La tarification du carbone n’est pas responsable de la hausse du coĂ»t de la vieTEST

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La hausse de l’inflation a mis les finances de nombreux ménages à rude épreuve.

En octobre 2023, par exemple, les prix moyens à la consommation avaient augmenté de 15 % par rapport au niveau prépandémique. Sur la même période, des biens aussi essentiels que le logement et la nourriture ont connu des hausses de prix de 20 % et 23 % respectivement.

En parallèle, les divers paliers de gouvernement au Canada ont durci leurs politiques climatiques. Certains ont voulu lier les deux phénomènes, alléguant que les politiques climatiques telles que la taxe carbone étaient responsables de la hausse du coût de la vie.

S’il y a de bonnes raisons de se soucier de l’abordabilité en général, les politiques climatiques y contribuent assez peu, cependant. Et leur suppression ne changerait quasiment rien à la situation financière des ménages.

Mais avant d’examiner l’impact de la tarification du carbone sur les prix à la consommation, il convient d’exposer la situation générale quant à l’enjeu d’abordabilité.

Combien coûte le coût de la vie ?

Des prix à la consommation plus élevés affectent le revenu réel – et de beaucoup. Entre février 2020 et l’été 2023, l’augmentation des prix à la consommation a réduit le revenu disponible global des ménages de presque 100 G$. Ce qui soulève de sérieux problèmes d’équité puisque tous les ménages n’ont pas été impactés également.

Sur la foi des dernières données de Statistique Canada, nous estimons qu’entre février 2020 et l’été 2023, la famille médiane (moins de 30 000 $ par an) a vu ses dépenses augmenter 395 $ par mois. Pour les familles gagnant entre 60 000 $ et 90 000 $ par an, la hausse médiane n’est que de 635 $ par mois – soit moins du double. (L’impact sur chaque ménage variera en fonction de sa taille, du type d’emploi ou selon qu’il est propriétaire ou locataire.)

Malgré la baisse de l’inflation, ces disparités persistent. Les propriétaires n’ayant pas contracté d’hypothèque, par exemple, ont échappé aux hausses des taux d’intérêt.

Dans ce portrait, quel est l’impact des politiques climatiques, et plus particulièrement de la taxe carbone ?

Leur impact est très divers, à la fois sur la consommation, l’emploi, la santé et les finances publiques. La consommation vient d’abord à l’esprit, puisque ces politiques peuvent influencer le prix des transports, du logement, de l’énergie, etc. Les normes sur les combustibles propres, par exemple, peuvent augmenter le coût de production des raffineries, lequel se répercutera sur le consommateur à travers des prix supérieurs sur les carburants. Inversement, une politique favorisant l’électricité renouvelable peut entraîner une diminution des coûts de production et donc une baisse de prix.

C’est pourquoi les politiques climatiques ont très peu joué dans l’évolution récente de l’inflation au Canada.

Le faible coût d’un prix sur le carbone

Des recherches récentes ont clairement établi que la tendance inflationniste des dernières années s’explique largement par la flambée mondiale des prix de l’énergie. La taxe carbone et d’autres mesures fiscales indirectes (taxes de vente et d’accise) y ont eu fort peu contribué. Nous le savons parce que Statistique Canada suit et rapporte l’évolution des prix indépendamment de l’effet des impôts indirects.

Selon les données les plus récentes, l’augmentation progressive entre janvier 2015 et octobre 2023 des impôts indirects, y compris la taxe carbone, a contribué à la hausse des prix à la consommation à hauteur de 0,6 %.

Autrement dit, la quasi-totalité de la hausse du coût de la vie entre 2021 et 2023 est due à d’autres facteurs. De même, les récentes baisses de l’inflation découlent principalement de la chute des prix de l’énergie.

L’effet d’une taxe carbone sur la hausse des prix des aliments est encore plus faible. Par exemple, en Colombie-Britannique, l’impact sur le coût moyen ne serait que de 0,33 %, si l’on se fie aux dernières estimations de Statistique Canada. On parle ici de l’effet total. D’autres produits de première nécessité, tels que les vêtements et les chaussures, coûtent environ 0,2 % plus cher à cause de la taxe carbone.

L’effet est donc réel – mais bien moindre que la hausse globale des prix subie au Canada. Quant à l’abordabilité et la hausse du coût de la vie, la tarification du carbone n’y est pour rien. (Nous en discutons en détail dans un article récent pour l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary.)

Les remises compensent le coût de la taxe carbone

L’abordabilité n’est pas qu’une affaire de prix ; le revenu en est une composante essentielle. Le revenu réel – défini comme le revenu gagné pondéré par l’indice des prix à la consommation – exprime le pouvoir d’achat réel de chacun.

Afin de bien mesurer les effets des politiques climatiques sur l’abordabilité, il faut donc tenir compte des mesures complémentaires – telles que les rabais pour les personnes à faible revenu ou la remise canadienne sur le carbone.

Prenons le cas du filet de sécurité fédéral qui prélève les taxes sur les carburants dans les provinces qui ne le font pas déjà. Les recettes de cette taxe financent des transferts directs en espèces, principalement aux particuliers.

Chaque année, le gouvernement fédéral reverse 90 % des recettes perçues dans ces juridictions aux ménages sous forme d’une remise canadienne sur le carbone. Le montant que reçoit chaque famille dépend de sa taille et de sa situation géographique (rural ou urbaine). Le paiement est automatique et indépendant du revenu. Il suffit d’avoir rempli sa déclaration de revenus.

Plus important encore, la plupart des familles reçoivent plus de remises qu’elles paient de taxe carbone. Et la remise ne tient aucun compte de la consommation de carburant. Autrement dit, ceux qui conduisent moins paient moins de taxes sur le carbone tout en recevant le même montant.

Sur la base des dernières données de Statistique Canada, nous estimons que le coût net annuel médian de la taxe carbone pour les ménages ontariens est de -300 $. Autrement dit, ces ménages ont reçu 300 $ de plus en remises qu’ils n’ont payé en taxe carbone.

En revanche, en Colombie-Britannique, le remboursement est plutôt structuré autour du revenu et de la taille des ménages. Ceux-ci, pour la plupart, paient donc plus de taxe carbone qu’ils ne reçoivent de remise. Mais la comparaison se nuance du fait que le gouvernement britanno-colombien a compensé l’introduction de la taxe carbone en réduisant ses taux d’imposition sur le revenu.

Le soutien à l’industrie joue également. Mais une analyse récente révèle que les coûts indirects de la taxe carbone – qui se répercutent sur toute la chaîne d’approvisionnement et affectent le prix des biens et des services dans l’ensemble de l’économie – sont nettement moindres grâce aux mesures correctives accordées aux grands émetteurs.

Les gouvernements doivent rendre les politiques climatiques abordables

En effet, ceux-ci reçoivent leur propre type de « remise » sous la forme de subventions basées sur leur niveau de production. L’effet est considérable : les coûts indirects s’en trouvent réduits de moitié.

Cette même analyse montre qu’un prix de carbone à 65 $ la tonne se traduit par une hausse mensuelle du panier d’épicerie de 2 $ en Ontario et de 5 $ en Alberta – au lieu de 9 $ et 22 $ respectivement s’il n’y avait aucun système de compensation pour les grands émetteurs.

Certains rejettent ces estimations sur la foi du rapport 2022 du Directeur parlementaire du budget. Celui-ci affirmait que la plupart des familles verraient leur situation se dégrader à cause de la taxe carbone. Son estimation intégrait des prévisions quant à une baisse de l’activité économique, ce qui réduit par conséquent les revenus réels des ménages.

Nous ne contestons pas cette analyse, mais d’autres études sur la taxe carbone britanno-colombienne suggèrent qu’il faut aussi tenir compte de la répartition des revenus réels. Dans cette province, les ménages à faible revenu ont des revenus réels plus élevés sous l’effet combiné de la taxe carbone et des remises, quelle que soit la variation de l’activité économique.

Sans tarification sur le carbone, le Canada devrait adopter des politiques moins efficaces, lesquelles pèseraient davantage sur la croissance et les ménages – alors privés de remise.

Une politique climatique efficace qui ne perd pas de vue les enjeux d’abordabilité, voilà donc le défi. L’équilibre dans la conception et la coordination des politiques peut assurer à la fois la réduction efficace des émissions et le maintien du niveau de vie des ménages canadiens.

Conseillère scientifique au ministère de l’Environnement et du Changement climatique, Jennifer Winter est cosignataire de ce document en son nom personnel.

Mulroney, les lettres de licenciement, les espadrilles et la confiance en la fonction publiqueTEST

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Brian Mulroney a été élu premier ministre en promettant de donner aux fonctionnaires « des lettres de licenciement et des espadrilles ». Il n’a pas donné suite à cette promesse, mais ses réformes ont jeté les bases de la plus importante réduction des effectifs fédéraux de l’histoire du Canada et ont redéfini le rôle du gouvernement.

« Les politiciens sont redevables au public, mais les bons dirigeants influencent la compréhension citoyenne des questions de politique publique », affirme l’ancien greffier du Conseil privé Mel Cappe à la mémoire de M. Mulroney, décédé le 29 février.

« C’est ce que Mulroney a fait avec la TPS, l’apartheid, les pluies acides et les questions fiscales. Il a créé une demande de responsabilité fiscale de la part du public, dont le gouvernement Chrétien a ensuite profité », ajoute M. Cappe.

Rows of men in suits stand smiling and clapping as they watch Mulroney, who is flanked by two smiling men in suits. Each has an arm through Mulroney’s.
Le chef conservateur Brian Mulroney est ovationné par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau alors qu’il est escorté vers la Chambre des communes le 12 septembre 1983. (LA PRESSE CANADIENNE/Andy Clark)

Du respect pour la fonction publique

En 1993, la dette du Canada s’élevait à 67 % du PIB, accaparant 35 % des recettes de l’État. Grâce à une révision des programmes, les dépenses ont été réduites, 55 000 emplois ont été supprimés et le déficit a été éliminé en 3 ans. Le Canada a bénéficié d’excédents annuels jusqu’en 2007-2008.

M. Mulroney n’a pas pris de décisions difficiles pour abolir certains programmes, comme l’a fait plus tard l’ancien ministre libéral des Finances Paul Martin, mais de hauts fonctionnaires affirment qu’il a changé l’opinion publique au sujet de la dette et des déficits.

Ils affirment également que M. Mulroney a apporté une affabilité, une civilité et un respect pour la fonction publique qui font défaut dans la politique divisée et très partisane d’aujourd’hui.

Cette semaine, le cercueil de M. Mulroney reposait en chapelle ardente à Ottawa, où le public pouvait lui rendre hommage. De là, il a été transféré à la basilique Saint-Patrick de Montréal pour une visite publique et des funérailles nationales samedi à la basilique Notre-Dame.

Le 23 octobre 1984, Brian Mulroney (à gauche) s’entretient avec Joe Clark, alors ministre des Affaires étrangères, avant le début d’une réunion du cabinet au lac Meech (Québec). (CP PICTURE ARCHIVE—Andy Clark)

« C’était un vrai premier ministre qui écoutait les conseils, relate Jim Mitchell, un ancien haut fonctionnaire du Bureau du Conseil privé. Il ne considérait pas que les bureaucrates étaient là pour saluer, mettre en œuvre ou administrer. Il pensait que la fonction publique avait pour mission de soutenir son gouvernement et il lui faisait confiance. »

Mais ce respect n’a pas été facile à obtenir au début.

Le commentaire symbolique de M. Mulroney sur les « lettres de licenciement et les espadrilles » illustre sa méfiance à l’égard des fonctionnaires et sa volonté de restreindre les dépenses. C’était le début d’une ère de dénigrement des bureaucrates, les fonctionnaires étant qualifiés de « gros bonnets » et Ottawa, de « ville grasse » (fat city).

« Nous n’allons pas nous laisser embobiner par une bande de fonctionnaires égocentriques et écervelés, habiles à manipuler les ministres comme des marionnettes », a déclaré M. Mulroney en 1983, alors qu’il briguait la direction du Parti progressiste-conservateur avant de remporter sa première majorité en 1984.

« Nous allons leur donner à chacun un budget et des ordres à respecter, une chose qu’ils n’ont jamais même imaginée et qu’ils n’ont encore jamais faite. Et s’ils n’y parviennent pas, ils recevront leur lettre de licenciement et une paire d’espadrilles », a-t-il ajouté.

Au début des années 1980, les finances du Canada étaient précaires, aux prises avec une récession, un taux d’emploi élevé et un déficit croissant après des années de dépenses déficitaires de la part des libéraux.

