Deux grands enjeux se dégagent du colloque 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Tous deux soulèvent des questions sur les valeurs des communautés et de l’espace politique dans lesquels nous souhaitons vivre.

Le premier enjeu porte sur la capacité d’adaptation des grandes institutions hiérarchisées pour faire face aux principaux défis actuels, lesquels sont à la fois persistants et systémiques. Ces défis comprennent, entre autres : les changements climatiques ; la sécurité des aliments, de l’eau et de l’énergie ; la paix et la sécurité dans le monde ; l’avenir des relations entre peuples autochtones et non autochtones ; et le devenir du travail dans le contexte de la rupture technologique.

Ces défis sont persistants en ce sens qu’ils ne se régleront pas au cours du mandat d’un gouvernement donné. Ils sont systémiques parce qu’ils dépassent les frontières et les compétences des ministères ou des gouvernements. Nombre d’entre eux prennent, en effet, une ampleur mondiale. Pour y faire face, il faut mettre à contribution la société civile, le secteur privé et les milieux de recherche. Leurs solutions demandent l’expertise de nombreuses disciplines ainsi qu’une ouverture vers de nouvelles sources de connaissances. Et, pour couronner le tout, ces défis sont profondément liés les uns aux autres.

Indy Johar, de la Fondation Young au Royaume-Uni, a présenté ses réflexions sur le sujet dans sa conférence d’ouverture « Les défis d’un changement radical : passer du cloisonnement à l’interdépendance ». L’article de Lilia Yumagulova présente l’invitation de Johar à repenser nos institutions pour donner lieu à de réels changements.

Dans la séance plénière d’ouverture sur l’innovation sociale, « Innovation locale, influence mondiale », les panélistes ont fait écho à certains de ces thèmes. Ils ont notamment souligné la nature intersectorielle de leur travail et ont décrit les défis que posent pour eux les cloisonnements institutionnels, les frontières entre les secteurs ainsi que les structures hiérarchiques du leadership. L’article de Leah Levac présente un compte rendu de cette séance.

Pour traiter ces problèmes complexes et interreliés, il faut se doter d’un nouveau style de leadership. Nous pensons ici à un leadership plus collaboratif, humble et enclin à l’écoute, qui soupèse diverses données avant de passer à l’action, tout en montrant une grande tolérance face au risque et à l’erreur de bonne foi. Qui plus est, le nouveau leadership doit faire place aux démarches créatives et novatrices.

À cet effet, l’article d’Amanda Clarke aborde une question importante : comment encourager une culture plus propice à l’innovation dans administrations publiques ? Une partie de la réponse, qui se dégage des discussions du panel, est que la mise en place d’une telle culture dépend grandement d’un appui politique et de la confiance de la population.

Clarke évoque les lettres de mandat du premier ministre Justin Trudeau à ses ministres, dans lesquelles il les incite à la transparence, à l’innovation et à une tolérance face à l’erreur. Comme le souligne Clarke, ce projet ambitieux ne fonctionnera que dans la mesure où les ministres feront savoir aux gestionnaires qu’ils seront tenus responsables si le statu quo perdure sans raison valable, tout en leur montrant que leurs efforts seront récompensés adéquatement.

Le second grand enjeu qui se dégage du colloque porte sur l’importance, pour les institutions, de reconnaître et d’aborder différents types d’exclusion sociale.

Une des contributions importantes en ce sens provient des quatre rapporteurs autochtones du colloque. Leur principal message, présenté dans l’article d’Aaron Mills et Zoe Todd, est que chaque citoyen et chaque visiteur au Canada entre implicitement en relation avec les personnes et les peuples autochtones ainsi qu’avec leurs lieux. Le principal défi ici réside dans le fait que la plupart des Canadiens ne se rendent pas compte qu’ils participent d’une telle relation.

L’article de Michael Pal porte sur la séance plénière intitulée « Nouveau portrait de la participation démocratique ». Les panélistes y ont parlé des nouvelles tendances du processus démocratique et ont dégagé trois aspects qui semblent faire obstacle à une pleine participation.

Le premier aspect a trait au relâchement des limites de dépenses avant et pendant les campagnes électorales. Ce problème est sans doute plus important aux États-Unis, mais Pal s’inquiète des tendances actuelles observées au Canada. Le deuxième aspect touche la concentration des pouvoirs au sein du Bureau du Premier ministre, et ce, aux dépens du conseil des ministres, des députés de l’arrière-ban et des comités parlementaires. Le troisième aspect concerne la tendance à long terme des faibles taux de participation électorale.

La question de l’exclusion était aussi au cœur des discussions de la séance plénière « Innovation locale, influence mondiale », dont Leah Levac présente le compte rendu. Les panélistes y ont rappelé que pour susciter l’innovation sociale, il faut établir des modes d’interaction sociale plus égalitaires.

Un autre aspect important pour la question de l’exclusion est le besoin de reconnaître et d’inclure d’autres sources de connaissances. Comme le démontre Levac, les innovateurs sociaux s’intéressent aux données empiriques, mais ils observent à la fois que les connaissances peuvent prendre diverses formes : les changements sociaux n’ont lieu que si on combine la recherche expérimentale à des connaissances fondées sur les expériences de vie.

Pour les spécialistes de la santé, une des pires formes d’exclusion est le manque d’attention accordée à la santé publique dans les pays en développement. L’article de Steven Hoffman critique la lenteur des progrès visant l’accroissement des capacités en santé publique, le financement de la recherche sur les maladies négligées ou le renforcement des organismes internationaux de santé. Hoffman fait aussi voir que dans le cas de maladies transmissibles comme l’Ebola, le principe d’exclusion n’est que pure illusion. Comme il le dit lui-même : « Le monde est de plus en plus petit, les gens voyagent plus loin et plus souvent, et ils peuvent transporter en tout lieu des bactéries et des virus dangereux. »

Le colloque « Échouer, s’adapter, innover : institutions pour une société changeante » a permis de soulever d’importantes questions qui portent sur la capacité d’adaptation des institutions pour affronter, de façon plus inclusive, les défis liés aux enjeux complexes présents au Canada et dans le monde.

 


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Morris Rosenberg
Morris Rosenberg est président et chef de la direction de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

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