(Cet article a été traduit de l’anglais.)

C’est à nouveau la saison des impôts, et les Canadiens s’affairent à préparer leur déclaration de revenus. La plupart des déclarants transmettront le document par voie électronique, soit directement par IMPÔTNET, soit par l’intermédiaire d’un cabinet d’expertise comptable ou d’une autre entreprise qui utilisera la transmission électronique de déclarations. Progressivement, ce système de transmission est devenu le service en ligne le plus utilisé parmi tous ceux qu’offre le gouvernement du Canada.

La déclaration en ligne a été lancée à titre expérimental en 1999 et est devenue un service complet en 2000. En 2006, Jeffrey Roy constatait dans son livre E-Government in Canada: Transformation for the Digital Age que la moitié des contribuables canadiens avaient transmis leur déclaration par voie électronique en 2004, et il décrivait ce programme comme « l’exemple le plus significatif de succès » des services du gouvernement en ligne. Selon l’Agence du revenu du Canada (ARC), 84 % des déclarations de revenus ont été transmises en ligne en 2016. Au cours des cinq dernières années, le nombre de déclarations transmises électroniquement a augmenté chaque an.

La rapidité avec laquelle les contribuables ont adopté cette technologie témoigne donc de son succès. Mais nous voulions en savoir davantage sur ces déclarants. Qui transmet sa déclaration électroniquement et qui la remplit encore sur papier ? Comment les usagers de ce service en ligne l’évaluent-ils ? Pourquoi certains Canadiens préfèrent-ils envoyer leur déclaration par la poste ? En mai et juin 2016, dans le cadre de notre projet Online Citizenship Canada, qui étudie les activités politiques en ligne des Canadiens, nous avons mené un sondage en ligne auprès de 1 000 personnes. La date limite pour la transmission de la déclaration de 2015 venait de passer, et nous leur avons posé quelques questions à ce sujet.

Qui transmet la déclaration par Internet ?

Nous avons demandé aux répondants s’ils avaient transmis leur déclaration fédérale de revenus de 2015 par le site Web de l’ARC. Un répondant sur trois n’avait pas transmis de déclaration, soit parce que quelqu’un d’autre l’avait fait à sa place (31 %), soit parce qu’il n’avait pas produit de déclaration (2 %). Parmi ceux qui l’ont transmise eux-mêmes, 79 % ont utilisé le site Web de l’ARC et 21 % l’ont envoyée par la poste.

La plupart des études sur les technologies numériques montrent que les jeunes sont plus susceptibles de les utiliser. La déclaration de revenus fait figure d’exception. En effet, nous n’avons trouvé aucune relation linéaire entre l’âge et la méthode de transmission : parmi les répondants âgés de 18 à 29 ans et parmi ceux ayant 70 ans et plus, la même proportion des déclarants ayant transmis eux-mêmes leur déclaration, soit trois sur quatre, l’ont fait en ligne. Il n’y a pas davantage d’écart selon le sexe. Cependant, un fossé numérique apparaît clairement lorsque nous prenons en considération l’éducation et le revenu. Les citoyens les plus scolarisés et ceux ayant un revenu élevé sont plus susceptibles de transmettre leur déclaration en ligne. La proportion de répondants qui ont transmis la déclaration par voie électronique était de 68 % parmi ceux qui n’avaient pas fréquenté l’école au-delà du secondaire, mais de 83 % parmi ceux qui détenaient un diplôme universitaire : un écart de 15 points de pourcentage. Cet écart est plus prononcé encore en termes de revenu, soit de 20 points de pourcentage entre les répondants dont le revenu annuel du ménage est inférieur à 60 000 dollars (67 %) et supérieur à 90 000 dollars (87 %).

Comment les Canadiens évaluent-ils le processus ?

Notre deuxième objectif était de savoir comment les citoyens évaluent le service de transmission électronique. Le programme semble être un succès. Nous avons demandé aux déclarants qui ont utilisé le site Web de l’ARC de choisir parmi quatre énoncés celui qui décrivait le mieux leur expérience. Parmi ces répondants, 88 % ont estimé que « le processus était simple et efficace » et ils ont dit qu’ils étaient « sûrs qu[‘ils] transmettr[ont leur] déclaration fédérale de revenus électroniquement au cours des prochaines années ». Une minorité, soit 11 %, ont affirmé avoir « eu certaines difficultés, mais il est néanmoins fort probable qu’[ils] transmettr[ont leur] déclaration fédérale de revenus électroniquement au cours des prochaines années ». Seulement 1 % des répondants ont jugé qu’il était très peu probable qu’ils utilisent à nouveau ce service en ligne, soit parce qu’ils ont « eu certaines difficultés » ou parce que « le processus était compliqué et une perte de temps ». Notre enquête ne comprenait pas de questions plus précises qui auraient permis de mettre en relief les aspects du service qui pourraient être améliorés. Toutefois, une majorité des utilisateurs ont jugé le processus efficace et ont affirmé qu’ils étaient susceptibles de l’utiliser à nouveau.