À San Antonio (Texas), le 7 octobre 1992, M. Mulroney (à l’extrême droite, à l’arrière) se tient aux côtés du président mexicain de l’époque, Carlos Salinas de Gortari (à gauche, à l’arrière), et du président américain de l’époque, George H. W. Bush. Au premier rang : leurs représentants commerciaux respectifs, Jaime Serra Puche, Carla Hills et Michael Wilson lors du paraphe de l’Accord de libre-échange nord-américain. (AP PHOTO/Pat Sullivan)

Le déficit a continué de croître

M. Mulroney est arrivé à l’époque où gérer l’administration publique comme s’il s’agissait d’une entreprise, faisait fureur, avec de grandes réformes en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Royaume-Uni (M. Mulroney s’est engagé dans la même voie pour moderniser le service public, mais pas avec la même rapidité et la même intensité).

Il a procédé à des réformes économiques majeures, notamment sur le libre-échange, la taxe sur les produits et services (TPS), la privatisation des sociétés d’État, la réduction de la réglementation pour les entreprises et des tentatives infructueuses pour équilibrer le budget.

Cependant, M. Mulroney n’a jamais réussi à éliminer le déficit. Celui-ci s’est encore creusé après 22 séries de réductions générales entre 1984 et 1993, « toutes plus difficiles les unes que les autres et plus démoralisantes pour la fonction publique », écrit Jocelyne Bourgon, sous-ministre sous M. Mulroney, devenue par la suite greffière du Bureau du conseil privé lors de la révision des programmes par les libéraux.

Mme Bourgon a beaucoup écrit sur l’examen des programmes, que de nombreux pays ont étudié comme modèle.

Les efforts de M. Mulroney ont fini par rapporter. Ses grandes réformes structurelles, telles que le libre-échange et la TPS, « ont stabilisé les recettes et continuent de porter leurs fruits », ce qui a placé le Canada sur une « meilleure trajectoire économique et budgétaire », indique Mme Bourgon.

Le 10 avril 1990, Brian Mulroney et George H. W. Bush, alors président des États-Unis, lancent la première balle du match d’ouverture à domicile des Blue Jays de Toronto (LA PRESSE CANADIENNE/Fred Chartrand)

Lorsque M. Mulroney a été élu, peu de gens s’inquiétaient des déficits et des risques liés à la dette. Les entreprises continuaient à réclamer davantage de dépenses publiques pour stimuler l’économie.

Mme Bourgon se souvient que M. Mulroney a fait passer ce message lors des conférences des premiers ministres sur l’économie qu’il organisait chaque année :

« J’ai cette vision de lui avec des graphiques dans les mains… expliquant les courbes et ce qu’elles signifient. À lui seul, il a sensibilisé l’opinion publique aux risques liés à l’augmentation des déficits et de la dette », relate-t-elle.

Lorsque les libéraux ont lancé une révision des programmes dix ans plus tard, le public avait déjà reconnu la nécessité de mettre de l’ordre dans les finances, avant les politiciens et la fonction publique, a déclaré le sénateur Peter Harder, sous-ministre sous les gouvernements Mulroney et Chrétien.

23 novembre 1992 : Brian Mulroney est accueilli par les applaudissements du président du comité de campagne du Parti progressiste-conservateur, Pierre Blais, alors ministre des Consommateurs et des Sociétés, et de John Tory (de droite à gauche) à Ottawa. (LA PRESSE CANADIENNE/Fred Chartrand)

« Il y a eu de l’enthousiasme »

M. Mulroney a marqué les fonctionnaires en tant que leader fort à la recherche d’idées nouvelles et ambitieuses pour transformer le Canada à l’avenir, avance Mme Bourgon. Les décideurs politiques qui ont rejoint la fonction publique pour un travail utile et pour faire la différence ont été séduits par ses idées.

« Il y avait de l’enthousiasme. Il n’y avait pas que de la morosité », ajoute Mme Bourgon.

« Les fonctionnaires étaient fiers d’être associés à des projets sous une telle direction. Il s’agissait de se surpasser, de faire des choses qui n’avaient jamais été faites auparavant, d’apporter ses meilleures idées et de les concrétiser », poursuit l’ancienne sous-ministre.

Des années plus tard, M. Mulroney a déclaré que son commentaire sur les « lettres de licenciement et les espadrilles » visait à préparer les fonctionnaires à de grands changements.

« J’ai simplement indiqué qu’il y avait un nouveau shérif en ville et que nous ferions les choses différemment, mais sans manquer de respect à la fonction publique », a-t-il dit.

M. Mulroney a reconnu qu’il y avait beaucoup de méfiance et de suspicion dans les premiers temps. Les fonctionnaires avaient développé une relation confortable avec le parti au pouvoir, après 26 ans de gouvernance libérale. Certains se sentaient idéologiquement opposés à ce qu’il voulait faire.

C’est en partie pour cette raison que M. Mulroney a créé des postes de chef de cabinet, en commençant par le sien, ce qui a permis d’accroître l’influence et le salaire de ces personnes en tant que conseillers politiques clés

Le 22 mars 1985, à Ottawa, Brian Mulroney fait un geste sous le regard de Stanley Hartt, alors président du Comité consultatif de la Conférence économique nationale. Hartt a été le chef de cabinet de Brian Mulroney de 1989 à 1990. LA PRESSE CANADIENNE/Ron Poling

Les sous-ministres et leurs ministres

Dans cette même entrevue, M. Mulroney a déclaré qu’il en était venu à faire confiance aux fonctionnaires et à s’appuyer sur eux, allant même jusqu’à en débaucher certains pour son cabinet, comme Derek Burney, devenu son chef de cabinet. Il a choisi Paul Tellier, alors sous-ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources, comme greffier et haut fonctionnaire, en disant qu’il était la référence en matière d’honnêteté et de vérité sans fard.

Et sans les fonctionnaires, « nous n’aurions pas réussi à faire passer notre programme principal », a déclaré M. Mulroney. (Aujourd’hui, la politique publique et la gouvernance sont au premier plan du Brian Mulroney Institute of Government à l’Université St. Francis Xavier).

Lors d’une récente entrevue, M. Tellier a déclaré que M. Mulroney avait rapidement compris l’importance de la fonction publique, en particulier la relation essentielle entre les sous-ministres et leurs ministres.

Mais M. Tellier affirme que la confiance est aujourd’hui mise à rude épreuve en raison de la toute-puissance du cabinet du premier ministre et de l’armée de personnel ministériel, et que cette situation n’est nulle part plus évidente que dans les relations entre le premier ministre Justin Trudeau et la fonction publique.

« M. Trudeau n’a jamais compris ce que devait être cette relation et, s’il reste encore longtemps, il va complètement détruire la fonction publique professionnelle que nous avons », prédit M. Tellier.

Brian Mulroney et la discrète privatisation de l’État

Brian Mulroney courted MP loyalty like no other prime minister

From 2003: The Mulroney years: Transformation and tumult

From 2011: Leveraging Canada-US relations “to get big things done” (interview)

From 2012: Acid rain: A case study in Canada-US relations (written by Brian Mulroney)

La centralisation du pouvoir et la transformation des fonctionnaires, qui passent du statut de conseillers intrépides à celui d’exécutants loyaux, s’inscrivent dans la continuité des 50 dernières années, et certains affirment que les réformes de M. Mulroney ont contribué à accélérer cette évolution.

M. Mulroney a introduit deux grandes réformes qui continuent à servir de référence aujourd’hui, même si leur impact global a été limité.

Le jour de son élection, il a annoncé la création d’un groupe de travail sur la révision des programmes, dirigé par le vice-premier ministre Erik Nielsen. Ce groupe a fait appel à des experts du secteur privé pour examiner plus de 1000 programmes à la recherche d’économies et de gains d’efficacité.

Le rapport de 1986 prévoyait des réductions allant jusqu’à 8 G$. En fin de compte, environ 500 M$ d’économies ont été comptabilisés.

Both men are smiling, standing side by side. Mulroney has a thumb up. He’s in a suit. Nielsen is in a white shirt with sleeves rolled up.
Le 15 juin 1983, Brian Mulroney (à droite), alors qu’il était chef du Parti progressiste-conservateur, en compagnie d’Erik Nielsen lors d’une réunion du caucus du parti à Ottawa. (LA PRESSE CANADIENNE/Chris Schwarz)

Son deuxième mandat a été marqué par la mise en place de PS 2000, une réforme très médiatisée de la fonction publique que beaucoup considèrent comme décevante. Elle visait à améliorer la gestion des fonctionnaires. Elle se distinguait des réformes précédentes par le fait qu’il s’agissait d’un examen interne, dirigé par M. Tellier, et qu’elle mettait fortement l’accent sur la prestation de services.

Dix groupes de travail se sont penchés sur des enjeux qui turlupinent encore aujourd’hui les fonctionnaires : un système de ressources humaines obsolète, des règles et des échelons bureaucratiques excessifs, et une aversion pour le risque.

PS 2000 a dû faire face à la réaction des employés dans un contexte de relations de travail déjà hostiles, après des années de réductions et de gel des salaires qui ont culminé avec une grève en 1991, la plus importante de l’histoire du Canada à l’époque. Le moment n’aurait pas pu être plus mal choisi (juste après la grève), alors que les fonctionnaires devaient encaisser une nouvelle réduction budgétaire.

Nombreux sont ceux qui affirment que M. Mulroney avait trop à faire et qu’il n’avait pas l’attention politique nécessaire pour réformer la fonction publique.

« Les questions les plus importantes à l’époque étaient le libre-échange, la TPS et la réforme constitutionnelle. Et M. Mulroney a compris mieux que la plupart des premiers ministres que… lorsque vous avez un capital politique, vous devez le dépenser au profit de vos priorités », a déclaré le sénateur Harder.

Mais Evert Lindquist, professeur d’administration publique à l’Université de Victoria, affirme que M. Mulroney était finalement prêt à passer à la vitesse supérieure en matière de réforme de la fonction publique. En 1992, il a laissé Robert de Cotret, alors secrétaire du Conseil du Trésor, constituer un petit groupe de travail chargé de réduire le nombre de ministres et de réorganiser le gouvernement. (Avec 40 ministres, le cabinet Mulroney était le plus grand de l’histoire.)

Le 12 juin 1988, Brian Mulroney et son épouse, Mila, applaudissent lors d’une réunion de campagne à Chicoutimi, encourageant Lucien Bouchard, qui était alors le candidat progressiste-conservateur dans Lac-Saint-Jean.(LA PRESSE CANADIENNE/ Jaques Boissinot)

La « bombe nucléaire » de la réorganisation

L’ensemble de l’exercice a été étroitement surveillé. Il a conduit à la réorganisation massive et tumultueuse des ministères en 1993, qu’un fonctionnaire a qualifiée de « bombe nucléaire » de la réorganisation. M. Lindquist rappelle que la réorganisation était la première étape d’un plan qui prévoyait également une révision des programmes.

M. Mulroney n’a jamais approuvé ce plan. Sa popularité étant en baisse, il démissionne et Kim Campbell, qui devient première ministre, reprend la réorganisation, réduisant le nombre de ministères de 35 à 23. Certains ministères fusionnent, d’autres sont supprimés et de nouveaux sont créés, notamment le Patrimoine canadien, la Santé et la Sécurité publique.

Mme Bourgon estime que la fonction publique avait tiré de précieuses leçons en matière de gestion financière pendant les années Mulroney, qui ont servi de base à l’examen des programmes par les libéraux, notamment le fait que les coupes généralisées ne fonctionnent pas.

De telles coupures peuvent avoir des effets pervers, note-t-elle, notamment en démoralisant les travailleurs, en diminuant la qualité des services et en érodant la confiance du public.

Mais la principale leçon à retenir est que les grands changements nécessitent un leadership politique et qu’il incombe aux élus de décider du rôle du gouvernement et des programmes qu’il propose.

« Nous avons appris que si l’on veut faire face à un déficit important, on ne peut pas s’en sortir en procédant à 1000 coupes. Il n’y a pas d’autre solution que de faire des choix. C’est une leçon importante », souligne Mme Bourgon.

« Il s’agit donc d’un exercice politique, poursuit-elle. Et il nous a fallu deux mandats et demi, à nous, les fonctionnaires, pour le comprendre. »

Le Québec a besoin de solutions à ses défis financiers à long termeTEST

La semaine dernière, le budget du Québec a fait les manchettes en raison du déficit projeté de 11 G$ en 2024-2025.

En excluant les recettes des revenus provenant du Fonds des générations et certains revenus dédiés – projetés à 2,2 G$ en 2024-2025 – ainsi qu’une provision pour éventualités de 1,5 G$, on peut comparer le déficit québécois avec celui des autres provinces. Suivant ce calcul, soit la différence entre les revenus et les dépenses, ce déficit est de 7,3 G$ ou 1,2 % du PIB. Plusieurs auront noté que d’autres provinces et pays de l’OCDE ont des déficits similaires, sinon plus élevés en proportion du PIB.

Est-ce le retour des déficits structurels au Québec, après plus de 20 ans de discipline budgétaire assez serrée, qui a ramené le poids de la dette nette de 50,9 % du PIB en 2012-2013 à 39 % en 2023-2024 ? Si c’est le cas, que compte faire la province dans la prochaine décennie ? Plusieurs options sont sur la table et le Québec, comme d’autres provinces, devra faire des choix rapidement.

