Le Québec, terre d’accueil de réfugiés et d’immigrants, doit s’interroger sur la place qu’il accorde à ces nouveaux arrivants. Leur donne-t-on tous les outils et les ressources nécessaires pour se tailler une place comme citoyens à part entière au sein de notre société ? Et, sinon, quels sont les obstacles qui les empêchent d’atteindre ce statut ?

Nous examinons ici la question des réfugiés pris en charge par le gouvernement canadien et établis à Montréal par le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI), un organisme mandaté par le gouvernement du Québec pour accueillir des réfugiés et les aider à s’établir dans l’une des 13 régions d’accueil de la province. Le CSAI offre, chaque année, des services à environ 2 500 immigrants, et à quelque 150 à 200 réfugiés parrainés par l’État. Ces derniers, qui sont sélectionnés sur les recommandations du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, sont les nouveaux arrivants parmi les plus vulnérables, puisqu’ils ont vécu des situations particulièrement difficiles sinon traumatisantes. Souvent, ils présentent des problèmes complexes de santé physique et mentale (détresse psychologique, choc post-traumatique, etc.) – que même les professionnels du réseau de la santé ne connaissent pas nécessairement – et qui ont des conséquences sur leur établissement au Canada. Il est donc primordial de porter une attention particulière aux nombreux défis auxquels ils font face.

Dès l’arrivée des réfugiés en sol montréalais, les intervenants du CSAI cherchent pour eux un logement adéquat et abordable, font une demande pour l’obtention de l’assurance sociale et de l’assurance maladie, ouvrent un compte de banque et inscrivent les enfants à l’école ou à la garderie et les adultes à la francisation. Les intervenants accompagnent les réfugiés à des rendez-vous médicaux et autres, et font de nombreux suivis, leur rendant visite à domicile ou les rencontrant dans les bureaux du CSAI, afin d’assurer l’intégration de ces familles nouvellement arrivées.

Entre 2012 et 2014, le CSAI a reçu et accompagné individuellement 31 femmes haïtiennes. Ces femmes avaient subi un double traumatisme : le grand tremblement de terre de Port-au-Prince (2010) et diverses agressions. Parmi elles, il y avait des mères monoparentales, des handicapées et des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. En 2015, le CSAI a mené des entrevues individuelles auprès de 15 femmes de ce groupe arrivées au cours de l’année précédente pour faire un suivi des interventions et mieux évaluer les besoins.

Parmi tous les problèmes que ces femmes ont nommés, la difficulté de communiquer en français est ressortie au premier rang : elle a, en effet, des conséquences sur toutes les autres étapes de l’intégration. Les intervenants du CSAI ont constaté qu’après un an au Québec, ces femmes avaient encore une faible connaissance du français, entre autres en raison de sérieux décalages entre leurs besoins et l’offre de services. Les cours de français sont généralement inadaptés aux besoins de ces réfugiées qui, souvent, n’ont pas pu fréquenter l’école pendant très longtemps ou sont même analphabètes. Faire un retour à temps plein sur les bancs d’école est ardu pour elles. De plus, le temps qu’elles doivent attendre pour suivre un cours adapté à leur niveau peut être de plusieurs mois. Ainsi, peu de femmes semblent nouer des liens en dehors de leur communauté culturelle.

Les problèmes se posent avec plus d’acuité encore dans le contact avec le milieu scolaire. Il est difficile pour ces mères de communiquer en français avec les enseignants ou les éducateurs de leurs enfants. Elles ne sont pas non plus en mesure d’aider leurs enfants dans leurs travaux scolaires. De façon générale, la barrière linguistique les empêche d’exprimer leurs besoins et d’obtenir des services adéquats. Pour la même raison, il leur est très difficile d’accéder au marché du travail et d’obtenir un emploi rémunéré pour sortir de leur isolement.

En 2013, le CSAI a aussi mené un projet en employabilité auprès de jeunes réfugiés, et nous avons constaté que même les services en pré-employabilité, destinés aux personnes les plus éloignées du marché du travail, ne sont pas adaptés aux besoins des réfugiés. Ces services consistent, entres autres, en des ateliers sur l’acquisition de compétences personnelles et sociales, la connaissance de soi, le travail d’équipe et la communication. Le créneau d’employabilité des réfugiés diffère de celui des immigrants arrivés en tant que travailleurs qualifiés, qui ont été sélectionnés à l’étranger sur la base de leurs compétences professionnelles. Les réfugiés, eux, ont, un parcours sur le marché du travail qui a souvent été interrompu et qui est incomplet, et ils ne possèdent pas d’attestations d’études et de travail.