Pourquoi certains n’utilisent-ils pas la transmission en ligne ?

Par ailleurs, nous avons posé une question ouverte à ceux qui avaient choisi la voie postale : « Pourquoi n’avez-vous pas transmis votre déclaration fédérale de revenus de 2015 par le site Web de l’Agence de revenu du Canada ? » Un examen qualitatif des réponses ainsi recueillies permet de cerner quelques enjeux qui semblent limiter l’adoption de ce service en ligne.

Premièrement, plusieurs répondants ont indiqué qu’ils préféraient simplement les formulaires papier et le service postal (« J’aime avoir une copie imprimée », « J’aime travailler avec du papier », « J’aime le papier et faire une copie pour moi-même…, toujours conserver une preuve de tout ») ou qu’ils trouvent le formulaire papier plus facile (« Plus facile pour moi de poster », « Plus facile de remplir à la main »). Très peu de répondants ont dit explicitement qu’ils manquaient de compétences numériques, mais les commentaires exprimant une préférence pour le papier reflètent probablement ce type de restriction. En effet, nous avions interrogé certains de ces répondants dans une phase précédente de notre enquête et mesuré leurs compétences numériques par une échelle comportant six éléments. Sans surprise, la relation entre les compétences numériques et la propension à transmettre la déclaration de revenus en ligne est statistiquement significative. D’autres préoccupations technologiques entravent également la transmission électronique : ne pas avoir accès à Internet de la maison, éprouver des problèmes avec le logiciel de déclarations ou le navigateur, ou encore ne pas se souvenir du mot de passe.

Deuxièmement, de nombreux répondants ont exprimé des inquiétudes concernant la sécurité du processus. Certains ne font pas confiance à Internet d’une manière générale (« Je n’ai vraiment pas confiance que des informations aussi importantes puissent être utilisées en ligne », « Internet est trop vulnérable »), alors que d’autres manifestent des préoccupations relatives aux logiciels (« Protection du secret, je ne fais confiance à aucun logiciel d’une tierce partie ») ou spécifiques au site Web de l’ARC (« Pas confiance au site Web »). Un répondant a écrit : « Je me souviens encore lorsque leur système a « planté » parce que trop de gens l’ont envoyée au même moment et que celles postées avaient été traitées plus rapidement. Ça me semble beaucoup plus sûr. »

Une troisième raison est simplement un manque de motivation lié à des habitudes anciennes ou un désir de conserver des traditions. « J’ai toujours transmis un formulaire de déclaration papier et je suppose que je suis pris avec mes manières de faire les choses », écrit un répondant. « Je remplis ma déclaration à la main et je la transmets par la poste depuis 30 ans », indique un autre. « J’aime remplir mon formulaire avec papier et crayon, tradition », explique un troisième.

Finalement, certains répondants ont d’autres raisons spécifiques pour justifier leur choix. « Parce que j’ai une foule de documents à insérer », écrit une personne. « Ma déclaration est complexe et requiert une déclaration papier », observe une autre. Quelques personnes ne savaient pas qu’il était possible de remplir une déclaration en ligne, et l’un des répondants pensait qu’il y avait des frais pour la transmettre par voie électronique.

Une réussite pour le gouvernement en ligne

Dans l’ensemble, les Canadiens sont satisfaits du processus de transmission électronique de leur déclaration de revenus. Dans le budget fédéral de 2017, le gouvernement s’engage à accroître l’étendue et la qualité de ses services numériques. Le système de déclarations de revenus en ligne peut servir de modèle. Cependant, il est important de ne pas oublier ceux qui manquent de confiance en leurs propres compétences numériques ou ceux qui ne croient pas que leurs renseignements personnels sont suffisamment protégés. Un nombre important de Canadiens continuent d’éprouver des réserves quant à la transmission électronique de leur déclaration ; réduire ce nombre exigera probablement des investissements pour répondre aux inquiétudes et accroître les compétences numériques des contribuables. Il faudra donc du temps avant que tous les Canadiens se servent du système et qu’il soit entièrement numérique.

Cette enquête en ligne a été menée en notre nom par la firme NRG Research Group entre le 12 mai et le 9 juin 2016. Le taux de réponse a été de 40,6 %. Les données ont été pondérées en fonction de la région, de l’âge et du sexe des répondants. La recherche a été financée par une subvention Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines. Les réponses citées dans cet article ont été traduites de l’anglais.

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Frédérick Bastien
Frédérick Bastien est professeur agrégé de science politique à l’Université de Montréal.
Harold Jansen
Harold Jansen is professor of political science at the University of Lethbridge.
Royce Koop
Royce Koop est professeur agrégé de science politique à l’Université du Manitoba.
Thierry Giasson
Thierry Giasson est professeur de science politique à l’Université Laval et directeur du Groupe de recherche en communication politique.
Tamara A. Small
Tamara A. Small is an associate professor of political science at University of Guelph. She publishes about digital politics in Canada and is the co-author of Fighting for Votes (UBC Press).

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