Dans le monde actuel, il y a un grand besoin de nouvelles approches pour régler de vieux problèmes. De plus en plus, nous comptons sur l’innovation sociale pour faire face à des défis publics qui semblent insurmontables et récurrents : itinérance, relations entre peuples autochtones et colonisateurs, exclusion sociale, dégradation de l’environnement, justice sociale et justice économique, pour n’en nommer que quelques-uns. Le Centre pour l’innovation sociale de Stanford dit que l’innovation sociale est « une nouvelle solution plus efficace, plus efficiente, plus durable ou plus juste pour traiter un problème social. C’est l’ensemble de la société, plutôt que l’individu, qui en tire avantage ». D’autre part, dans un recueil d’études de cas sur les innovations citoyennes, les chercheurs canadiens Alison Mathie et John Gaventa affirment que, dans l’innovation sociale, « les citoyens agissent en collaboration et remettent en question le statu quo » afin de « trouver des moyens d’inverser ou d’atténuer la tendance actuelle vers une hausse des inégalités et des crises environnementales ». Ces deux définitions présentent au moins trois éléments propres à l’innovation sociale : l’accent sur les changements systémiques, le décloisonnement des secteurs et la réorganisation des relations personnelles et professionnelles.

La première séance plénière du colloque de la Fondation Pierre Elliott Trudeau 2015 a réuni des innovateurs sociaux provenant de quatre organismes dont les intérêts touchent à divers secteurs, entre autres l’éducation en justice sociale, la santé autochtone, ou encore, l’inclusion sociale. Ces experts, chacun à sa façon, ont évoqué les éléments de l’innovation sociale au cours de la plénière intitulée Innovation sociale, influence mondiale.
Ils ont notamment rappelé que l’innovation sociale dépend de la capacité d’innover dans les relations, et ce, tant au sein des institutions, communautés, secteurs et nations, qu’entre ces diverses entités. Au cours de la séance plénière, mais aussi pendant les groupes de discussion animés par des boursiers Trudeau actuels ou anciens, les experts ont souligné le besoin d’entretenir des relations interpersonnelles plus égalitaires.

Pendant la plénière, qui était présidée par Al Etmanski, auteur, entrepreneur social et cofondateur de Planned Lifetime Advocacy Network, les experts ont parlé de leur travail sur le partage des pouvoirs entre des groupes disparates, la reconnaissance et la valorisation de diverses formes de compétences, la lutte contre les stéréotypes sociaux, l’utilisation des nouvelles technologies et la création de liens humains là où ils font défaut. Melissa Scavuzzo, porte-parole de la campagne « Humans for Humans » de Chez Toit, a indiqué que le « changement du discours » sur les personnes qui ont vécu l’itinérance est un objectif en soi.

Nadia Duguay – cofondatrice et codirectrice générale d’Exeko, un organisme qui met en avant l’inclusion sociale par la créativité, notamment en organisant des ateliers et des événements culturels – a expliqué que le travail de l’organisme vise une transformation dans la façon de se considérer les uns les autres. Philippe Tousignant – directeur d’Éduconnexion, un « programme d’éducation [qui] rassemble ceux qui désirent enseigner, apprendre ou agir en tant que citoyens globaux » – a expliqué qu’un des objectifs de l’organisme est de créer des liens qui ne reproduisent pas les hiérarchies de pouvoir habituelles. Ces personnes affirment toutes que la réussite des innovations sociales, à petite ou grande échelle, dépend essentiellement du respect mutuel et de la mise en place de relations égalitaires, tout en soulignant que la façon de travailler et d’aborder les gens est aussi importante que le travail lui-même.

Les recherches sur l’innovation dans les secteurs public et privé ont aussi démontré l’importance des relations. En effet, les relations qui existent dans les réseaux ou entre les institutions – de même que la confiance établie par ces liens relationnels – jouent un rôle primordial dans la diffusion d’idées novatrices, que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public. Cependant, alors que la recherche s’intéresse habituellement à la diffusion et à l’adoption de nouvelles idées dans les systèmes, les experts de la séance plénière ont plutôt mis l’accent sur l’innovation dans les relations interpersonnelles, particulièrement sur le besoin de mettre en place des arrangements sociaux plus égalitaires.