Les déficits conjoncturels et structurels

C’est la hauteur du déficit, par rapport aux projections d’il y a quelques mois, qui en a surpris plusieurs. Des facteurs ponctuels, incluant des négociations salariales plus coûteuses que prévu et une sécheresse qui plombe les revenus d’exportation d’Hydro-Québec, sont en partie responsables de cet écart. Largement guidé par des besoins grandissants, Québec a aussi rehaussé les dépenses en santé et en éducation de 2 G$.

Voyons ce que dit le cadre financier présenté au budget sur les cinq prochaines années et bien sûr au-delà de cette période.

Un déficit conjoncturel ne pose pas vraiment de risque de soutenabilité à long terme. Il est généralement englouti tôt ou tard par la croissance du dénominateur du ratio dette-PIB, une mesure assez fiable du niveau d’endettement par rapport à la capacité de l’État de le rembourser.

L’époque où on croyait qu’un déficit structurel permanent était soutenable parce que le taux d’intérêt sur la dette serait inférieur à la croissance économique semble maintenant révolue. Même si le coût fiscal de la dette demeure bas en raison d’un faible différentiel entre le taux d’intérêt sur la dette et la croissance économique, les risques associés à des déficits structurels sont importants du point de vue de la soutenabilité budgétaire.

Après les années 2010, qui ont poussé plusieurs provinces, dont le Québec, à réduire la pression de la dette sur leurs finances publiques, nous entrons maintenant dans une phase où le vent de dos provenant de la croissance économique est tombé. C’est plutôt un vent de face issu des besoins liés au vieillissement, en particulier en santé, qui se lève. Naviguer un voilier dans de telles conditions demande beaucoup de doigté et des décisions difficiles afin d’arriver à destination.

Budget du Québec : faut-il se calmer ou s’alarmer ?

Gare aux projections optimistes de retour à l’équilibre

Traumatisé par des niveaux d’endettement sans précédent, le Québec s’est doté de lois budgétaires et d’un certain consensus politique sur l’objectif de réduire le poids de la dette. Cet objectif est toujours inscrit à la nouvelle mouture de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations malgré un contexte financier plus difficile. Le gouvernement souhaite ramener le poids de la dette à 30 % du PIB en 2037-2038 et signale son intention dans le budget de maintenir le cap sur cet objectif.

Dans ce contexte, le cadre financier présenté au dernier budget laisse entendre qu’un retour à l’équilibre budgétaire est possible. Cela implique de freiner les dépenses de portefeuille de manière considérable sur l’horizon considéré, en les limitant à 2 % en 2026-2027, à 2,3 % en 2028-2029 et à 2,6 % en 2028-2029. En dollars constants (réels), cela équivaut à une hausse pratiquement nulle des dépenses alors que les besoins, en particulier en santé et en soutien à l’autonomie (mais aussi en infrastructures), seront en grande croissance à la fin de la décennie.

Depuis 2015, le Québec n’a que rarement freiné ses dépenses de la sorte. La figure 1 montre les projections des différents cadres financiers depuis le budget de 2015-2016. Les réalisations ont toujours été bien supérieures aux projections. Bien sûr, la pandémie n’était pas prévisible et on ne pourra blâmer les gouvernements de ne pas l’avoir vue venir. Mais cette habitude va bien au-delà de cette seule période ; elle est structurelle.

Le graphique met aussi en lumière que les dépenses pandémiques, qui devaient être conjoncturelles, se sont avérées permanentes. Voilà un élément important à garder en tête quand viendra le temps de considérer les options.

Si on exclut les années fiscales 2021-2022 et 2022-2023 à titre d’années pandémiques, la croissance annuelle moyenne des dépenses de portefeuille a été de 4,6 % sur cette période. En incluant ces deux années fiscales, la croissance annuelle moyenne des dépenses a été de 6,1 %. Ces cadres financiers ont tous, sauf une ou deux exceptions, prévu une décélération de la croissance des dépenses de portefeuille qui ne s’est jamais matérialisée. Il y a fort à parier que la pression sur le portefeuille de la santé n’ira qu’en augmentant. Par ailleurs, la croissance du PIB potentiel sera vraisemblablement faible sur les dix prochaines années.

En somme, nous voyons émerger un déficit structurel important durant les prochaines années, allant bien au-delà du simple « écart à résorber » déjà défini. D’où l’importance de bien le mesurer dans la prochaine année pour un débat éclairé.

Des pistes de solution

Du point de vue de la soutenabilité budgétaire, le point de départ du Québec est favorable. La province a une certaine marge de manœuvre et une latitude en termes de capacité d’emprunt qu’elle n’avait pas en 2012 lorsque le poids de la dette nette était de plus de 50 % du PIB. Cela ne veut pas dire qu’elle peut faire n’importe quoi. Des options claires doivent être présentées. En voici quelques-unes :

Option no 1 : Garder le cap sur la cible de dette de 2037-2038. Il n’y a pas de magie : cela demande de réduire la croissance des dépenses, la réduction des autres crédits d’impôt ou d’augmenter les recettes. Encore une fois, la croissance économique est si faible et les coûts d’emprunt tellement plus élevés qu’auparavant qu’on ne peut miser sur un ratio de dette-PIB qui fond comme neige au soleil malgré des déficits.

Dans une province qui taxe beaucoup les contribuables et les entreprises, la marge de manœuvre récurrente du côté des recettes est très limitée. Freiner les dépenses demandera un effort social considérable, alors que les besoins explosent en santé – ce portefeuille compte déjà pour 43 % du budget – et que les dépenses en éducation sont difficilement comprimables. Par exemple, si la santé croît à 4,5 %, soit le rythme moyen observé, mais que la cible de croissance des dépenses totales est de 2,5 %, on impose une croissance annuelle de 1,2 % des autres dépenses, incluant l’éducation.

La tentation sera grande de miser sur des gains de productivité ou d’optimisation, mais ces solutions sont bien plus simples à proposer qu’à réaliser. Les dépenses pandémiques sont une avenue intéressante, car celles-ci semblent avoir été pérennisées. Un grand ménage est nécessaire.

Option no 2 : Retarder la diminution du poids de la dette. Le Québec pourrait aussi faire le choix conscient, sans abandonner son objectif de maintenir la soutenabilité budgétaire, de prendre une pause et de viser un ratio dette-PIB stable pendant le plus fort de la transition démographique. Cette option est aussi soutenable que la première option et ne peut donc être écartée d’emblée.

L’optimalité d’une trajectoire de finances publiques dépend des bénéfices marginaux des dépenses financées par des déficits (par exemple en répondant à des besoins transitoires importants) et du coût fiscal de ces dépenses, y compris le coût économique de la collecte de fonds grâce aux impôts. Cette option ne représente donc pas un chèque en blanc pour faire des dépenses improductives.

Accompagnée d’une évaluation rigoureuse des besoins et des sommes consacrées à la transition démographique, cette option pourrait représenter un défi pour un gouvernement qui veut changer de cap par rapport au quasi-consensus des 20 dernières années au Québec.

Il y a d’autres possibilités. Un gouvernement qui souhaite laisser croître les dépenses en santé et d’autres domaines pour répondre aux besoins de sa population pourrait sérieusement envisager d’augmenter les impôts en fonction de ses ambitions et de ses convictions. Cela représenterait un défi de communication, mais les contribuables seraient en mesure de comprendre l’enjeu qui se présente.

Un gouvernement ne perd pas nécessairement le contrôle de la gestion des finances publiques s’il présente un plan clair et cohérent qui minimise les risques à la soutenabilité, mais qui prévoit des dépenses substantielles afin de subvenir à des défis sociétaux importants. Un cadre financier doit mettre en œuvre un projet politique et économique de la manière la plus crédible possible.

Une nouvelle ère de défis financiers pour tous les gouvernements au Canada ?

En attendant que le vent tourne de nouveau, il est important que le gouvernement soit transparent avec la population. Or, le plan actuel prévu au cadre financier laisse plusieurs questions en suspens. Quelque chose devra se produire : un frein sur les dépenses, une hausse des revenus, ou une acceptation sociale que des déficits sont à prévoir dans un avenir prévisible.

Encore là, un débat public sain sur ce défi financier et ses impacts devrait avoir lieu, au Québec comme dans plusieurs provinces. Le gouvernement fédéral devra un jour y prêter attention à son tour.

On ne peut regarder la situation financière du gouvernement fédéral sans considérer celle des provinces. Leur capacité d’emprunter et de répondre à ces défis dépend en grande partie de la coopération du gouvernement fédéral, dans le respect des champs de compétences. D’ici le budget 2025 et la présentation d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire – prescrit par les lois actuelles –, il faudra que cette discussion ait lieu, au Québec comme ailleurs.

Le Canada est déjà en retard en matière de lois sur les hypertrucagesTEST

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Les technologies d’hypertrucage de plus en plus sophistiquées obligent les législateurs du monde entier à renforcer les cadres juridiques afin de protéger la vie privée et la sécurité de leurs citoyens.

Les récents incidents liés aux hypertrucages – qui vont de la diffusion d’images sexuellement explicites censées mettre en scène Taylor Swift à la désinformation chinoise lors de l’élection présidentielle à Taïwan – montrent la nature vaste et complexe du problème de ces contenus créés par l’intelligence artificielle (IA) ou propulsés par elle.

Le problème s’aggrave à mesure que la technologie nécessaire à la production des hypertrucages devient plus accessible et plus facile à utiliser.

Certains gouvernements ont déjà pris des mesures pour encadrer leur utilisation. Malheureusement, le Canada semble avoir un ou deux pas de retard. Le pays a besoin dès aujourd’hui d’une nouvelle législation et d’autres mesures pour protéger ses citoyens et renforcer la résilience démocratique.

En comparaison, le Royaume-Uni a criminalisé le partage des hypertrucages pornographiques dans le cadre de la Online Safety Act de l’année dernière, tandis que la législation sur les services numériques de la Commission européenne a également abordé la question des hypertrucages pornographiques non consensuels.

En janvier, la No AI FRAUD Act a été présentée à la Chambre des représentants des États-Unis dans l’espoir d’établir un cadre fédéral d’action dans le sillage des hypertrucages sexuellement explicites de Taylor Swift.

Au Canada, huit provinces ont adopté une loi sur le partage d’images intimes non consensuelles – la Nouvelle-Écosse, l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard –, mais seulement la moitié d’entre elles visent les images modifiées.

La Intimate Images Protection Act de la Colombie-Britannique donne aux procureurs le pouvoir de poursuivre les responsables de la diffusion en ligne de fausses images intimes non consensuelles. Cependant, elle ne s’adresse pas à la personne responsable de leur création ni aux grandes plateformes technologiques qui ont contribué à leur diffusion.

La facilité avec laquelle la technologie permet aujourd’hui de créer des hypertrucages est également une grave menace en termes d’influence étrangère malveillante, en particulier les campagnes de diffamation contre les candidats politiques ou les militants pour la démocratie et les droits de l’homme, notamment les femmes et les minorités raciales et sexuelles.

Les leçons à tirer de Taïwan

La tentative d’ingérence de la Chine dans les récentes élections présidentielles et législatives de Taïwan en est l’exemple type.

Des vidéos hypertruquées de Lai Ching-te, candidat victorieux du Parti démocrate progressiste à la présidence, ont été diffusées en ligne, le présentant faussement comme soutenant la coalition entre le Kuomintang et le Parti du peuple taïwanais, et diffusant un enregistrement où il critique prétendument son propre parti.

Ces hypertrucages chinois ont déformé ses déclarations originales dans le but d’influencer l’opinion publique et de saper le processus démocratique.

La Chine a tenté d’affaiblir Lai parce qu’il est favorable au maintien du statu quo actuel en ce qui concerne le statut politique de Taïwan, faisant valoir qu’elle est déjà indépendante, ainsi qu’au renforcement des relations avec les États-Unis et d’autres démocraties libérales.

Bien que les campagnes de désinformation chinoises n’ont pas eu d’impact significatif sur le résultat de l’élection, cette tentative a montré comment les hypertrucages pouvaient avoir un impact potentiel plus important sur les résultats d’élections dans d’autres pays, en particulier si le vote y est serré.

À mesure que la technologie se répand, ce problème ne peut que s’aggraver et les gens ciblés par l’hypertrucage disposent de peu de moyens pour lutter contre leur impact.

Peu de gens se mobilisent comme les admirateurs de Taylor Swift

Dans le cas de Taylor Swift, ses admirateurs ont eu recours au « hashjacking » (inonder le réseau de messages avec le mot-clic de la publication problématique pour l’enterrer dans le fil d’actualité) et à des plaintes auprès de X, anciennement Twitter, pour empêcher d’autres abus après la publication initiale.

Le problème est que peu de politiciens et de défenseurs des droits humains ou de la démocratie visés par des hypertrucages disposent d’un nombre aussi important de sympathisants qui se mobiliseraient d’eux-mêmes pour les protéger face à la diffamation.

