Qu’ont en commun l’oxyde de fer et la réforme électorale? Ils sont en abondance à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Sur le sol rouge fertile de l’Île-du-Prince-Édouard vivent un peu moins de 150 000 habitants représentés par une assemblée législative composée de 27 députés. Toutefois, sa petite taille ne l’empêche pas, pour la deuxième fois en 10 ans, d’aborder une grande question du système démocratique : quel mode de scrutin devrait-on utiliser pour élire les députés?

Pourquoi une réforme électorale ?

Dans l’histoire de l’Île-du-Prince-Édouard, les résultats des élections provinciales ont été marqués à plusieurs reprises par un déséquilibre à l’Assemblée législative. Par exemple, à l’élection provinciale de l’an 2000, le Parti libéral a récolté 33,8 % du vote populaire, mais un seul siège à l’Assemblée législative.

De même, à l’élection provinciale de 2003, le Parti libéral a recueilli plus de 42 % du vote populaire, mais seulement quatre sièges. Voilà pourquoi ces résultats disproportionnés ont mené à des discussions sur la réforme électorale.

En 2003, la Commission sur la réforme électorale de l’Île-du-Prince-Édouard a recommandé que la province envisage d’adopter la représentation proportionnelle mixte. Une commission indépendante sur l’avenir électoral de l’Île-du-Prince-Édouard a été mise sur pied pour informer la population et rédiger une question claire à présenter dans un plébiscite. Le 28 novembre 2005, la question a été soumise à la population dans ce plébiscite. En résumé, la majorité de ceux qui ont participé au plébiscite (64 %) a voté pour maintenir le scrutin uninominal majoritaire à un tour, tandis que 36 % ont voté pour le système mixte proportionnel. Cependant, le taux de participation a été beaucoup plus faible que prévu : 32 265 bulletins valides ont été dénombrés, pour un taux de participation de seulement 33 % de la population de l’Île-du-Prince-Édouard.

À la suite de ces résultats, des critiques ont affirmé que le plébiscite n’avait pas été suffisamment expliqué, et que la campagne du plébiscite lui‑même n’avait pas accordé assez de temps ni de ressources aux insulaires pour leur permettre de pouvoir prendre une décision éclairée. De plus, d’autres facteurs — notamment une grève de la télévision de Radio‑Canada, un nombre limité de bureaux de scrutin et un manque de financement public pour les campagnes du « oui » et du « non » —avaient fait en sorte que la population s’était désintéressée de la question du plébiscite.

Une nouvelle saison

Dix ans plus tard, lors du discours du Trône de juin 2015, le nouveau gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard s’est engagé à amener les insulaires à « renforcer » le système électoral. Ainsi, au cours de l’été, un comité spécial mis sur pied par l’Assemblée législative a examiné d’autres modes de scrutin à soumettre à la population.

Au début de 2016, ce comité spécial de l’Assemblée législative sur le renouveau démocratique a procédé à des consultations initiales auprès des insulaires. En avril 2016, il a recommandé que, dans le cadre d’un plébiscite en novembre 2016, les électeurs puissent classer en ordre de préférence de 1 à 5 (1 étant leur mode préféré) les différents modes de scrutin suivants :

