Le 23 juillet, tard dans la nuit et après huit tours de scrutin, l’Assemblée des Premières Nations s’est donnée un nouveau leader, Shawn A-in-chut Atleo.

Chef héréditaire des Ahousaht, une petite nation autochtone de l’île de Vancouver, et représentant de l’Assemblée des Premières Nations de Colombie-Britannique, Atleo, 42 ans, portait les espoirs d’une nouvelle génération, déterminée à affirmer la souveraineté autochtone et à promouvoir l’éducation et le développement économique.

Certains ont vu l’élection d’Atleo comme une victoire pour les nations sans traités, qui se trouvent principalement en Colombie-Britannique, au Québec et dans les provinces atlantiques. Celles-ci, en effet, sont plus préoccupées par la nécessité de faire reconnaître leur souveraineté sur le territoire et les ressources que ne le sont les nations reconnues par des traités des Prairies et de l’Ontario, qui possèdent de meilleures assises juridiques.

D’autres ont présenté Atleo comme le représentant d’une tendance plus militante, en contraste avec le leadership plus conciliant de Phil Fontaine, en poste de 1997 à 2000, puis de 2003 à 2009.

Mais l’écart entre Atleo et Fontaine n’est pas si grand. Les revendications de base demeurent à peu près les mêmes et les moyens envisagés se ressemblent. D’ailleurs, en Colombie-Britannique, Atleo a lui-même joué un rôle de conciliateur, pour rapprocher les différentes organisations autochtones et établir d’excellentes relations avec le gouvernement libéral de Gordon Campbell.

La véritable différence entre les deux chefs relève plutôt du contexte, qui a beaucoup changé depuis l’élection des conservateurs en janvier 2006. Quelques mois auparavant, en novembre 2005, le gouvernement minoritaire de Paul Martin avait conclu dix-huit mois de négociations avec les gouvernements des provinces et des territoires et l’ensemble des organisations autochtones du pays en définissant une nouvelle approche pour favoriser le développement économique et social dans les communautés autochtones.

L’entente de 2005, annoncée à Kelowna en Colombie-Britannique, était sans précédent. Tant les gouvernements que les organisations autochtones convenaient de consacrer d’importants efforts pour améliorer la gouvernance, promouvoir l’éducation, développer les soins de santé et le logement, et soutenir le développement économique.

Laissant temporairement de côté les enjeux de souveraineté, toutes les parties s’en tendaient ainsi pour mettre l’accent sur la qualité de vie, dans le cadre d’une approche multilatérale et ouverte reconnaissant « que les peuples autochtones doivent avoir la possibilité de collaborer davantage à l’élaboration de politiques, programmes et services qui les concernent ».

Les partenaires se donnaient dix ans pour combler l’important écart de revenu et de qualité de vie entre les peuples autochtones et les autres Canadiens.

Stephen Harper n’a jamais donné suite à cette entente, qu’il considérait davantage comme une manœuvre électorale de dernière minute des libéraux que comme une réalisation historique pour le pays. Si bien que le gouvernement fédéral s’est retrouvé sans stratégie et sans approche concertée pour faire face au problème persistent et indéniable de la pauvreté autochtone.

En 2006, en effet, presque 22 p. 100 des autochtones vivaient sous le seuil de faible revenu après impôt de Statistique Canada, comparativement à 11 p. 100 pour les non-autochtones. Plus susceptibles d’être sans emploi, les autochtones demeurent beaucoup moins nombreux à réussir leurs études secondaires, ont plus souvent des logements inadéquats, et souffrent davantage de maladies chroniques. Ils vivent aussi moins longtemps.

Dans ses dernières déclarations, Phil Fontaine expliquait que le recul du gouvernement Harper sur ces enjeux concrets et urgents constituait son principal regret.

Pendant la course au leadership, Atleo a plutôt insisté sur la souveraineté autochtone, mais la question sociale reviendra nécessairement à l’ordre du jour, quel que soit le gouvernement à Ottawa.

En attendant, et de façon surprenante, certaines provinces ont pris les devants. Traditionnellement enclins à laisser toute la question au gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ont accepté de jouer un rôle à Kelowna, et certains se préoccupent de plus en plus de la qualité de vie des peuples autochtones sur leur territoire.

D’une part, les provinces qui ont adopté une stratégie de lutte contre la pauvreté reconnaissent l’importance de s’attaquer à la pauvreté des autochtones. C’est le cas notamment du Québec, de Terre-Neuve-et-Labrador, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse. D’autre part, certaines provinces se sont aussi données de nouvelles approches pour travailler avec les peuples autochtones. Au Québec et en Ontario, en particulier, de nouveaux partenariats ont été amorcés au milieu des années 2000.

De ce côté, tout reste cependant à prouver. Les provinces où les autochtones constituent une part plus importante de la population notamment, comme le Manitoba et la Saskatchewan, demeurent manifestement réticentes.

Inévitablement, Shawn A-in-chut Atleo devra donc reprendre la mission que s’était donnée Phil Fontaine, et tenter encore une fois de combler l’écart qui sépare les autochtones des non-autochtones.

Photo: Art Babych / Shutterstock

Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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