En outre, il est de plus en plus facile de créer des hypertrucages réalistes toujours plus surprenants.

À la fin du mois de janvier, on estime qu’un faux appel téléphonique du président des États-Unis, Joe Biden, exhortant les électeurs démocrates à ne pas participer aux élections primaires dans le New Hampshire, a été fait entre 5000 et 25 000 fois. L’identifiant de l’appelant laissait faussement croire qu’il s’agissait de Kathy Sullivan, une ancienne présidente du parti démocrate de l’État qui a participé à la gestion d’un groupe politique pro-Biden.

Paul Carpenter, qui dit avoir été engagé pour réaliser l’appel hypertruqué, a affirmé que cela « a pris moins de 20 minutes et n’a coûté qu’un dollar ». Il a été payé 150 dollars pour le réaliser.

Le faible coût, la facilité de production et l’absence générale de conséquences juridiques constituent une excellente incitation pour quiconque possède les compétences nécessaires pour faire la même chose et a une cible en tête.

Par conséquent, le gouvernement fédéral doit élaborer une législation qui accroît la transparence et criminalise l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins de désinformation, en particulier le partage d’hypertrucages nuisibles.

La pornographie hypertruquée a de véritables conséquences sur les femmes

Le temps pour une loi sur l’intelligence artificielle est arrivé

Il existe déjà des précédents dans le monde en ce qui concerne la manière dont les lois et les règlements pourraient prendre forme. Outre la No AI FRAUD Act, on peut trouver un autre modèle pour établir un cadre fédéral contre les abus de l’IA auprès de la U.S. Federal Communications Commission qui a rendu illégal pour les auteurs d’appels téléphoniques non sollicités d’utiliser des clones vocaux générés par IA.

En outre, les législateurs devraient également examiner les possibilités d’une nouvelle législation et d’une obligation de divulgation volontaire de la part des grandes entreprises technologiques et des plateformes de médias sociaux.

Pour lutter contre l’ingérence électorale, une législation spécifique interdisant l’utilisation des hypertrucages dans les opérations d’influence serait également nécessaire. Par exemple, la Election and Recall Act taïwanaise a ajouté des clauses spécifiques visant à empêcher l’utilisation de faux audios et vidéos.

Si une législation canadienne est nécessaire dans les plus brefs délais, elle ne réglera pas à elle seule ce problème. Une approche globale de la société est nécessaire.

Récemment, j’ai également proposé 10 recommandations politiques concrètes que le Canada pourrait tirer du réseau décentralisé de Taïwan pour renforcer sa résilience démocratique.

Le Canada est déjà loin derrière de nombreuses autres démocraties aux idéologies similaires. Il est temps d’abandonner les beaux discours et d’adopter une politique plus ferme.

La force des identités partisanesTEST

Le « Super mardi » du 5 mars dernier a permis à Donald Trump de pousser vers la sortie sa seule opposante à l’investiture républicaine, Nikki Haley. En se retirant de la course, celle-ci a laissé le champ libre à une nouvelle confrontation Biden-Trump en novembre prochain. Mais les jeux sont loin d’être faits : une partie des républicains partage les doutes de Haley sur l’acceptabilité de Trump, et de nombreux démocrates s’inquiètent de l’âge de Biden.

Au lendemain du « Super mardi », le Washington Post présentait de brèves entrevues avec des partisans de Haley pour illustrer la gamme des réactions face à son retrait. Connie Schlundt, par exemple, de Eden Prairie au Minnesota, disait qu’elle était républicaine à 100 % et que son ralliement à Trump ne faisait aucun doute. Cindy Siler de Smith Mountain Lake, en Virginie, se préparait plutôt à voter pour Biden, comme elle l’avait d’ailleurs fait en 2020. Plus étonnant était le témoignage de Micki Stout, de Richmond en Virginie, qui jugeait Trump « irrationnel », « malhonnête » et « franchement inquiétant », mais s’estimait, sans l’expliquer, incapable de voter pour Biden. « Comme en 2016 et 2020, concluait-elle, je vais devoir voter pour Trump. »

Pour rendre compte de ces réactions variées, les politologues parlent depuis longtemps de l’importance des identités partisanes, c’est-à-dire de l’attachement durable à un parti auquel une personne peut s’identifier. Dans l’Étude électorale canadienne, par exemple, on demande aux répondants si, en politique fédérale, ils se considèrent habituellement comme étant libéraux, conservateurs ou autre, et à quel point ils ressentent fortement, ou non, cet attachement partisan.

Établies tôt dans la vie et semblables à nos appartenances à divers groupes sociaux, les identités partisanes résistent aux changements de contexte et de préférences sur des enjeux spécifiques et elles influencent fortement le vote. Elles donnent naturellement de la stabilité aux élections. On sait comment vont voter les républicaines pures et dures comme Connie Schlundt, même quand leur candidate préférée est défaite. On se doute aussi de ce que fera Cindy Siler, qui a déjà voté pour Biden en 2020 et qui n’a manifestement pas la fibre républicaine très prononcée.

Le cas de Micki Stout apparaît plus intrigant. Voilà une électrice qui considère Trump comme malhonnête et dangereux, mais qui vote tout de même pour lui élection après élection. On peut penser qu’elle est aussi une républicaine invétérée, mais il y a peut-être d’autres facteurs qui expliquent sa décision. Sans pouvoir cibler une seule raison, cette électrice semble littéralement incapable d’envisager un vote pour le Parti démocrate.

Pour rendre compte d’un tel blocage, certains politologues parlent depuis quelques années d’un autre type d’identité partisane, qu’ils qualifient de négative. Souvent mesurées par les réponses à une question demandant aux électeurs de désigner les partis pour lesquels ils ne voteraient jamais, ces convictions complètent en quelque sorte les identités positives. Mme Stout, par exemple, explique qu’elle ne pourrait jamais voter démocrate, même s’il en allait de la survie de la démocratie américaine.

Deux mesures aux conséquences distinctes

Dans un livre qui vient de paraître, When Politics Becomes Personal: The Effect of Partisan Identity on Anti-Democratic Behavior, la politologue à l’Université de Géorgie, Alexa Bankert, montre comment les identités partisanes négatives ne sont pas simplement l’autre versant des identités positives. On peut très bien, comme Cindy Siler, s’identifier comme républicaine, mais appuyer à l’occasion le parti opposé. Comme on pourrait être très anti-républicain sans pour autant s’identifier comme démocrate.

Les identités partisanes positives et négatives n’auraient pas non plus les mêmes conséquences. Selon Bankert, les identités positives sont bénéfiques pour la démocratie en encourageant la participation électorale et l’engagement citoyen, alors que les identités négatives engendrent de l’animosité, des conflits et même de la violence. L’idéal dans cette perspective serait que les élites politiques tiennent des discours rassembleurs afin de diminuer la propension des électeurs à entretenir des sentiments négatifs envers leurs adversaires.

Les identités partisanes négatives, explique Bankert, stimulent le mépris, voire la haine de l’autre, et encouragent le ressentiment et l’hostilité. Pourtant, il n’y a rien de foncièrement mauvais à refuser fermement de soutenir un parti. Personnellement, il y a plein de partis pour lesquels je ne voterais jamais. Le Parti républicain, le Likoud, les Démocrates de Suède et le Parti conservateur du Canada figureraient certainement sur ma liste noire. En fait, j’aurais plus de facilité à identifier mes choix négatifs que mes options positives. Je ne crois pas, cependant, que ceci fait de moi un citoyen trempant dans le ressentiment et l’hostilité.

Pour comprendre comment Bankert arrive à de telles conclusions, il faut porter attention à la façon dont elle mesure les identités partisanes.

Plutôt que de reprendre les questions mentionnées plus haut sur les partis qui sont habituellement les nôtres ou pour lesquels on ne voterait jamais, Bankert mesure une palette d’émotions pour développer un indice de présence ou d’absence d’affection envers un parti. Pour jauger les identités négatives, par exemple, elle demande aux répondants s’ils sont d’accord pour dire que « si ce parti fait bien dans les sondages, ma journée est ruinée » ou encore que « si les gens critiquent ce parti, je me sens bien ».

C’est un peu fort de café. Je ne voterais jamais pour les conservateurs, mais mon humeur du jour ne dépend pas de leur succès dans les sondages ou de ce qu’en disent les autres. Avec de telles questions, l’autrice fait des affiliations partisanes une question très émotive. Le résultat est une mesure plus « affective » que « cognitive » qui accentue probablement le côté conflictuel des identités partisanes négatives.

Des attitudes raisonnables

Dans une étude que j’ai réalisée il y a quelques années avec mon collègue Mike Medeiros, nous montrions le caractère somme toute raisonnable des identités négatives mesurées avec les questions classiques sur l’appui aux partis.

Dans ce portrait, les identités négatives reflétaient moins des émotions peu avouables que la force des identités positives et des idéologies. Les plus susceptibles d’avoir une opinion négative d’un parti étaient ceux qui s’identifiaient plus fortement au parti adverse ainsi que ceux qui se situaient à l’opposé de ce parti sur l’échelle droite-gauche. Dit autrement, l’identité partisane était moins une question d’affectivité que d’affinité, une manière pour chaque citoyen de maintenir une certaine cohérence dans ses choix.

L’ouvrage de Bankert contribue au renouvellement de la recherche sur les identités partisanes positives et négatives. Mais son approche plus affective que cognitive jette un regard trop sombre sur les identités partisanes négatives, qui ne sont, après tout, rien de plus qu’une façon pour les électeurs de se positionner dans un paysage politique offrant souvent des choix limités.

Entre Trump et Biden, par exemple, les électeurs se retrouvent avec des options moins que parfaites et doivent jauger le négatif autant que le positif. C’est souvent le moins pire qui l’emporte.

Où sont les bilans de la réponse gouvernementale à la COVID-19 ?TEST

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La COVID-19 circule toujours bel et bien cet hiver et elle participe au cocktail de maladies respiratoires qui remplissent les salles d’urgence partout au pays. En dépit de ceci, les gouvernements ont tourné leur attention vers la gestion des conséquences postpandémiques.

Maintenant que le traumatisme et les bouleversements liés aux restrictions sanitaires de la pandémie sont derrière nous, les décideurs consacrent désormais l’essentiel de leur attention à la crise de l’abordabilité et à des réseaux de la santé qui craquent de partout.

Mais où sont leurs bilans sur les enseignements tirés de la pandémie ?

Des universitaires et des représentants de la société civile ont publié des études et des rapports sur la gestion gouvernementale de la pandémie, dont une série d’articles publiés par le BMJ (anciennement connu comme le British Medical Journal) sur l’obligation de rendre compte de la réponse du Canada à la COVID-19.

Le Centre d’excellence sur la fédération canadienne de l’IRPP a publié son propre rapport, en partenariat avec l’Institut sur la gouvernance, intitulé Institutions résilientes : Apprendre de la pandémie de COVID-19 au Canada.

Des rapports comme le nôtre peuvent mettre la table à la réflexion, mais ils ne remplacent pas ceux réalisés par les gouvernements eux-mêmes et qui manquent encore grandement à l’appel. Nous ne disposons ni des ressources ni des accès nécessaires pour réaliser le type d’étude que notre pays mérite sur les leçons à tirer de la crise sanitaire.

Nos gouvernements doivent comprendre comment ils peuvent se coordonner pour mieux répondre aux crises futures.

Peu de rapports internes ont été rendus publics

Pourquoi cette absence de rapports ? Peut-être parce que les gouvernements n’ont tout simplement pas encore pris le temps de les produire.

Le gouvernement fédéral a récemment chargé un groupe d’experts de rédiger un rapport qui devrait paraître en mars sur l’approche fédérale en matière de conseils scientifiques et de coordination de la recherche en cas de pandémie

En novembre, l’Alberta a publié un rapport sur l’examen de la législation ayant une incidence sur sa réponse à la COVID-19. Toutefois, de nombreux autres gouvernements n’ont pas encore annoncé leur intention de procéder à un quelconque réexamen.

Dans le cadre de nos travaux sur la résilience de nos institutions, nous avons analysé les rapports sur la COVID-19 publiés ou commandés par les gouvernements et accessibles au public.

Nous nous sommes particulièrement intéressés aux rapports publiés par les ministères, compte tenu de leur perspective interne sur ce qui s’est passé pendant la pandémie. Nous avons contacté les greffiers provinciaux et territoriaux pour vérifier si de tels rapports avaient été publiés. Nous avons été surpris de constater que six provinces n’ont publié aucun bilan.

Même s’il s’agit d’une des crises de politique publique les plus dévastatrices de ce siècle, la moitié des gouvernements du pays n’ont publié aucune réflexion interne (voir figure 1). La barre est très basse, et pourtant, près de la moitié des provinces et des territoires du pays ne l’ont pas franchie.

