Le caractère perturbateur des médias numériques, dont la force transformatrice a fait des ravages dans le monde de la musique, de l’édition et des journaux, contient aussi la possibilité de remodeler la politique. Les réseaux en ligne et les médias sociaux en ont déjà changé les modes d’exécution — qu’on pense aux collectes de fonds ou au microciblage des électeurs —, mais peuvent-ils modifier la nature même de l’engagement politique ? Et ainsi renforcer la démocratie ?

Il y a une douzaine d’années, le politologue de Harvard Robert Putnam déplorait l’effritement du ciment social qui rassemble les Américains et forme la clé de voûte de la société civile. Mais ce regret de voir s’éroder le capital social qui alimente la démocratie, il l’a exprimé alors même qu’Internet s’ouvrait aux médias sociaux. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si nous jouons en solitaire, pour évoquer la métaphore ludique de Putnam, mais bien de déterminer si le fait de jouer virtuellement avec des centaines d’ « amis » — par voie de textos, tweets et vidéos parodiques échangés à l’infini — crée des liens sociaux susceptibles de raviver nos démocraties éreintées.

Les données empiriques sur l’impact politique des médias sociaux, même de plus en plus étoffées, restent très sommaires. Mais la question suscite de plus en plus de débats, comme en témoignent les collaborateurs à ce numéro. Il y a les « optimistes », pour qui les réseaux en ligne renouvellent l’espoir d’une forte participation politique. À leurs yeux, le modèle des médias sociaux remplace les partis discrédités et les institutions naufragées par une nouvelle forme de politique qui permet aux militants en ligne de promouvoir le changement en choisissant parmi un vaste éventail de causes.

Faux, rétorquent les « sceptiques », l’engagement en ligne, aussi répandu que superficiel, est dénué de caractéristiques comme la proximité et la ténacité qui, historiquement, ont produit de véritables changements. Certains mettent aussi en garde contre le côté sombre d’un militantisme soumis à une culture algorythmique qui renforce nos préjugés et rend encore plus difficile l’art politique de la conciliation des opinions divergentes.

Éternellement insatisfaits et mécontents des défaillances que nous prêtons à nos systèmes politiques, nous sommes toujours en quête de remèdes définitifs. Or la technologie ne doit en rien prédéterminer notre destin politique. En soi, le militantisme en ligne n’est ni bon ni mauvais. Il ne présage pas un nouveau départ, pas plus qu’il n’offre de faux espoirs. C’est d’abord un outil, un levier qui peut aider à combler l’écart entre la société que nous désirons et celle où nous vivons aujourd’hui.

Photo: Shutterstock  /Tashatuvango

Bruce Wallace
Bruce Wallace a été nommé rédacteur en chef d'Options politiques, la revue phare de l'IRPP, en août 2012. Il travaillait auparavant au Los Angeles Times, de 2004 à 2008 comme chef de bureau à Tokyo, par la suite comme responsable du service étranger du quotidien. Au cours de sa longue carrière de journaliste, il a couvert au Canada et à l'étranger aussi bien des guerres que des élections ou l'actualité économique, sans parler de trois Jeux olympiques. Originaire de Montréal, Bruce a séjourné à l'extérieur du pays pendant 16 des 19 dernières années ; il possède une excellente compréhension des courants mondiaux en matière économique, politique et de sécurité, et de leur incidence sur les politiques publiques canadiennes.

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