Prenons, par exemple, le travail accompli au Cercle de soins du Centre de santé autochtone Wabano. Le Cercle de soins est un programme de règlement extrajudiciaire des différends qui vient en aide aux familles autochtones bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance. Ce programme, comme les autres du centre, puise à même les croyances, valeurs et traditions autochtones. Gina Metallic, coordonnatrice du Cercle de soins, a décrit comment le centre utilise les réunions en cercle pour permettre aux personnes d’honorer leurs croyances tout en favorisant l’écoute. On y reconnaît le bagage de connaissances acquises par l’expérience et on s’éloigne beaucoup des politique punitives des services d’aide sociale à l’enfance, lesquelles ont donné lieu à un trop grand nombre d’incidents inacceptables où de jeunes autochtones ont été retirés de leur famille.

Outre l’importance d’établir des relations plus égalitaires, tous les experts présents au panel ont souligné l’aspect intersectoriel de leur travail, autre principe fondamental pour l’innovation sociale. Chacune des organisations qu’ils représentent fait appel aux données scientifiques d’une discipline, aux compétences de la communauté et aux relations entre elles ; par là, on reconnaît implicitement que le cloisonnement entre les divers services d’une institution, les frontières entre les secteurs ou la hiérarchie du pouvoir social sont autant d’obstacles à l’innovation sociale. À titre d’exemples, Exeko fait appel à l’art et à la philosophie pour briser le cycle de l’exclusion sociale ; Éduconnexion met à profit des notions de psychologie, d’éducation, d’informatique et des technologies de l’information pour optimiser le travail des bénévoles dans le développement de programmes de formation en justice sociale. Pour leur part, Chez Toit (représenté par Caitlin Boros, gestionnaire du marketing et des communications) et le Cercle de soins du Centre de santé autochtone Wabano sont tous deux convaincus que l’expérience personnelle des gens est un fonds de connaissances qui devrait intervenir dans les décisions politiques en matière de durabilité à long terme.

Tous ces aspects ont évidemment des répercussions multiples sur les politiques publiques. Premièrement, tout en reconnaissant l’importance des données de recherche dans leur travail, les experts réunis au panel mettent en avant le rôle de divers types de compétences ainsi que le contexte particulier des connaissances. Il faudrait donc nuancer la définition du mot « données » quand on s’intéresse à l’élaboration de politiques fondées sur les données probantes. Bien loin de rejeter la science, les innovateurs sociaux observent toutefois que les connaissances peuvent prendre diverses formes. Selon eux, la quête de moyens (politiques) pour faire face aux défis sociaux doit combiner les données qui proviennent de la recherche à celles qui naissent de l’expérience. C’est justement l’idée qu’évoquait le psychiatre et boursier Trudeau 2010 François Bourque, dans un des groupes de discussion, quand il parlait des caractéristiques propres à la pratique de la psychiatrie dans le Grand Nord.

Deuxièmement, les experts ont souligné l’importance de travailler tant au niveau des individus qu’à l’échelle des systèmes. Pour développer et adapter l’innovation sociale, il faut non seulement innover dans les relations, mais aussi dans les plus grands systèmes sociaux et économiques. En ce sens, ils remettent implicitement en question les caractéristiques conventionnelles – et rarement remises en cause – de maintes institutions canadiennes. À titre d’exemple, l’innovation sociale se heurte souvent à des difficultés comme un leadership associé au poste occupé par un individu donné ou encore les structures hiérarchiques organisationnelles.

Troisièmement, et dernièrement, les modèles créés et employés par les organisations représentées au panel offrent nombre d’exemples à suivre pour le développement des politiques. Par exemple, les démarches collaboratives mises en place par Exeko et par le Centre de santé autochtone Wabano pourraient s’appliquer à divers contextes politiques. Pour sa part, le travail d’Éduconnexion, qui réunit divers types de compétences pour mettre sur pied des programmes d’éducation d’avant-garde, pourrait inspirer les programmes de formation pour les employés de la fonction publique. Pour terminer, le traitement de messages empreint d’empathie, comme on l’observe à l’organisme Chez Toit, pourrait servir à éclairer les discours publics en général.

Boros, Duguay, Metallic, Scavuzzo et Tousignant ne sont que cinq des centaines, voire des milliers, d’innovateurs sociaux dont le travail mènera à un changement social à grande échelle. Leurs œuvres et leur expérience font voir que l’innovation dans les relations sera essentielle pour traiter d’anciens problèmes. Leurs idées sont autant d’invitations à la collaboration.

 


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Leah Levac
Leah Levac is an assistant professor in political science at the University of Guelph. Her research focuses on diverse women’s engagement in politics, including in northern contexts in response to resource extraction, and in response to changing public services more broadly.

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