Longtemps inexpliqué, le miracle de la vie s’éclaircit au fur et à mesure que nos connaissances en matière de procréation et de génétique évoluent. De l’embryon présentant les meilleures chances de survie ou les qualités génétiques recherchées à la manipulation génétique, l’idée que les parents puissent décider de certaines qualités chez leur enfant à naître fait son chemin. Nos connaissances ne permettent pas ― pas encore ― de choisir les traits de caractère de nos descendants ou encore leur apparence physique. Néanmoins, elles ouvrent tout de même la voie à un niveau impressionnant d’interventions. Or, malgré les percées technologiques, la législation canadienne demeure plutôt conservatrice à cet égard.

Au chapitre des applications récentes en matière de procréation, nos connaissances des manipulations génétiques, couplées à l’identification de gènes porteurs de maladies ou susceptibles d’influer sur l’apparition de maladies, permettent d’intervenir sur les gamètes et les embryons de manière à en modifier le génome. Grâce à ce type d’intervention, des chercheurs chinois auraient réussi à modifier le génome de deux embryons afin que les enfants à naître soient immunisés contre le VIH. Décriée par plusieurs chercheurs, cette percée ouvre la porte à diverses manipulations des expressions génétiques identifiables et liées à des maladies importantes ou rares qui pourraient ainsi être évitées. La question se pose donc de savoir si toute manipulation génétique ne devrait pas être interdite ou si, selon la maladie que l’on souhaite éviter, certaines d’entre elles ne devraient pas être permises.

Des enjeux éthiques importants

Cette question est d’autant plus pertinente que beaucoup s’entendent pour dire que seules les manipulations dont les résultats ne sont pas susceptibles d’être transmis aux générations futures devraient être légalisées. Or une technologie récente rend cette restriction obsolète. En effet, avec l’aide de la gamétogenèse, il est possible de recréer les gamètes requis pour la formation d’un enfant à partir de toute cellule humaine. Ainsi, une seule personne serait en mesure de fournir le matériel génétique nécessaire à la procréation in vitro, et des conjoints homosexuels pourraient utiliser leurs cellules pour fournir l’ensemble des gamètes requis. Cette percée est importante, non seulement pour l’accès à la procréation, mais également pour la législation applicable en la matière, puisqu’elle fait en sorte que la distinction entre les manipulations génétiques germinales ― dont les résultats sont susceptibles d’être transférés aux générations futures ― et les manipulations somatiques n’a plus sa raison d’être. Dorénavant, le fruit de toute modification peut potentiellement être transmis aux générations futures.

On peut par ailleurs utiliser les gamètes de trois donneurs de manière à éliminer certaines maladies, voire à régler des problèmes d’infertilité. En effet, ce type de manipulation a d’abord été faite au Royaume-Uni afin d’éviter que certains gènes de la mère, porteurs de maladies, se transmettent à l’enfant. Essentiellement, l’enfant naîtra avec une majorité de gènes appartenant à ses deux parents. Cependant, une petite partie de ceux-ci proviendront d’une seconde mère donneuse. Depuis, cette technique a été étendue à d’autres maladies ― comme le syndrome de Leigh ― et au traitement de l’infertilité là où la législation est plus permissive, comme au Mexique et en Ukraine. Évidemment, toutes ces applications soulèvent des questions éthiques, puisque la reproduction se fait alors à trois et que cette union génétique est germinale, de sorte que les modifications apportées toucheront les descendants de l’enfant ainsi conçu.

Une législation conservatrice au Canada

Finalement, plusieurs pays admettent la mise au monde de « bébés-médicaments » ou de « bébés double espoir », permettant ainsi de créer un enfant génétiquement compatible avec un autre membre de sa fratrie qui serait en attente de don de sang de cordon ou de greffe de moelle osseuse essentiel à sa survie. Ce type de reproduction demeure marginal, mais est permis dans divers pays, notamment la France, la Belgique et le Royaume-Uni. Les enjeux sont ici multiples. L’enfant ainsi choisi pour sa compatibilité génétique risque d’être instrumentalisé et de voir son autonomie limitée, puisqu’il aura été expressément créé pour devenir un donneur. De plus, il faut parfois générer des dizaines d’embryons avant d’en obtenir un qui présentera le niveau de compatibilité recherché.

Au Canada, la Loi sur la procréation assistée ne permet pas de choisir le sexe de l’enfant à naître, de créer un enfant à partir des gamètes de trois parents ou encore de multiplier la création d’embryons jusqu’à ce que l’un d’eux s’avère être un donneur parfait pour un autre membre de sa fratrie. Une comparaison des lois en vigueur dans divers pays qui régissent les modifications génétiques germinales montre que le Canada demeure l’un des pays les plus conservateurs en la matière (figure ci-dessous). En effet, ces modifications qui sont permises à des fins curatives ou à des fins expérimentales ailleurs dans le monde sont criminelles au Canada.

Les pressions sont fortes pour que le Canada change sa position à ce sujet ou, du moins, entame une réflexion et adopte des balises en fonction des différents enjeux. En effet, on aimerait qu’il permette la recherche, notamment en ce qui a trait aux modifications génétiques à des fins curatives. Les motifs pour cela sont nombreux. Certains craignent que les chercheurs canadiens prennent du retard par rapport à leurs homologues des autres pays et négligent de chercher des solutions à des problèmes de santé publique réels. De plus, puisque des avancées existent, d’autres demandent que les Canadiens aient également accès à ces soins prodigués de manière préventive ou curative.

Si jamais le Canada ouvrait la porte à la modification génétique, qui décidera de ce qui constitue une application curative ?

Mais voilà : la distinction entre ce qui constitue une correction à un problème médical ― et donc, une application curative ― et une correction discriminatoire ou fondée sur des préjugés (comme ce pourrait être le cas si l’on souhaitait éliminer la surdité, le nanisme, ou encore une situation de handicap) est loin d’être facile à faire. Si jamais le Canada ouvrait la porte à ce type d’intervention, qui décidera de ce qui constitue une application curative ? Qui décidera quelle vie mérite d’être vécue et quelles caractéristiques offrent à l’enfant à naître les meilleures chances d’une bonne vie ? La ligne peut être mince entre le désir de prévenir l’apparition de maladies et la pratique d’un certain eugénisme menant à la création de bébés « à la carte ».

Force est d’admettre qu’une réflexion sur le sujet s’impose à l’échelle nationale, ne serait-ce que pour évaluer les plus récentes avancées et les confronter au droit actuel afin de s’assurer que celui-ci correspond toujours aux aspirations des Canadiens. Le Canada fait face à plusieurs choix : conserver sa législation actuelle, admettre certaines exceptions ― notamment à des fins de recherche ou à des fins curatives ― ou encore ouvrir la porte à des interventions de plus en plus invasives dans ce qui était jusqu’alors laissé au hasard. Pour être en mesure de faire des choix éclairés, il est sans doute opportun d’entamer un processus de réflexion le plus rapidement possible.

Cet article fait partie du dossier Lacunes de notre politique de procréation assistée.

 Photo : Shutterstock / Bigna


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Joséane Chrétien
Joséane Chrétien est avocate au sein du cabinet McMillan et candidate au doctorat en droit à l’Université McGill.  Elle détient une maîtrise en droit de l’Université d’Oxford et une maîtrise en droit de la santé de l’Université de Montréal.

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