Les chercheurs en santé publique savent depuis longtemps que pauvreté et mauvaise santé vont de pair, mais de nouvelles données montrent que l’aide sociale, ce système gouvernemental conçu pour fournir un soutien financier aux personnes pauvres, ne parvient pas à aider les gens à rester en santé.

En nous fondant sur des données provenant d’enquêtes gouvernementales nationales, nous avons étudié l’impact sur la santé des programmes d’aide sociale au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Nos résultats sont surprenants.

Le revenu est un déterminant clé de la santé. De nombreuses recherches indiquent qu’il joue un rôle dans presque tous les parcours de vie. Les personnes ayant un revenu élevé sont moins prédisposées aux comportements nuisibles à la santé, tels que le tabagisme. Elles peuvent se permettre d’avoir un logement sain et d’acheter des aliments nutritifs. Elles sont moins exposées au stress de la vie quotidienne et mieux disposées à y faire face, le cas échéant.

On aurait pu s’attendre à ce que le soutien du revenu fourni par les programmes d’aide sociale améliore l’état de santé des bénéficiaires. Or notre étude ― commandée par le gouvernement de l’Ontario et récemment soumise au ministère provincial des Services sociaux et communautaires et au ministère de la Santé et des Soins de longue durée ― montre une réalité bien différente : les approches actuelles en matière d’aide sociale n’améliorent pas la santé des bénéficiaires.

À notre étonnement, nous avons constaté que dans les trois pays étudiés, l’état de santé des bénéficiaires de l’aide sociale était moins bon ou différent de celui des personnes à faible revenu qui ne recevaient pas d’aide sociale. Nous avions tenu compte de divers indicateurs, notamment les maladies chroniques, l’hypertension, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, l’obésité, le manque d’activité physique et l’état de santé autodéclaré.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces résultats, dont le premier est l’insuffisance du soutien du revenu. L’aide au revenu a décliné depuis le milieu des années 1990 lorsque d’importantes compressions dans les programmes ont été effectuées partout au Canada et aux États-Unis. Par exemple, le bénéficiaire moyen de l’aide sociale en Ontario ou en Colombie-Britannique reçoit aujourd’hui de 300 à 700 dollars par mois, un montant largement insuffisant pour couvrir les besoins de base tels que le loyer, la nourriture et le transport.

Le deuxième facteur concerne les exigences de travail, qui sont au cœur de nombreux programmes d’aide sociale au Canada et dans des pays comparables. Elles peuvent créer des conditions d’emploi précaires pour les personnes en situation de pauvreté qui mènent à des emplois instables offrant peu ou pas d’avantages sociaux. Contrairement à l’idée reçue qu’« il n’y a pas de mauvais emploi », les recherches indiquent que les emplois précaires peuvent être plus nuisibles à la santé que le chômage.

Enfin, les personnes les plus malades risquent davantage de s’inscrire à l’aide sociale. En effet, contrairement aux travailleurs ayant des emplois et des avantages sociaux stables, les personnes en situation de pauvreté dépendent souvent de programmes gouvernementaux pour recevoir des médicaments et des soins dentaires subventionnés ou gratuits. À l’heure actuelle, dans la plupart des provinces, le principal moyen d’obtenir ces avantages est de demander l’aide sociale.

Comment donc remédier à cette situation ? Puisque les politiques publiques sont un des facteurs clés pour réduire les inégalités en matière de santé, il faut y apporter des changements pour qu’elles atteignent cet objectif.

Quelques avancées récentes nous donnent de l’espoir. Des projets pilotes sur le revenu de base, menés en Ontario et en Colombie-Britannique, indiquent que le système depuis longtemps dysfonctionnel est en train de changer, même si l’effet de ce changement doit encore être évalué. Pour mettre les choses en perspective : le montant que les participants recevront dans le cadre du projet sur le revenu de base, à l’essai en Ontario, est encore inférieur aux montants de l’aide sociale du milieu des années 1990 ajustés en fonction de l’inflation.

Hausser le salaire minimum constituerait également un point de départ important, mais les augmentations de deux à trois dollars l’heure proposées par les provinces du Canada ne sont guère une panacée. Des politiques du marché du travail plus audacieuses, telles que le programme de garantie d’emploi proposé aux États-Unis, ont beaucoup plus de chances d’assurer aux travailleurs des salaires et des avantages sociaux stables, et de leur offrir ainsi des conditions de vie décentes. Il faut noter aussi que des gains réalisés au bas de l’échelle par l’augmentation du seuil de revenu sont contrecarrés si les revenus les plus élevés continuent de dépasser largement les modestes améliorations à la base ― ce qui est la situation actuelle au Canada.

Que pourrait-on faire d’autre ? Misons sur nos forces existantes en améliorant l’offre de soins de santé financés par l’État. L’État devrait couvrir les médicaments d’ordonnance et les soins dentaires pour tous, de sorte que l’aide sociale ne soit plus le seul moyen pour les plus démunis d’accéder à ces services essentiels. Après tout, nos programmes de soutien du revenu ne devraient pas avoir à combler ces lacunes importantes dans nos régimes d’assurance-maladie provinciaux.

Des mesures politiques rigoureuses visant à prévenir la pauvreté et les inégalités sont essentielles pour assurer la santé des Canadiens. Il est clair que le soutien du revenu ne permet pas à lui seul de régler la situation.

Photo : Shutterstock / sdecoret


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Arjumand Siddiqi
Arjumand Siddiqi est professeure agrégée à la School of Public Health Dalla Lana de l’Université de Toronto et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité en matière de santé des populations. Elle est aussi conseillère experte auprès d’EvidenceNetwork.ca, attaché à l’Université de Winnipeg.
Odmaa Sod-Erdene
Odmaa Sod-Erdene est analyste de recherche à la School of Public Health Dalla Lana de l’Université de Toronto.

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