Sur les 61 rapports que nous avons identifiés, 38 des rapports publics portant sur la COVID-19 ont été rédigés par des vérificateurs généraux. Ceux-ci jouent un rôle important en matière de responsabilité gouvernementale, mais ils sont limités dans leur mandat, qui consiste à réaliser des audits de performance et financiers. Ils ne peuvent pas, par exemple, se demander si une décision devait être prise. Ils peuvent évaluer si un programme a atteint les objectifs de performance ou respecté le budget, mais pas si un gouvernement devait ou non mettre un programme en œuvre en premier lieu.

Cinq autres rapports ont été rédigés par des groupes d’experts externes mandatés par les gouvernements. Les groupes d’experts peuvent être utiles en fournissant une évaluation indépendante des performances gouvernementales. Bien entendu, les mérites de ce type de rapports dépendent du mandat, de la composition de ces groupes d’experts et de l’expérience qu’ils ont des complexités du service public.

Les rapports internes des gouvernements présentent aussi des avantages. Les gouvernements sont les mieux placés pour comprendre les processus et les structures qui ont permis de gérer l’un des casse-tête politiques les plus difficiles de ce siècle. Personne ne comprend mieux la réponse gouvernementale à la pandémie que les gouvernements eux-mêmes.

Malheureusement, aucun des 61 rapports recensés n’est une étude comparative pancanadienne des leçons tirées de la pandémie. Aucune n’a été tentée ni même annoncée. Une étude pancanadienne est une tâche intrinsèquement difficile en raison de la contribution nécessaire de chaque ordre de gouvernement. Voilà pourquoi une telle initiative devrait être initiée par le gouvernement fédéral.

Une coordination qui doit être améliorée

Une meilleure coordination entre les différentes instances est nécessaire pour éviter de causer des dommages, en particulier aux communautés mal desservies.

En juin dernier, nous avons organisé la conférence « Institutions résilientes » où de hauts fonctionnaires, des universitaires et des représentants de la société civile se sont réunis pour discuter des enseignements tirés de la pandémie. Au cours de cette conférence, un grand nombre des 35 panélistes ont parlé de la confusion entourant les différentes compétences et du fait que certaines responsabilités traitées comme des « patates chaudes » ont conduit à de mauvais résultats.

L’un des exemples les plus flagrants est la fermeture des frontières provinciales, qui a empĂŞchĂ© les Ă©lèves de la Première Nation Mi’gmaq de Listuguj de se rendre Ă  l’école Ă©tant donnĂ© que la communautĂ© se trouve au QuĂ©bec, mais l’école secondaire au Nouveau-Brunswick.

La réponse de l’Ontario à la pandémie, vue de l’intérieur

Pandémies, Covid-19 et facteurs sociétaux

Gestion de la pandémie : les Québécois ont droit à une seconde opinion

La démocratie canadienne au temps de la COVID-19

Un autre exemple est celui des municipalités qui se sont retrouvées avec peu de ressources ou de coordination. Kennedy Stewart, ancien maire de Vancouver, a déploré le fait qu’il n’ait pu obtenir qu’une seule brève conversation au téléphone avec John Horgan, alors premier ministre de la Colombie-Britannique, pendant toute la durée de la pandémie.

Sans examen permettant de comprendre les structures, les processus et les relations nécessaires pour mieux se préparer à des catastrophes transnationales, le Canada se trouve dans une position vulnérable. Les virus et les catastrophes naturelles ne connaissent pas de frontières : les gouvernements vont donc devoir trouver un moyen de travailler ensemble.

Valider la robustesse de la fédération

En outre, les gouvernements doivent examiner la solidité de la fédération canadienne, ainsi que la souplesse et la rapidité de ses réponses. Nos institutions ont en grande partie bien fonctionné pour mettre en œuvre la stratégie gouvernementale face à la COVID-19, mais le fédéralisme exécutif, dans lequel les premiers ministres fédéral et provinciaux dirigent une grande partie de la réponse institutionnelle, a été le fondement de l’approche gouvernementale.

Les différents gouvernements doivent trouver un moyen de travailler ensemble sans dépendre des réunions hebdomadaires des premiers ministres, une stratégie qui n’est pas viable à moyen ou à long terme. Dans un premier temps, il importe d’identifier les processus et les structures qui ont le mieux fonctionné.

Pour ce faire, on pourrait procéder à un examen opérationnel approfondi des comités et des groupes de travail qui ont participé à la réponse fédérale, provinciale et territoriale à la pandémie. Cela pourrait se faire dans le cadre d’une étude pancanadienne sur les enseignements tirés de la pandémie.

Éviter de renouer avec de vieilles habitudes

Première grande crise de la décennie, la pandémie a mis à l’épreuve la collaboration entre les différentes instances politiques. Les gouvernements doivent se familiariser avec des moyens de communication qui fonctionnent. Ils doivent tirer parti de l’échange d’informations qui a eu lieu et créer des opportunités pour que ces relations se poursuivent après la pandémie.

Lors de notre conférence, un intervenant a fait remarquer qu’après la fin de la pandémie, ses collègues d’autres provinces ont cessé de lui tendre la main, de même que ceux de son bureau. Ce n’est là qu’un exemple du « retour en arrière » que les gouvernements devraient éviter. La fédération se porte mieux lorsque les gouvernements se parlent.

Le fédéralisme a mal servi les villes pendant la pandémie

Le test de résistance de la gouvernance canadienne

On a demandé aux Canadiens d’accepter des restrictions de grande envergure, comme la fermeture des frontières et les couvre-feux, souvent sans explication et avec un préavis très court. Ils doivent avoir l’assurance que les gouvernements reconnaissent ces coûts et qu’ils s’efforcent de faire en sorte que ces mesures soient proportionnées et limitées à l’avenir. Le comportement des gouvernements après la pandémie donnera le ton pour les crises futures.

Les gouvernements doivent apprendre à tirer les leçons de leurs erreurs. La pandémie est une occasion unique de le faire. Le rapport Institutions résilientes est un début, mais il appartient aux gouvernements de s’appuyer sur le travail qu’il contient pour entamer la démarche grandement nécessaire qui ne saurait émaner que d’eux.

Les multinationales s’invitent dans les cliniques vétérinairesTEST

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Nos animaux de compagnie sont précieux. Naturellement, nous voulons en prendre soin en ayant recours à des soins vétérinaires de qualité. Ce souhait semble toutefois de plus en plus mis à mal par le coût des soins.

La hausse du coût des soins aux animaux a plusieurs causes. Une partie s’explique par le système professionnel qui encadre les vétérinaires.

La profession vétérinaire, est encadrée par plusieurs lois et règlements dont le Code des professions, une loi datant déjà de plus de cinquante ans. Elle a créé le système professionnel québécois et défini le rôle des ordres en se fondant largement sur le principe de l’autonomie des professions.

À l’exception de la surveillance de l’exercice illégal d’une profession, le pouvoir des ordres professionnels s’exerce exclusivement sur les membres, entre autres en les rendant responsables de préserver leur autonomie et de respecter leur code de déontologie.

Alors que les structures à l’intérieur desquelles les vétérinaires travaillent sont de plus en plus lourdes et comprennent souvent plusieurs paliers, une question se pose : notre système professionnel protège-t-il encore le public? On parle beaucoup de protection du public dans la mission des ordres professionnels, mais on devrait aussi attirer l’attention sur leur rôle sociétal et sur l’arrimage entre l’offre de services des professionnels et les besoins du public — dans le cas de la médecine vétérinaire, les animaux (patients) et leurs propriétaires (clients).

L’emprise des multinationales

Cet arrimage ne se fait pas à forces égales quand l’offre de services est en grande partie déterminée par de grandes corporations, ce qui est très loin de ce qu’on appelle dans ma profession la relation vétérinaire-client-patient (RVCP). Plus les centres décisionnels sont près du triangle de la RVCP, plus les soins sont adaptés au patient et à sa famille.

En effet, des multinationales sont maintenant propriétaires d’un pourcentage significatif (26 %) de cliniques vétérinaires : environ 40 % des médecins vétérinaires du Québec y travailleraient. Nous semblons suivre la mouvance américaine avec quelques années de retard.

Ce phénomène n’est pas propre au secteur vétérinaire. Récemment, on rapportait que des cliniques médicales du Québec (pour humains, comme on dit dans le milieu) sont la propriété d’entreprises d’autres domaines, une réalité aussi répandue dans d’autres professions s’exerçant en cabinet privé.

En principe, selon les règlements sur l’exercice en société (ou incorporation des professionnels), les cabinets des professionnels de la santé devraient être exclusivement la propriété et sous le contrôle de ces derniers. C’est aussi le cas pour les vétérinaires : le règlement relatif aux médecins vétérinaires exige que toutes les actions avec droit de vote d’une société d’exercice de la médecine vétérinaire soient détenues par des médecins vétérinaires. La motivation derrière cette exigence est la préservation de l’autonomie professionnelle.

Ce principe est malheureusement mis à mal parce que la réglementation est assez facilement contournable ou sujette à interprétation, surtout lorsqu’on parle de structures administratives à paliers multiples. Comme les multinationales qui possèdent des cliniques vétérinaires sont parfois aussi propriétaires de marques de nourriture ou de laboratoires d’analyse, cela peut encourager l’intégration de tels services à ceux offerts par la clinique.

Certains diront que les fonds provenant d’investisseurs non professionnels ont certains effets positifs sur les services, par exemple sur la disponibilité d’équipements spécialisés (scan, imagerie par résonance magnétique, etc.). C’est probablement vrai, et cela bénéficie à la minorité de cas qui nécessitent ce type de technologie, mais à quel coût pour l’ensemble des clients ?

Préserver l’indépendance des professionnels

Comme d’autres professionnels, des médecins vétérinaires exercent dans des OBNL (comme les refuges pour animaux), même si cette possibilité n’est pas mentionnée de façon explicite dans les règlements sur l’exercice en société des ordres concernés. En principe, cela ne semble pas contraire à l’intérêt public, mais cette possibilité devrait être énoncée clairement dans la réglementation. On devrait aussi s’assurer que l’indépendance des professionnels y soit protégée. De même, il serait avantageux d’établir des modalités de formation de coopératives de professionnels. (Il existe présentement des coopératives médicales, mais ce sont des coopératives d’usagers et non de professionnels).

On aura beau insister sur les obligations déontologiques des professionnels et leur attribuer la responsabilité de préserver leur autonomie, celle-ci est menacée par des contextes organisationnels. La disponibilité du personnel de soutien, du matériel de laboratoire et de médicaments spécifiques, de même que l’organisation du travail sont des pratiques de gestion qui affectent le type et la qualité des soins offerts. Certes, de nombreux médecins vétérinaires préfèrent leurs activités médicales à la gestion. Alors, trouvons des modes de gouvernance qui respectent leur autonomie en matière de soins tout en confiant des responsabilités de gestion à des tiers.

La commission Charbonneau a été un important déclencheur de remise en question du système professionnel. Elle avait recommandé que « les firmes de services professionnels liées au domaine de la construction soient assujetties au pouvoir d’encadrement des ordres professionnels dans leur secteur d’activités ». On peut penser qu’à l’instar du domaine de la construction, la population aurait avantage à ce que d’autres milieux professionnels soient assujettis à un meilleur encadrement.

Québec a entrepris une réforme du système professionnel, qui inclut une modernisation du Code des professions. Il sera essentiel de soutenir les professionnels dans la préservation de leur indépendance dans tous les types d’organisations (société par actions, société en nom collectif à responsabilité limitée, OBNL, coopérative, etc.) et de fournir aux ordres professionnels des outils modernes pour encadrer leurs membres devant une réalité qu’ils contrôlent de moins en moins.

En plus de se pencher sur les structures de gouvernance, il faudra aussi que les ordres se prononcent sur les modes de rémunération et que ceux-ci respectant les codes de déontologie. Malgré la bonne volonté individuelle, certains modes de facturation peuvent exercer une influence (même inconsciente) sur le jugement professionnel, comme la rémunération à la commission, qui se répand chez les vétérinaires employés de multinationales. Les sections « Indépendance et désintéressement » des codes de déontologie des médecins vétérinaires, des dentistes et des optométristes semblent pourtant s’y opposer.

La préservation de l’indépendance des médecins vétérinaires est un moyen important de protéger le public en ramenant les décisions près du centre du triangle vétérinaire-client-patient. Agissons pendant qu’il est encore temps.

Le projet de loi sur les préjudices en ligne est un pas dans la bonne direction pour protéger les internautes au CanadaTEST

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Après des années d’attente, le gouvernement fédéral a finalement introduit le projet de loi sur les préjudices en ligne. Alors que la politique en matière de cybersécurité avait fait la part belle à la sécurité des infrastructures, elle se penche enfin sur la sécurité numérique des personnes. Heureusement, les pires craintes, nées d’années de politique numérique mal pensée ne semblent pas s’être concrétisées.

