Le 29 décembre 2015, alors que plusieurs Canadiens se préparaient à accueillir le Nouvel An, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) annonçait la cause de ses propres réjouissances : la Guinée était libérée du virus Ebola et on n’avait enregistré aucun nouveau cas dans le monde depuis novembre. En janvier, l’OMS déclarait la fin de l’éclosion après 42 jours sans nouveau cas. Il y a eu, depuis, quelques cas d’Ebola isolés, mais tous les experts s’entendent pour dire que le pire est passé.

L’éclosion d’Ebola en Afrique de l’Ouest a fait les manchettes en 2014 et 2015. Identifiée en mars 2014 puis déclarée comme situation d’urgence en août suivant, l’épidémie s’est répandue rapidement dans une région qui n’avait jamais été frappée auparavant. Ses effets ont été dévastateurs : au moins 28 646 personnes ont été infectées et 11 323 en sont mortes, sans compter l’écroulement de l’économie et des systèmes de santé en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, trois des pays les plus pauvres au monde, où 22 millions de personnes en paieront les frais pendant des décennies.

Cette éclosion d’Ebola a semé l’effroi un peu partout. Je me souviens de la voix inquiète des auditeurs qui téléphonaient à une émission radio de la CBC où j’intervenais. Un homme se disait préoccupé à l’idée de prendre le métro à Toronto. Une femme se montrait réticente à fréquenter des Afro-Canadiens. D’autres anticipaient la catastrophe si on ne fermait pas immédiatement les frontières canadiennes.

Bien que ces craintes-là aient été sans fondements, les véritables inquiétudes liées à l’éclosion d’Ebola semblent sur le point de se matérialiser : soit qu’aucune leçon ne sera tirée de l’expérience et qu’on ne s’attaquera pas aux sources de l’échec des organismes internationaux dans la contention d’une telle éclosion. Ça serait tragique s’il fallait une pandémie encore plus dévastatrice, s’il fallait perdre encore plus de vies pour provoquer les changements tant nécessaires dans les institutions internationales.

Bien sûr, on peut tirer certaines leçons de l’éclosion d’Ebola. Il y a en a au moins trois importantes.

La première porte sur l’importance du financement des interventions en santé publique pour freiner la propagation des virus, et ce, même en cette ère d’hypermobilité et de déplacements transcontinentaux et même après qu’un virus se soit propagé à l’échelle internationale. Il reste évidemment beaucoup de travail à faire pour assurer une surveillance accrue de l’Ebola et pour reconstruire ce qui a été détruit, mais le pire est désormais chose du passé, et ce, grâce à la solidarité des citoyens et citoyennes de l’Afrique de l’Ouest et au travail des professionnels de la santé du monde entier.

La deuxième leçon porte sur le besoin d’investir en recherche et développement pour trouver de nouvelles technologies et stratégies qui aideront à mieux se préparer face aux éclosions de maladies nouvelles ou négligées. La plus grande contribution du Canada face à l’éclosion d’Ebola a été le vaccin rVSV-ZEBOV. Bien que le développement du vaccin ait été tragiquement insuffisant – en raison d’une licence exclusive accordée à la compagnie après la découverte du vaccin par des scientifiques du gouvernement du Canada, en 2005 –, son efficacité a néanmoins été démontrée par un essai clinique, l’année dernière. Cela veut dire que nous sommes dorénavant tous plus en sécurité.

La troisième leçon fait ressortir la faiblesse des organismes internationaux de la santé et le besoin criant de réformes. Depuis plusieurs années, de nombreux chercheurs en santé mondiale sonnent l’alarme pour signaler les faiblesses de l’OMS l’inexécution du Règlement sanitaire international qui gouverne la réaction juridique des pays face aux pandémies, l’insuffisance des ressources pour renforcer les capacités de réaction face aux flambées épidémiques et la concurrence destructrice entre les organismes internationaux de la santé. Depuis, les noms et les failles de ces organismes ont parus à la une des journaux du monde entier et aux heures de grande écoute à la télévision. À titre d’exemple, la réforme de l’OMS et celle du Règlement sanitaire international ont retenu l’attention des plus hautes sphères politiques, notamment des dirigeants des pays du G7 et du Conseil de sécurité des Nations unies. Les Canadiens ont commenté l’échec de ces organisations dans des forums publics, à la radio et dans leurs salons.

Il est bon de retenir des leçons, mais celles-ci n’auront de sens pour nous et face aux 11 323 morts que si nous les mettons réellement en pratique. Jusqu’à maintenant, peu de choses ont été accomplies en ce sens. Cela fait deux ans que l’éclosion d’Ebola a eu lieu, et les capacités en santé publique sont toujours aussi peu développées. Par ailleurs, on n’a toujours pas trouvé de moyens pour mettre fin à certaines conditions qui freinent la recherche sur les maladies négligées. Quant aux organismes internationaux de la santé, on attend toujours des changements. Il y a bien quelques débats en cours quant aux réformes nécessaires, mais les choses avancent à pas de tortue alors que le temps file. Mes recherches montrent que les éclosions importantes comme celle d’Ebola ouvrent un créneau d’action politique de trois ans, pendant lequel il est possible d’apporter des changements avant que l’attention ne s’estompe. Deux années sont déjà passées; il ne reste plus qu’un an pour agir.

Tout cela est primordial pour la santé, le bien-être et la prospérité des Canadiens. Le Canada joue un rôle important pour rendre le monde plus sécuritaire. Ce sont là les principaux messages tirés d’un récent panel sur l’Ebola, lors du colloque 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. À cette occasion, Tim Evans, de la Banque mondiale, a expliqué comment le Canada peut appuyer les efforts internationaux pour créer un fonds d’urgence pour les pandémies ; Laurie Garrett, du Conseil des relations étrangères, a décrit comment le pays peut favoriser certains changements à l’OMS ; et Hossam Elsharkawi, de la Croix-Rouge canadienne, a expliqué comment surmonter les obstacles légaux et réglementaires qui freinent les organismes humanitaires canadiens dans leurs capacités de réaction rapide. Pour ma part, j’estime que le Canada devrait militer pour doter le Règlement sanitaire international de sanctions sévères, en partie parce que les mesures coercitives fonctionnent et en partie parce que cela permettrait au pays de se racheter pour les refus de visas honteusement signifiés aux Africains de l’Ouest, refus qui violaient d’ailleurs cet instrument juridique contraignant (quoique inoffensif).

En vérité, si les institutions internationales en restent au statu quo, nous serons de plus en plus menacés par des éclosions comme celle d’Ebola. Le monde est de plus en plus petit, les gens voyagent plus loin et plus souvent, et ils peuvent transporter en tout lieu des bactéries et des virus dangereux. À titre de « pays de la mondialisation », le Canada est particulièrement vulnérable, mais il est aussi très bien placé pour provoquer un changement positif, ne serait-ce que par son rôle traditionnel de chef de file dans la santé mondiale, la coopération internationale et le multilatéralisme.

Il est pertinent de se demander combien de personnes doivent perdre la vie dans une pandémie pour que le monde se penche sur les failles sous-jacentes qui ont fait en sorte que ces mortalités s’accumulent. Personne ne le sait. Mais on saura en 2016 si 11 323 morts sont suffisants.

 


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Steven J. Hoffman
Steven J. Hoffman is the director of the Global Strategy Lab and the Dahdaleh Distinguished Chair in Global Governance & Legal Epidemiology at York University.

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