  • Représentation proportionnelle binominale : Dans ce mode de scrutin, les circonscriptions à un seul député sont fusionnées pour obtenir des circonscriptions à deux députés. L’électeur vote une seule fois, mais son vote représente un classement de deux candidats pour le même parti. Le premier candidat sur le bulletin (par parti) remporte un siège comme dans le scrutin uninominal majoritaire à un tour, de sorte que le candidat le plus populaire dans chaque circonscription siège à l’Assemblée législative. Le deuxième siège de chaque circonscription est attribué de façon à ce que l’issue à l’échelle de la province soit proportionnelle aux voix reçues pour chaque parti politique.
  • Uninominal majoritaire à un tour (mode de scrutin actuel) : Dans le mode de scrutin actuel, l’électeur vote une fois dans une circonscription représentée par un seul député de l’Assemblée législative. Le candidat qui recueille le plus grand nombre de voix est élu pour représenter la circonscription.
  • Uninominal majoritaire à un tour plus le chef : Dans ce mode de scrutin, les électeurs continuent d’élire des représentants selon un scrutin uninominal majoritaire à un tour. Toutefois, les chefs des partis ne se présentent pas dans leur circonscription, mais ils sont élus si leur parti reçoit un certain seuil du vote provincial (le comité spécial recommande 10 %). Par conséquent, le vote populaire est utilisé pour élire les chefs des partis, et le nombre de députés à l’Assemblée législative varie selon le vote populaire.
  • Représentation proportionnelle mixte : Dans ce mode de scrutin, l’électeur dépose deux bulletins de vote : l’un pour le candidat de sa circonscription à un seul député, et l’autre pour le parti politique (dont les sièges sont accordés à des candidats présentés sur une liste pour chaque parti). Les sièges à l’Assemblée législative sont une combinaison de sièges de circonscriptions à un seul député et de sièges de partis politiques. Le second vote, pour le parti politique, sert à attribuer les sièges aux partis politiques afin de compenser les résultats disproportionnés du scrutin uninominal majoritaire à un tour. En ce qui a trait aux sièges à combler selon les listes des partis, le comité spécial a examiné l’utilisation de « listes fermées », où le parti politique détermine l’ordre dans lequel ses candidats reçoivent les sièges, et de « listes ouvertes », où l’électeur vote directement pour les candidats présentés par les partis politiques. Le comité spécial a recommandé que les listes ouvertes soient intégrées dans un modèle de représentation proportionnelle mixte pour la province afin que les électeurs puissent avoir une certaine possibilité de choisir parmi les candidats présentés sur les listes des partis.
  • Vote préférentiel : Enfin, dans ce mode de scrutin, aussi appelé vote alternatif, chaque circonscription est toujours représentée par un seul député, mais la façon d’élire les députés est modifiée. Pour être élu, un candidat doit obtenir plus de 50 % des voix dans sa circonscription. L’électeur exprime sa préférence en classant les candidats sur le bulletin de vote. Si aucun candidat ne reçoit la majorité après le premier tour, le candidat ayant obtenu le moins de voix est éliminé et ses voix sont redistribuées selon les seconds choix des électeurs, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un seul candidat dépasse le seuil de 50 % pour être élu.

Pour accroître le taux de participation, en plus de présenter les différents modes de scrutin, le comité spécial a mentionné la possibilité d’offrir le vote électronique, à la condition de respecter des normes de sécurité, d’exactitude, de protection des renseignements personnels, d’intégrité, de rentabilité et de vérifiabilité.

La terre fertile de l’Île-du-Prince-Édouard produira-t-elle une récolte aussi fructueuse de sa réforme démocratique que d’abondance de pommes de terre ? Quelle que soit l’issue, maintenant que le gouvernement fédéral se penche aussi sur son mode de scrutin, l’Île-du-Prince-Édouard pourra offrir à ses homologues fédéraux les leçons tirées de son expérience, sinon des produits frais pour alimenter la réflexion.

Photo : gvictoria / Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier La réforme électorale.

 


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Dara Lithwick
Dara Lithwick est analyste à la Division des affaires constitutionnelles et parlementaires de la Bibliothèque du Parlement. Ses recherches sont axeés sur la réforme électorale, les responsabilités et les procédures parlementaires, l’accès à l’information, la protection de la vie privée et les droits d’auteur. Elle a publié récemment «Privacy and Politics: Federal Political Parties’ Adherence to Recognized Fair Information Principles». Elle est membre du Barreau du Québec et du Barreau du Haut-Canada.
Erin Virgint
Erin Virgint est analyste à la Division des affaires constitutionnelles et parlementaires de la Bibliothèque du Parlement. Ses recherches sont axeés sur la réforme électorale, les procédures parlementaires, le patrimoine canadien et la représentation des femmes en politique.

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