Comme ce projet de loi est très complexe, son étude nécessitera une longue analyse et des débats démocratiques afin d’assurer un juste équilibre entre la protection contre les contenus préjudiciables en ligne et la protection de droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et la vie privée. Mais pour la première fois depuis longtemps, le gouvernement semble avoir visé juste en matière de numérique en proposant un cadre qui apparaît équilibré et qui répond aux craintes de précédentes propositions formulées en 2021.

Contrairement à ce qu’affirment certaines critiques, le projet de loi ne restreint pas inopportunément la liberté d’expression qui, doit-on le rappeler, n’a jamais été absolue.  Il renforce au contraire les mécanismes existants et les sanctions contre les contenus déjà prohibés au Canada, comme ceux liés au terrorisme et à l’extrémisme violent, l’incitation à la haine, la pornographie juvénile, l’intimidation des enfants ou les messages les incitant à se faire du mal, ainsi que la pornodivulgation et la revictimisation des survivants de crimes sexuels. Certaines modifications devront être discutées – car quelques sanctions proposées, comme l’emprisonnement à vie, ne semblent pas appropriées –, mais le projet de loi ne s’avance pas sur le terrain dangereux de réguler les discours qui seraient légaux, mais horribles, et qui auraient pu présenter des enjeux de liberté d’expression.

Le cœur du projet est ailleurs : on y retrouve trois obligations pour les opérateurs des grandes plateformes numériques et la création de nouvelles instances pour soutenir les victimes.

De nouvelles règles pour les opérateurs des plateformes numériques

Inspiré des recommandations d’experts et de l’approche européenne, le projet met l’accent sur le devoir d’agir de manière responsable, le devoir de rendre certains contenus inaccessibles et le devoir de protéger les enfants. De manière générale, les opérateurs devront minimiser le risque d’exposition à un contenu préjudiciable par leurs choix de conception et leurs mécanismes de modération de contenus.

Ces nouvelles obligations ne s’appliqueront qu’aux très grandes plateformes de réseaux sociaux et de partage de contenus. S’il faudra être vigilant à la définition des critères qui définiront lesquelles seront assujetties, il faut noter que le projet de loi ne s’applique pas aux services de messagerie privée, comme WhatsApp ou Signal, sauf dans le cas où les messages peuvent être diffusés de manière illimitée. Une telle approche permettra d’éviter certains écueils touchant la vie privée et la liberté d’expression tout en incitant les opérateurs à limiter les partages de certains messages sur leurs plateformes, qui deviennent souvent des véhicules de désinformation.

Le projet propose aussi la nomination d’une personne-ressource au sein des opérateurs de plateformes. Celle-ci devra connaître les procédures internes et pourra soutenir les victimes. Sur le modèle des meilleures pratiques en matière de vie privée, on aurait pu espérer la création de « délégués à la sécurité numérique », pouvant agir en cas de problème et influencer la politique de l’organisation avec des garanties de protection et d’indépendance, comme les « délégués à la protection des données ».

Surtout, il est regrettable que la loi n’exige pas que cette personne-ressource soit située au Canada. Une telle obligation permettrait de garantir, tant pour les opérateurs que pour le public, que cette personne soit en phase avec le contexte local particulier, les valeurs, les réalités linguistiques et les peuples autochtones.

De nouvelles instances pour soutenir les victimes

Suivant les recommandations des experts, le projet de loi repose sur la création de trois instances, à savoir une commission de la sécurité numérique, qui supervisera la mise en œuvre de la loi, un ombusdman de la sécurité numérique et un bureau de la sécurité numérique du Canada qui les soutiendra dans leurs efforts.

Composée de trois à cinq membres, la commission aura d’importants pouvoirs d’enquête, d’ordonnance et de sanction à l’encontre des opérateurs des plateformes. Le fait que le pouvoir de décision ne repose pas sur un seul commissaire, mais plutôt sur une commission, semble une excellente proposition qui devrait permettre, sous réserve de la composition de la commission, d’assurer un équilibre dans les décisions prises.

Contrairement au commissaire à la vie privée du projet de loi C-27, cette commission ne sera pas soumise à un nouveau tribunal administratif, qui ajouterait des délais pour la protection des Canadiens. Afin d’éviter toute interférence politique, la future commission sera un véritable organe indépendant du gouvernement, contrairement, par exemple, au Commissaire à l’IA et aux données du projet de loi C-27.

Outre son pouvoir de surveillance, la commission disposera également d’un mandat de littératie en matière de sécurité en ligne. Ce mandat est renforcé par la création d’un poste d’ombusdman indépendant qui fournira du soutien aux utilisateurs des plateformes et défendra l’intérêt public en ce qui concerne les « enjeux systémiques relatifs à la sécurité en ligne ». Ceux-ci demeurent toutefois à définir.

On pourrait croire qu’en raison des importantes amendes envisagĂ©es (la somme la plus Ă©levĂ©e entre 10 millions $ ou jusqu’Ă  6% du revenu brut global d’une plateforme numĂ©rique), la commission pourrait ĂŞtre tentĂ©e d’imposer des sanctions pour s’autofinancer. NĂ©anmoins, les amendes seront Ă  verser au Receveur gĂ©nĂ©ral du Canada et le projet de loi est assorti d’une proposition de recommandation d’affectation des deniers publics pour financer les organismes Ă©tant donnĂ© que le gouvernement n’avait pas prĂ©vu de fonds Ă  cet effet dans le Budget 2023.

Un élément curieux et problématique du projet de loi reste la mention de possibles redevances fixées par le gouvernement et qui– c’est ce qu’on comprend à la lecture du projet de loi – devraient être payées par les plateformes numériques pour opérer au Canada. Un tel mécanisme de financement pourrait d’ailleurs avoir un effet pervers pour la qualité de l’information et la concurrence dans l’écosystème qui repose déjà sur une poignée d’acteurs.

Si on tire des leçons de la plus récente tentative de prélever des redevances numériques, dans le cadre de la loi C-18, il faut s’attendre à ce que certains opérateurs pourraient se retirer du marché canadien, entraînant un renforcement des oligopoles informationnels existants et coupant les Canadiens de certaines plateformes essentielles dans un monde globalisé. Cela pourrait être dramatique pour des plateformes sans but lucratif, comme Wikipedia, qui pourraient se retrouver régulées selon les critères mis en place, mais dans l’impossibilité de payer des redevances.

Des lanceurs d’alerte inégaux devant la loi

Enfin, une des plus grosses lacunes du projet de loi est l’absence de protection pour les lanceurs d’alerte. De nombreuses affaires récentes ont démontré leur rôle essentiel pour mettre en lumière les décisions des opérateurs qui seraient contraires aux objectifs de la loi.

Certes, le projet de loi obligera la commission à protéger l’identité des personnes lui communiquant des observations, mais il n’en sera pas de même pour les employés des opérateurs qui devront demander l’anonymat en précisant ce qui pourrait les mettre en danger.

Un employé peu au fait de certaines techniques de surveillance pourrait ainsi se mettre en danger, surtout que la future loi ne prévoit aucune protection contre de possibles représailles de l’employeur. Elle ne comporte aucune exception aux dispositions du Code criminel protégeant les secrets d’affaires ou aux clauses de confidentialité des employés qui courent ainsi un risque de poursuites criminelles ou civiles en cas de divulgation.

En somme, il manque des éléments, et comme pour tout projet de loi aussi complexe, le diable se cache très probablement dans les détails. Mais, pour une fois, l’infrastructure globale du projet de loi semble bien pensée pour une fois. Espérons que ces lacunes seront corrigées lors des débats parlementaires.

L’auteur faisait partie du comité d’experts du Conseil des académies canadiennes sur la sécurité publique numérique qui a contribué au rapport Connexions vulnérables publié en 2023 pour soutenir les politiques publiques canadiennes.

Dominik StecułaTEST

Dominik Stecuła is an assistant professor in the department of political science at Colorado State University. X: @decustecu

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Brian Mulroney et la discrète privatisation de l’ÉtatTEST

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Le gouvernement Mulroney (1984-1993) était un contemporain de l’administration Reagan (1981-1989) aux États-Unis et du gouvernement Thatcher (1979-1990) au Royaume-Uni. Tous trois se sont caractérisés par leur politique économique néolibérale, qui a transformé l’État-providence que leurs prédécesseurs avaient mis des décennies à bâtir.

Ce qu’on a appelé les « reagonomics » et le thatcherisme est défini par une méfiance envers l’économie planifiée, les sociétés d’État et l’aide sociale universelle. Reagan a marqué les esprits avec cette célèbre citation : « Le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes. Le gouvernement EST le problème. »

De façon générale, le néolibéralisme reproche à un État tentaculaire et envahissant de plomber l’économie. Les récessions économiques de 1975 et de 1982 semblaient le confirmer. Reagan et Thatcher défendaient tous deux l’économie du ruissellement : lorsque les entreprises prospèrent, les travailleurs s’enrichissent et toute la société est gagnante.

Brian Mulroney a affiché les mêmes couleurs dès le début de son premier mandat en créant, en 1986, le ministère d’État à la Privatisation et Affaires réglementaires, portefeuille confié à Barbara McDougall. Reprenant le projet de son prédécesseur, l’éphémère premier ministre Joe Clark, Mulroney a entamé le retrait de l’État canadien comme producteur de biens et fournisseur de services. Au moment de l’arrivée au pouvoir des Conservateurs, le gouvernement fédéral possédait 67 sociétés de la Couronne, d’une valeur combinée de 50 milliards de dollars. Neuf sociétés ont été privatisées sous Mulroney, dont Air Canada, Canadair, Canadian Arsenals et Teleglobe (aujourd’hui filiale de la société indienne Tata Communications). La privatisation de Petro-Canada et du Canadien National a été entamée (elle fut complétée par les gouvernements Chrétien et Martin).

Les « bons » et les « mauvais » pauvres

Du troisième gouvernement de William Lyon Mackenzie King (1935-1948) au deuxième gouvernement de Pierre Elliott Trudeau (1980-1984), l’État-providence n’avait pas été remis en question. Au contraire, l’aide sociale, en particulier l’assurance maladie universelle, faisait désormais partie des traits distinguant favorablement le Canada des États-Unis aux yeux des Canadiens. Il s’agit encore aujourd’hui d’un des fondements de l’identité canadienne.

Rappelons quelques grandes étapes de la construction de l’État-providence canadien : la Loi de l’assurance-chômage en 1940, le programme d’allocations familiales en 1944, le régime universel des pensions de vieillesse en 1952, la Loi sur l’assurance-hospitalisation en 1957, le Régime de pensions du Canada et le Supplément de revenu garanti en 1965, puis la Loi sur les soins médicaux en 1966.

Les années 1970 ne voient pas naître d’autres initiatives majeures, mais les programmes sont réformés afin de rejoindre toujours davantage de Canadiens et de s’assurer de répondre aux besoins essentiels de la population.

Un des objectifs du gouvernement Mulroney était d’améliorer les relations tendues entre le Canada et les États-Unis qui avaient marqué l’ère Trudeau. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de 1987 exigeait un semblant d’uniformité économique. La concurrence entre les entreprises des deux pays aurait été faussée si les entreprises canadiennes pouvaient se permettre d’offrir des salaires moindres grâce à l’existence de programmes sociaux qui auraient compensé le revenu des Canadiens. Aligner complètement le Canada sur les États-Unis en affaiblissant l’État-providence au niveau américain n’aurait pas été rentable pour le Parti conservateur du Canada, mais le gouvernement Mulroney a mis fin à l’universalité des programmes d’aide sociale, ce qui a estompé les différences entre les deux pays.

Comme la plupart de ses contemporains conservateurs, Mulroney a présenté l’échec de l’État-providence à éliminer la pauvreté comme la preuve de la nécessité de réformes fondamentales. On trace une ligne séparant les « bons pauvres », ceux qui ont un réel besoin d’assistance de l’État, et les « mauvais pauvres », ceux qui profitent du système. Le problème n’est pas que les programmes sociaux manquent d’argent, mais que les paresseux et les escrocs absorbent une partie des ressources.

« Un président de banque qui reçoit 500 000 $ par année a-t-il besoin de recevoir des allocations familiales ? » avait demandé Mulroney lors d’une assemblée publique à Vancouver, en 1984. L’exemple est extrême, mais le message est clair : des Canadiens reçoivent une assistance sociale de l’État sans en avoir besoin.

Depuis 1944, les familles canadiennes recevaient toutes la même allocation familiale, indépendamment de leur situation financière. À partir de 1989, certaines familles ont dû rembourser leurs allocations familiales, en fonction de leur revenu. En 1993, le gouvernement conservateur a définitivement aboli les allocations familiales universelles pour les remplacer par la Prestation fiscale pour enfants, un programme sélectif dont bénéficient uniquement les ménages à faible revenu. Ce nouveau programme avait été présenté à l’époque comme un incitatif pour les femmes à rester à la maison.

