En avril 1997, Québec et Ottawa signaient une entente de principe prévoyant le transfert au gouvernement du Québec de la conception, de la mise en œuvre et de l’évaluation des mesures actives d’emploi financées à même le Compte d’assurance-emploi. Cette entente bilatérale, qui donnait de nouvelles responsabilités au gouvernement du Québec, s’accompagnait du transfert de 1 022 employés fédéraux et d’un peu plus de 500 millions de dollars par année.

Accepté par le gouvernement Chrétien dans la foulée du référendum sur la souveraineté de 1995, cet accord visait à démontrer que la fédération pouvait encore changer, au moins par la voie d’ententes administratives. En signant d’abord avec l’Alberta, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba — qui ne demandaient rien —, le gouvernement fédéral s’était cependant assuré de ne pas créer de situation unique pour le Québec.

Mais le Québec s’est néanmoins distingué. Pour le gouvernement de Lucien Bouchard, en effet, il ne s’agissait pas simplement de rapatrier une compétence et des ressources financières, mais aussi de mieux asseoir les politiques du marché du travail en intégrant les programmes de formation et d’insertion destinés aux bénéficiaires de l’assurance-emploi et ceux offerts aux prestataires de l’aide sociale et aux autres personnes sans emploi.

Pour ce faire, une nouvelle agence autonome, Emploi-Québec, a été mise en place afin de créer un guichet unique pour tous les services publics d’emploi. L’entente Canada-Québec n’encourageait pas vraiment une telle intégration puisque Ottawa insistait pour que les fonds transférés ne servent qu’à la clientèle de l’assurance-emploi. Mais elle ne l’empêchait pas non plus. Québec a simplement utilisé ses propres fonds pour rejoindre les autres sans-emploi. Aucune autre province n’a fait de même.

Les premiers pas d’Emploi-Québec n’ont pas été faciles. Intégrant des fonctionnaires, des clientèles et des acteurs habituellement à part — notamment le monde patronal-syndical de l’assurance-emploi et l’univers plus bureaucratique et citoyen de l’aide sociale —, la nouvelle agence a connu sa part de difficultés. Dans la première année, notamment, quand les médias traitaient d’Emploi-Québec, c’était en général pour parler de désaccords et de cafouillages.

Mais la nouvelle agence est rapidement disparue de l’actualité. Ses programmes se sont installés et développés, et ils ont cessé de faire la manchette. En 2008-2009, la part du Québec atteignait plus du tiers des dépenses engagées (954 millions de dollars) et permettait d’offrir des services non seulement aux 180 967 participants éligibles en vertu de l’assurance-emploi, mais également à 129 203 personnes provenant de l’aide sociale ou ne relevant d’aucun programme gouvernemental.

Cette approche distincte a porté fruit. Des évaluations menées en 2003 par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) ont montré que les programmes d’Emploi-Québec contribuaient à placer en emploi une grande partie des participants (76 p. 100).

Mais l’impact a été particulièrement significatif pour les personnes recevant de l’aide sociale. Les évaluations du MESS, en effet, permettaient de suivre des cohortes semblables de participants et de non-participants aux programmes afin de déterminer l’effet des mesures. Parmi les prestataires de l’assurance-emploi, par exemple, 88 p. 100 des participants occupaient un emploi après 18 mois, mais c’était également le cas pour 82 p. 100 des non-participants, une différence nette donc de 6 points de pourcentage. Pour les personnes recevant de l’aide sociale, en revanche, le même écart après 18 mois était de 22 points de pourcentage, un effet net bien supérieur.

Ces résultats confirmaient la pertinence du choix fait par Québec d’aller audelà de la clientèle ciblée par Ottawa. En tenant compte du coût des mesures et de leur impact sur les revenus des personnes et sur les dépenses des gouvernements, les évaluations du MESS montraient que les mesures ciblant les personnes à l’aide sociale devenaient rentables en quelques années pour la société, alors que celles réservées aux prestataires de l’assurance-emploi ne l’étaient jamais vraiment.

En février 2008, le gouvernement du Québec présentait ces résultats à un atelier fédéral-provincial-territorial tenu à Montréal. Dans les mois qui ont suivi, le gouvernement Harper a signé avec toutes les provinces et les territoires de nouvelles ententes bilatérales relatives au marché du travail, qui cette fois rendaient possibles l’offre de mesures actives aux personnes recevant de l’aide sociale ou ne relevant d’aucun programme gouvernemental. L’approche québécoise, longtemps refusée par Ottawa, devenait la nouvelle norme.

Il y a des limites à ce qui peut être accompli par la voie d’ententes administratives, surtout quand le gouvernement fédéral insiste pour maintenir une approche symétrique à la grandeur du pays. Mais l’expérience d’Emploi-Québec met tout de même en lumière les possibilités d’une plus grande ouverture à l’autonomie et à l’asymétrie dans la fédération.

Ces premières ententes bilatérales n’ont d’ailleurs pas été les seules. En janvier 2006, en effet, Ottawa et Québec convenaient aussi de la création du Régime québécois d’assurance parentale, un arrangement unique au Québec et encore plus significatif. J’y reviendrai.

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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