D’où le projet Jeunes réfugiés : futurs employés, mis sur pied par le CSAI, qui avait pour objectif d’aider 10 jeunes réfugiés (de 18 à 30 ans) à surmonter les obstacles à l’emploi et à améliorer leur employabilité dans le secteur du commerce de détail. Neuf femmes et un homme ont ainsi bénéficié d’une formation à temps plein, qui comprenait un cours de 4 semaines en commerce de détail au cégep André-Laurendeau, suivi d’une expérience de travail rémunéré de 12 semaines. À la suite de cette formation, deux participants se sont sentis prêts à entreprendre un retour à l’école et cinq ont tenté une première incursion sur le marché du travail dans le secteur du commerce de détail.

Cependant, comme ces jeunes avaient vécu dans des camps de réfugiés et n’avaient pratiquement jamais travaillé de leur vie, il est évident qu’ils ne connaissaient que très peu le marché du travail et avaient besoin de temps pour s’adapter. Ainsi, si les employeurs ont été généralement satisfaits de la qualité du travail des jeunes, des entorses à quelques règles (le retard au travail et le non-respect du code vestimentaire exigé, notamment) leur ont causé des problèmes. Par ailleurs, les femmes monoparentales qui participaient au projet ont eu des difficultés avec la conciliation travail-famille, le domaine du commerce de détail exigeant des horaires atypiques. Bref, le temps alloué à la formation s’est révélé insuffisant pour permettre aux participants d’être réellement préparés à entrer sur le marché du travail.

Les services actuels sont conçus pour les immigrants en général et ne répondent pas aux besoins spécifiques des réfugiés.

Le profil des personnes réfugiées a évolué au gré des conflits internationaux, et les défis que pose leur intégration sont de plus en plus considérables. Les conséquences de la méconnaissance de la langue commune, le français, sont multiples : difficultés à être fonctionnels au quotidien et même impossibilité d’y arriver, incapacité à interagir avec la société d’accueil, isolement, sentiment de frustration. De plus, les services de francisation actuels ne sont pas suffisants pour permettre aux réfugiés d’accéder au marché du travail ou de maintenir un emploi.

Il nous faut une offre de services bonifiée et combinée à d’autres projets novateurs. En effet, les services actuels, conçus pour les immigrants en général, ne répondent aucunement aux besoins spécifiques des réfugiés. De plus, l’accès aux mesures d’appoint doit être facilité. Les services de francisation seraient plus adaptés s’ils comprenaient une formule avec entrée continue et plus flexible, surtout pour ce qui est des horaires et des absences permises.

En ce qui concerne l’employabilité, l’obtention d’un premier emploi s’avère un parcours difficile, chargé d’obstacles. La plupart des formations en employabilité offertes aux nouveaux arrivants sont destinées aux travailleurs qualifiés. Les formations en pré-employabilité sont ouvertes à toute personne qui n’a pas été sur le marché de l’emploi pendant longtemps, mais elles ne sont pas adaptées au profil particulier des réfugiés. Nous proposons donc d’augmenter le nombre de ressources en pré-employabilité pour cette clientèle.

Afin de combler les lacunes actuelles, il nous semble essentiel d’assurer, outre la continuité des services, la complémentarité et la flexibilité des programmes : cela est essentiel pour permettre aux réfugiés de bénéficier de services dont ils ont besoin et en fonction de l’évolution de ces besoins. Pour ce faire, Québec pourrait davantage engager ses partenaires communautaires – le réseau communautaire possède l’expertise nécessaire – plutôt que de privilégier l’intervention institutionnelle, notamment en matière de francisation et d’emploi. Des services communautaires plus souples et mieux adaptés aux besoins des réfugiés amélioreraient beaucoup la situation.

Photo: Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier L’intégration des réfugiés.

 


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Carmen Gabriel
Carmen Gabriel est responsable des communications et du développement au Centre social d’aide aux immigrants (CSAI) depuis 2014. Elle a joint le CSAI en 2011 à titre d’agente de projets et de recherches.
Lida Aghasi
Lida Aghasi est directrice générale du Centre social d’aide aux immigrants (CSAI) depuis 2014. Docteure en éducation, elle possède 15 ans d’expérience communautaire, notamment en employabilité. Elle s’intéresse aux questions relatives aux réfugiés et à l'immigration, à l’intervention interculturelle avec les familles immigrantes et réfugiées ainsi qu’aux pratiques d’intégration sociale et professionnelle.

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