Officiellement dans le but de réduire le déficit, d’autres programmes ont subi une cure d’amincissement. Les règles d’admissibilité au programme d’assurance-emploi ont été renforcées afin de servir moins de travailleurs ; le taux de prestations a été diminué et des semaines de prestations ont été amputées. Les paiements de la sécurité de la vieillesse ont été réduits en fonction du revenu. La participation fédérale aux programmes provinciaux d’aide sociale a été revue à la baisse. Les prestations universelles ont été remplacées par des crédits d’impôt.

Leurs principaux bénéficiaires n’étaient pas les familles à faible revenu. Le système d’impôts canadien est devenu de plus en plus complexe et seule une minorité de personnes sont en mesure de bénéficier de tous les avantages fiscaux auxquels elles ont droit.

L’objectif officiel du gouvernement était de toujours accorder davantage d’aide aux personnes vraiment nécessiteuses en coupant l’assistance aux personnes qui n’étaient pas dans le besoin. On souhaitait également d’éviter que l’aide financière de l’État ne décourage les bénéficiaires de travailler. « L’assurance-chômage n’a pas été conçue pour devenir un système de soutien et de supplément du revenu », peut-on lire dans le rapport de la Commission d’enquête sur l’assurance-chômage déposé en 1986.

Un démantèlement discret et plus modeste

Selon la journaliste Linda McQuaig, Mulroney était un disciple discret de Reagan et Thatcher. Tandis que les gouvernements américain et britannique ont démantelé en grande pompe l’État-providence au nom de l’économie, Mulroney s’y est attaqué discrètement, toujours en assurant que les réformes visaient une lutte plus efficace contre la pauvreté.

En revanche, au niveau de la privatisation, le gouvernement était si certain de ramer dans le sens de l’opinion publique que le discours officiel a exagéré l’ampleur du mouvement. Non seulement le gouvernement a privatisé moins d’entreprises que ce qui avait été officiellement annoncé, mais de nouvelles sociétés d’État ont été créées sous les conservateurs de Mulroney, en toute discrétion encore une fois.

Les années Mulroney n’étaient que le commencement du déclin de l’État-providence canadien. Les libéraux Jean Chrétien et Paul Martin ont mis fin au Régime d’assistance publique du Canada et réformé le programme d’assurance-emploi pour le rendre encore plus restrictif. Entre 1993 et 2002, la proportion de chômeurs admissibles à l’assurance-emploi est passée de 57 % à 38 %. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a augmenté à 67 ans l’âge minimum pour avoir droit à la sécurité de la vieillesse (mesure annulée depuis par le gouvernement Trudeau).

En transformant les programmes universels en programme sélectifs, le gouvernement Mulroney a changé l’esprit de l’État-providence canadien. Libéraux et conservateurs se sont mis à la recherche du minimum absolu. Il fallait diminuer l’aide financière accordée par l’État au maximum sans toutefois placer ne serait-ce qu’un Canadien sous le seuil de la pauvreté. Sauver les nécessiteux sans risquer de diminuer le bassin de travailleurs et en évitant les dépenses inutiles. Les politiques de Mulroney ont certes été moins radicales que celles de Thatcher ou de Reagan, mais elles ont ouvert une porte dont allaient profiter les prochains gouvernements.

Caroline KilsdonkTEST

Caroline Kilsdonk est médecin vétérinaire et bioéthicienne, ex-présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec. Elle travaille présentement à son compte et à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Alexandre DumasTEST

Alexandre Dumas détient un doctorat en histoire de l’Université McGill. Son livre L’Église et la politique de Taschereau à Duplessis (MQUP, 2019) a été finaliste au prix du livre politique de l’Assemblée nationale du Québec. Il est chargé de cours dans le réseau des Universités du Québec.

Indexer les taxes sur l’essence, une idée qui tient la routeTEST

(English version available here)

Hausser les impôts n’est généralement pas une façon pour nos décideurs politiques de se rendre populaires.

C’est encore plus vrai si ces impôts et taxes touchent une large base de contribuables. C’est notamment le cas des taxes sur les carburants dans les endroits où leur consommation par habitant est élevée, comme c’est le cas au Québec et ailleurs au Canada. Mais même si hausser ces taxes reste difficile, il s’agit néanmoins d’un choix de politique rationnel et cohérent.

Au sein des provinces canadiennes, l’arrivée des prélèvements fiscaux sur les carburants remonte au début du siècle dernier, avec l’avènement des véhicules à moteur. L’introduction de ces taxes a notamment été justifiée par les coûts d’entretien des routes pour les provinces. Or, ces taxes et la taxe d’accise fédérale sur l’essence et le diésel se calculent sur le volume et ne prévoient pas de mécanismes d’indexation. Au fil des années, leurs niveaux ont par conséquent fait l’objet de rehaussements ponctuels afin de leur permettre de jouer le rôle qu’on leur attribuait lors de leur mise en place.

Toutefois, le taux de la taxe fédérale est demeuré inchangé depuis 1995, soit près de 30 ans. En Ontario aussi, la dernière hausse du taux remonte à une trentaine d’années. En Colombie-Britannique, le taux de la taxe a été revu il y environ 20 ans, et il y a une dizaine d’années au Québec et en Alberta, comme le montre le tableau 1.

Pendant ce temps, les coûts d’entretien des infrastructures publiques nécessaires à l’utilisation des voitures et des camions n’ont cessé d’augmenter.

Une taxe qui fond

Le passage du temps réduit à la fois les effets d’une taxe au volume sur les agents économiques – dont les ménages – et la valeur réelle des recettes générées. De façon générale, depuis 1981, les revenus tirés des taxes sur les carburants sont en recul en proportion de la taille de l’économie, représentée par le produit intérieur brut (PIB), comme l’illustre la figure 1.

Le poids de la taxe d’accise fédérale dans l’économie canadienne est passé d’un sommet de 0,53 % en 1993 à un minimum de 0,20 % en 2021. En Ontario, la chute du poids de la taxe spécifique a été encore plus spectaculaire, passant de 0,76 % en 1992 à 0,25 % en 2022, une baisse des deux tiers. Au Québec, malgré une légère hausse entre 2010 et 2013 suite à une hausse du taux de la taxe, son poids n’est plus de 0,37 %, alors qu’il a déjà dépassé 1,4 % du PIB. L’Alberta a aussi vu le poids de la taxe dans son économie chuter, malgré une hausse temporaire du taux, en 2015.

Confronté à un enjeu similaire à l’égard des droits d’accise sur les produits du tabac et des taux du droit d’accise sur les produits alcoolisés, le gouvernement fédéral procède depuis peu à leur indexation.

Dans le cas des produits du tabac, un ajustement des taxes appliquées par unité de produit a été effectué en 2018. Ces prix sont indexés annuellement le 1er avril sur la base de la variation annuelle de l’indice des prix à la consommation (IPC) depuis 2019. Dans le cas des produits alcoolisés, ces droits (qui s’appliquent au volume, comme pour les carburants) ont été indexés de 2 % le 23 mars 2017. Ils sont automatiquement rajustés en fonction de l’IPC le 1er avril de chaque année depuis 2018.

Pourquoi ne pas faire la mĂŞme chose pour les carburants ?

Baisser les taxes sur l’essence, une fausse bonne idée

Utiliser, et payer

Le principe de l’utilisateur-payeur énonce qu’un utilisateur, une entreprise ou un individu doit assurer les coûts liés à l’utilisation qu’il fait d’une ressource publique.

Il est vrai qu’il n’existe pas de lien direct entre, d’une part, le niveau de taxes sur les carburants assumés par un utilisateur du réseau routier et, d’autre part, la dégradation ou encore la pression qu’il génère sur celui-ci, et les dépenses d’entretien et les nouveaux investissements que cela entraîne. À titre d’exemple, l’efficacité de la motorisation rend certains véhicules moins énergivores, ce qui ne réduit pas pour autant les dépenses d’entretien et d’amélioration du réseau routier. De plus, la hauteur de la taxe ne prend pas nécessairement en compte l’usure disproportionnée causée par les véhicules lourds. Enfin, taxer l’essence ne fait pas contribuer les propriétaires de véhicules électriques au financement des routes.

Il n’en demeure pas moins que la taxe sur les carburants étant une taxe au volume, le montant prélevé est proportionnel au nombre de litres de carburant consommés. Ce nombre est à son tour proportionnel aux distances parcourues. Il existe par conséquent une relation proportionnelle entre la taxe perçue et le coût d’usure des infrastructures routières.

L’entretien et le développement des routes constituent un poste de dépense important des provinces. Il est souhaitable que les taxes spécifiques soient prélevées en respect du principe de l’utilisateur-payeur, ne serait-ce que pour relayer le signal-prix associé à l’entretien et au développement d’infrastructures routières auprès de ceux qui exercent une pression pour rehausser l’offre de ces biens publics. Sinon, le risque est de répartir la facture sur l’ensemble des contribuables, peu importe que ceux-ci fassent une utilisation intensive ou non du réseau routier.

C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’en 2010, le Québec a mis en place le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), auquel se voit affecté depuis l’essentiel des revenus de la taxe sur les carburants. La volonté gouvernementale derrière la mise en place du FORT était de refléter les coûts d’utilisation des routes, les impacts environnementaux liés à l’utilisation des carburants et la congestion automobile. La taxe devait donc servir à financer à la fois l’amélioration du réseau routier et le développement des infrastructures de transport en commun.

Cependant, le budget du Québec 2023-2024 prévoit que le FORT présentera des déficits annuels au cours des cinq prochaines années – ses dépenses atteindront 8,9 milliards $ en 2027-2028, surpassant les revenus de plus de 1,7 milliards $. Mais en plus, les revenus du FORT sont maintenant largement tributaires de transferts du ministère des Transports du Québec, qui proviennent des prélèvements fiscaux usuels (impôts sur le revenu, taxes à la consommation).

Le financement du FORT, qui était auparavant assuré principalement par une source dédiée (la taxe sur les carburants), entre dorénavant en compétition avec celui des autres missions de l’État. Cette situation est préoccupante dans un contexte où le déficit de maintien d’actifs du réseau routier supérieur atteignait 20,2 milliards $ en 2023 et que le financement du transport en commun pose de sérieux défis.

Pour une meilleure adéquation

L’indexation des taxes spécifiques, comme c’est déjà le cas pour le régime d’imposition, permettrait une meilleure adéquation entre les coûts d’entretien et de développement du réseau routier et la contribution des utilisateurs.

Cette logique pourrait s’appliquer également à la taxe d’accise fédérale : le gouvernement canadien approvisionne le Fonds pour le développement des collectivités du Canada, qui appuie notamment les projets d’autoroutes, de routes et de ponts locaux.

Enfin, il y a des précédents en la matière. L’indexation des taxes volumétriques sur les carburants existe ailleurs en Suède, aux Pays-Bas et en Australie. Cette pratique est aussi utilisée par 24 États américains. Emboîter le pas constituerait donc un geste plein de sens.

Les soins de santé doivent être offerts aux sans-papiersTEST

(English version available here)

Le Canada fait l’objet d’un examen des droits humains aux Nations unies, une évaluation par les pairs à laquelle les 193 pays membres doivent se soumettre tous les deux ou trois ans pour mesurer leurs progrès en matière de respect des droits fondamentaux de tous, indépendamment de l’âge, de l’appartenance ethnique, de la langue, de la religion ou de tout autre statut.

En novembre, le Canada a fait état de ses progrès réalisés en matière de droits humains depuis l’examen de 2018, et d’autres pays ont formulé de multiples recommandations en vue d’améliorations supplémentaires. Le Canada doit répondre officiellement à ces propositions à Genève le 22 mars.

En tant que médecin de famille ayant travaillé dans des communautés urbaines pendant plusieurs décennies, une recommandation de la Thaïlande a particulièrement attiré mon attention : « assurer un meilleur accès aux services de santé pour tous, en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité et celles qui n’ont pas de statut d’immigrant. »

La Thaïlande accueille des millions de sans-papiers et de réfugiés. Elle a joué un rôle de premier plan dans sa région en développant des politiques de soins de santé pour ces populations.

Cette recommandation m’a touché.

En Ontario, un grand nombre des personnes que nous accueillons dans les centres de santé communautaires n’ont pas de statut d’immigrant.

On estime qu’entre 20 000 et 500 000 personnes au Canada sont des migrants sans papiers. La plupart d’entre eux deviennent des sans-papiers après être arrivés légalement, puis dépassent la période de séjour autorisée ou ne peuvent pas se qualifier pour les programmes d’immigration existants.

Les centres de santé communautaire peuvent demander un financement spécial pour fournir des services de soins primaires aux résidents qui n’ont pas de carte de santé. En raison de leur capacité limitée, ils ne peuvent soigner qu’une petite partie des milliers de sans-papiers qui vivent en Ontario.

Mais les soins de santé devraient être un droit humain fondamental pour tous les Canadiens.

En outre, les centres de santé communautaires ne sont équipés que pour fournir des soins primaires. D’importants obstacles subsistent pour les personnes qui ont besoin de services spécialisés ou hospitaliers. Ceux-ci peuvent coûter des milliers de dollars, de sorte que les personnes ayant un statut d’immigration précaire ne cherchent pas à se faire soigner avant que leur situation médicale ne soit catastrophique. Dans de nombreux cas, une intervention précoce permettrait d’éviter des complications et des souffrances inutiles.

