêt : Le solde budgétaire

Le dernier tableau à consulter est en fait celui que la plupart des gens vont voir en premier : le solde budgétaire. Or il est plus judicieux d’en faire votre troisième arrêt puisque vous saurez déjà comment se porte l’économie et quels sont les nouveaux programmes ainsi que leurs coûts. Avec cette information en main, il sera plus facile de voir s’il y a un déficit ou non.

Cela dit, la comparaison entre les budgets est très complexe : il faut faire les bons ajustements, notamment en ce qui concerne la « réserve pour éventualités » (ou « ajustement des prévisions », c’est-à-dire un coussin financier en cas de besoin que tous les gouvernements se gardent). Comme le montre la figure 3, ce montant varie d’un budget à l’autre.

Trois facteurs expliquent les variations du solde budgétaire : les changements économiques, les nouvelles mesures fiscales et le montant de la réserve pour éventualités. Par exemple, en 2015, le gouvernement Harper avait réduit sa réserve de 3 à 1 milliard afin d’éviter de présenter un déficit, alors que les libéraux l’ont fait passer de 6 à 0 milliard lors de leur dernière mise à jour économique et pour les années subséquentes comme on le voit dans la figure 3. Pour plus de détails sur les composantes d’un budget, cet article pourrait vous être utile.

Quatrième conseil : Les chiffres présentés dans le budget sont uniquement des prévisions

Les revenus et dépenses du gouvernement ne sont que des estimations. On ne peut pas prévoir la performance de l’économie avec tant de précision, et la vigueur économique peut avoir un impact important sur le solde budgétaire (voir la figure 4 ci-dessous). La seule chose dont on ne peut douter : les chiffres présentés dans le budget ne se matérialiseront pas comme prévu. Il faut donc garder cet élément en tête avant de prendre des positions très fermes sur les choix d’un gouvernement.

Cinquième conseil : Mettez les choses en perspective !

Il ne faut pas s’embourber dans des variations annuelles mineures, mais plutôt envisager une perspective à long terme. Par exemple, à la présentation du budget de 2016, plusieurs ont fait tout un plat de l’absence d’une date de retour à l’équilibre budgétaire. Pourtant, en analysant la situation depuis 1966, on voit très bien que les déficits annoncés par le gouvernement Trudeau sont modestes (voir la figure 5). Nous avons effectivement vécu une crise budgétaire au cours des années 1990, mais ce temps est révolu.

Il est clair que la santé financière à long terme est un enjeu récurrent lorsqu’on parle du budget fédéral. En adoptant une perspective à long terme basée sur le ratio dette/PIB comme c’est la norme, vous éviterez de tomber dans des conclusions hâtives et dramatiques.

L’an dernier nous avions qualifié le budget de progressiste ; cette année, les rumeurs suggèrent que le thème principal en sera l’innovation. Afin d’en faire une solide analyse, nous vous suggérons donc de vous mettre à la place des concepteurs du budget, de l’accueillir en étant à la fois sceptique et préparé, de ne pas hésiter à plonger dans les chiffres puisqu’ils sont plus parlants que les mots, et surtout de conserver une perspective d’ensemble.

Photo: Fred Chartrand/The Canadian Press


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David Deault-Picard
David Deault-Picard est conseiller au contenu et à la recherche dans un cabinet de relations publiques. Ancien assistant de recherche à l’IRPP, il est détenteur d'une maîtrise en science politique de l’Université de Montréal. Ses champs d'intérêt englobent les politiques sociales et les élections.
Stephen Tapp
Stephen Tapp était directeur de recherche à  l'IRPP, où il a dirigé une initiative de recherche sur les échanges commerciaux, dont les travaux seront publiés dans un ouvrage intitulé Redesigning Canadian Trade Policies for New Global Realities. Auparavant, il était économiste principal auprès du directeur parlementaire du budget du Canada. Il a travaillé à la Banque du Canada et à Finances Canada dans le secteur de la recherche ; il a été chercheur à l'Institut C. D. Howe et chargé de cours en science économique à l'Université Queens. Twitter : @stephen_tapp.

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