Un accès inadéquat aux soins préventifs affecte également notre système de santé dans son ensemble en augmentant le nombre de patients dans les services d’urgence et les hôpitaux surchargés.

Comme beaucoup d’autres médecins, les atteintes à la santé physique et mentale que j’ai constatées chez les individus et leurs familles m’ont incité à défendre la cause publiquement.

Il existe de nombreuses façons de se retrouver sans papiers, et donc, sans assurance au Canada. Il peut s’agir d’une rupture de parrainage, du rejet d’une demande d’asile ou d’un dépassement de la durée de validité d’un visa.

Les étudiants internationaux, dont beaucoup occupent des emplois à temps partiel, bénéficient d’une assurance maladie liée à leurs études, mais peuvent la perdre s’ils quittent leur programme d’études. Les travailleurs étrangers temporaires ont accès à un certain niveau d’assurance maladie, mais ils la perdent s’ils quittent le programme à la recherche de meilleures conditions de travail.

Le système d’immigration complexe du Canada aboutit souvent à un statut d’immigration précaire qui a des conséquences immédiates sur l’accès aux soins de santé.

En parallèle, nous continuons à compter sur ces travailleurs pour soutenir notre main-d’œuvre, en particulier dans l’agriculture, les travaux domestiques, l’industrie manufacturière et même les soins de santé. Les universités et les collèges dépendent des étudiants internationaux pour les frais de scolarité exorbitants qu’ils paient, ce qui compense la baisse des investissements publics dans les établissements d’enseignement.

Les travailleurs sans papiers paient des taxes sur les ventes et les entreprises génèrent des profits grâce à leur travail. Les aides familiaux et les employés d’entretien ménager soutiennent les familles en permettant à leurs membres de travailler à l’extérieur.

De nombreux sans-papiers effectuent ce que tout le monde appelle un travail « essentiel ». Mais trop souvent, dès qu’ils cherchent à se faire soigner, ils sont décrits comme des « clandestins » qui « profitent » du système.

Mais l’accès aux soins de santé ne devrait pas dépendre du statut d’immigration ou de la valeur économique d’une personne.

En mai 1976, le Canada a adhéré au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, s’engageant à œuvrer en faveur du « droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre » (article 12).

Les interprétations ultérieures du pacte par les Nations unies soulignent que chacun a le droit d’accéder aux soins de santé, y compris les populations les plus marginalisées telles que les immigrés clandestins.

J’ai récemment reçu une affiche du Mois de l’histoire des Noirs sur laquelle figure l’une des plus grandes défenseures des droits humains au Canada.

Nell Toussaint était une migrante sans papiers née à la Grenade et venue au Canada avec un visa temporaire dans les années 1990. À la recherche d’une vie meilleure, elle a occupé plusieurs emplois pendant des années, payé ses impôts et subi des déductions sur son salaire.

Ses premières tentatives pour obtenir la citoyenneté canadienne ont échoué, en grande partie à cause d’un consultant malhonnête. Elle a développé des problèmes de santé graves et chroniques, mais n’avait pas les moyens de payer les soins de santé dont elle avait besoin ; elle a donc attaqué le gouvernement canadien en justice. Mme Toussaint a fondé son argumentation sur la Charte canadienne des droits et libertés et sur les traités internationaux que le Canada a signés et qui garantissent les droits à la vie, à la santé et à la non-discrimination.

Lorsque les tribunaux ont rejeté sa contestation, elle a porté son affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, lui demandant de déterminer si ses droits à la vie et à la non-discrimination en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques avaient été violés. Le comité lui a donné raison en août 2018.

Il s’agit d’une victoire incroyable, d’autant plus que Mme Toussaint n’a pas seulement pris ces mesures pour elle-même, mais aussi pour tous les sans-papiers du pays.

Le Canada continue pourtant de rejeter les conclusions de la commission, ce qui a privé des milliers de nos voisins, travailleurs et amis d’accès aux soins de santé. Mme Toussaint a fini par obtenir la citoyenneté pour des raisons humanitaires et de compassion – et donc l’accès aux soins de santé – mais il était trop tard. Ses problèmes médicaux ont conduit à son décès en janvier 2023, à l’âge de 53 ans.

Alors que le gouvernement fédéral n’a cessé de traîner les pieds, l’Ontario a mis en œuvre la vision de Mme Toussaint pendant la pandémie de COVID-19. Au début de l’année 2020, le ministère de la Santé a alloué des fonds pour les hôpitaux et les médecins privés afin de fournir des soins de santé à tous. Puis, sans évaluation ni consultation publique, le programme a été brusquement annulé en mars 2023.

De nombreuses organisations médicales, infirmières et communautaires ont protesté, mais en vain. Healthcare For All, une coalition de prestataires de soins de santé de l’Ontario (dont je fais partie), d’étudiants, de chercheurs et d’agents de développement communautaire, se bat pour la même vision depuis de nombreuses années et continuera à le faire (vous pouvez signer notre pétition ici).

Comme beaucoup d’autres, je placerai l’affiche de Mme Toussaint dans mon bureau. Et alors que notre gouvernement canadien prépare sa soumission au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, nous appellerons nos députés et pousserons nos dirigeants à soutenir les droits de la personne pour lesquels Mme Toussaint s’est battue.

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Être député francophone à OttawaTEST

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Nous connaissons les politiciens tels qu’ils se présentent à nous dans l’exercice de leurs fonctions. Mais ce n’est que lorsque leur mandat touche à sa fin qu’ils peuvent s’exprimer candidement sur leur expérience, par exemple sur la place du français à la Chambre des communes.

Dans le cadre du projet d’entrevues avec des députés sortants, le Centre Samara pour la démocratie a créé Les Personnages de la Chambre, un balado dans lequel six anciens députés fédéraux racontent leur réalité. Les libéraux Linda Lapointe, Rémi Massé et Jean-Claude Poissant, les néo-démocrates Guy Caron et Matthew Dubé, et le conservateur Stephen Blaney y livrent leurs expériences personnelles et leurs sentiments réels à l’égard de leur travail parlementaire.

Ces entretiens révèlent les expériences uniques des députés québécois en tant que francophones à Ottawa.

Sur les six ex-élus rencontrés – tous nés au Québec –, cinq ont le français comme langue maternelle et un, l’anglais. Chacun a son propre avis sur l’utilisation du français, le respect des droits linguistiques et l’influence que ces enjeux ont eue sur leur propre mandat, mais ils se rejoignent tous sur certains thèmes.

Tous soulignent la nécessité d’institutionnaliser la formation en matière de droits linguistiques, leur propre prise de conscience liée à l’emploi du français au Parlement, l’avantage du bilinguisme pour mieux servir leurs électeurs et les défis particuliers liés aux interactions avec les médias francophones.

Parler sa propre langue en Chambre

Pour la plupart d’entre eux, pouvoir s’exprimer en français dans l’exercice de leurs fonctions n’a jamais posé problème. Mais chacun souligne la vigilance et l’importance qu’ils accordent au fait de parler et d’utiliser le français à la Chambre des communes.

Le conservateur Stephen Blaney avait par exemple exigé que toutes ses notes de breffage soient rédigées en français. De son côté, le néo-démocrate Guy Caron prenait soin d’alterner entre le français et l’anglais durant la période de questions pour s’assurer que les deux langues étaient utilisées de manière égale. Pourquoi? « Parce que lorsqu’on parle comme porte-parole, lorsqu’on parle comme ministre, on parle au nom du pays au complet ». Il montrait ainsi l’importance qu’il accordait à une fonction qui se doit d’être représentative du bilinguisme officiel qui prévaut au Canada.

Le conservateur Stephen Blaney avait par exemple exigé que toutes ses notes de breffage soient rédigées en français. LA PRESSE CANADIENNE/ David Kawai

Le libéral Jean-Claude Poissant explique quant à lui qu’« on parle notre langue en Chambre. Peu importe, on a le droit de parler notre langue ». En général, les anciens députés interviewés parlent positivement des ressources linguistiques comme les outils d’interprétation, les services de traduction et la formation linguistique qui étaient à leur disposition à Ottawa.

Un « combat incessant »

Les avis des ex-députés diffèrent cependant sur les efforts requis pour que le français soit respecté et valorisé au sein du Parlement.

Lorsqu’on lui demande si le français était valorisé sur la colline, le libéral Rémi Massé se montre plutôt optimiste : « Je ne peux pas dire que c’est une priorité, mais je ne peux pas dire que c’était négligé non plus parce qu’autant mes collègues anglophones s’efforçaient de pouvoir échanger en français avec moi, autant on avait l’ensemble des services requis ». Quant à M. Blaney, il estime que « c’est un combat incessant, et c’est la raison pour laquelle souvent, même si je pouvais m’exprimer en anglais, je m’exprimais en français ».

Certains des députés relèvent que leur bilinguisme était perçu comme un avantage et qu’ils pensaient que cela leur permettait de mieux comprendre les enjeux de leurs électeurs. Malgré tout, ils considèrent que la préservation d’une langue repose majoritairement sur l’individu, plutôt que sur un mécanisme plus large. 

« Il n’y a pas de deuxième langue officielle »

La libérale Linda Lapointe se présente comme une francophone fière qui s’est toujours sentie respectée à la Chambre des communes.  Quand elle a commencé à siéger à Ottawa, un député lui avait dit : « Linda, il n’y a pas de deuxième langue officielle. Il y a deux langues officielles, elles sont sur le même pied ». Alors, elle les a toujours traitées de la même façon. Elle se sent néanmoins responsable de veiller à ce que la prochaine génération de francophones bénéficie du même respect de leur culture dont elle a bénéficié.

Cette perspective explique son intérêt pour une mise à jour de la Loi sur les langues officielles. Mme Lapointe constate une asymétrie persistante entre les deux langues officielles, en particulier sur le web, où les textes sont principalement en anglais. Tous les députés interviewés pour le balado ont à coeur la pérennisation du français au pays, mais Linda Lapointe est particulièrement préoccupée par l’avenir et la nécessité de « mettre des mesures en place pour ça reste ».

L’ex-députée accorde une grande importance à la préservation du patrimoine francophone du pays et elle souligne l’importance d’intégrer le regard francophone dans les lois canadiennes et de renforcer les services linguistiques.

« Si on parle en anglais, on ne faisait pas prévaloir l’importance du français »

Selon le néo-démocrate Matthew Dubé, la langue est utilisée comme une arme par les médias francophones. Il note qu’« en français, il y a un standard plus élevé » et que « c’est une langue plus difficile à maîtriser, même pour les francophones ».

Selon le néo-démocrate Matthew Dubé, la langue est utilisée comme une arme par les médias francophones. LA PRESSE CANADIENNE / Justin Tang

Dubé donne en exemple une critique des médias à la suite d’une erreur grammaticale commise dans l’une des publications de sa campagne, évaluant que le comportement des journalistes avait alors ressemblé à celui de « paparazzis ». « En français, je pense que tous les élus sont tenus à une certaine rigueur que je ne vois pas en anglais. »

Son collègue néo-démocrate Guy Caron partage sa perspective dans une certaine mesure. Malgré ses tentatives pour assurer un équilibre entre les deux langues, M. Caron croit que « les journalistes tendent à négliger » la plus grande difficulté du français et à blâmer les députés pour leurs erreurs. Selon lui, les représentants des médias ne comprennent pas que « si on parle en anglais, on ne fait pas prévaloir l’importance du français ». Il note malgré tout que lors de son mandat, le NPD avait pour la première fois une majorité de francophones, ce qui a permis de changer la culture linguistique du parti.

Selon le néo-démocrate Guy Caron, les représentants des médias ne comprennent pas que « si on parle en anglais, on ne fait pas prévaloir l’importance du français ». LA PRESSE CANADIENNE / Sean Kilpatrick

Solidifier la confiance des francophones envers leurs institutions parlementaires

Construire un sentiment d’identité nationale qui soit à la fois inclusif et représentatif demande une attention particulière. Chaque député a vécu une expérience distincte en tant que francophone naviguant dans une Chambre des communes à majorité anglophone et ayant des comptes à rendre face à des électeurs francophones et anglophones, ainsi qu’aux médias. L’identité linguistique est une caractéristique déterminante qui façonne la manière dont les députés québécois représentent leurs électeurs.

Les anciens députés québécois interviewés ont fait face à des défis uniques, notamment les complexités supplémentaires liées au français, les critiques reçues lorsqu’une seule langue a été utilisée et les difficultés liées à l’emploi de la langue. Leurs efforts pour affirmer la francophonie dans la pratique de la démocratie canadienne sont importants pour établir la confiance des francophones en leurs institutions parlementaires et pour qu’elles représentent leurs communautés. Cette confiance est indispensable pour faire progresser des valeurs démocratiques durables et inclusives au Parlement.