Pour les nouveaux arrivants au Canada, un logement décent et abordable, dans un environnement où ils se sentent accueillis et en sécurité, constitue un important point d’ancrage. Plus qu’un simple toit, c’est un lieu qui leur permet d’organiser leur vie quotidienne : trouver une école pour les enfants, accéder aux services de santé, prendre des cours de langue et participer au marché du travail. Le logement, c’est le point de départ pour rebâtir sa vie et se sentir de nouveau chez soi.

À peine six mois se sont passés depuis le lancement de l’opération d’accueil des réfugiés syriens en sol canadien, et il y a moins de trois mois que l’objectif d’établir 25 000 personnes a été atteint. Il est sans doute un peu prématuré de faire le bilan de leur expérience en matière de logement. Toutefois, en partant de données probantes d’un éventail de recherches antérieures et en considérant la large couverture médiatique des questions de logement pour les réfugiés syriens, nous pouvons déjà dégager certains enjeux et défis.

Contrairement à la majorité des immigrants, les réfugiés ont souvent vécu des situations traumatisantes, ils portent les marques d’un profond sentiment de déracinement, possèdent peu de ressources matérielles et n’ont que rarement des proches au Canada. Le Canada reconnaît trois catégories de réfugiés. Les réfugiés pris en charge par l’État sont sélectionnés à partir de listes du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), qui détermine quelles personnes doivent prioritairement trouver refuge en pays sûr. Un programme parallèle permet à un certain nombre de réfugiés répondant aux critères du HCNUR d’être parrainés par des organismes sans but lucratif ou religieux, ou par des petits groupes de particuliers. Le Canada avait innové avec ce programme, qui avait été mis en place lors de l’arrivée des réfugiés indochinois (1979-1981). Dans le cadre des deux programmes, on offre aux réfugiés un soutien financier et d’autres formes d’aide durant les 12 premiers mois. La troisième catégorie comprend les réfugiés qui demandent et obtiennent l’asile dès leur arrivée en sol canadien. Même si très peu de Syriens nouvellement arrivés se trouvent dans cette catégorie, les personnes qui attendent la décision sur leur statut de réfugié vivent dans une grande précarité et, notamment, dans des logements de piètre qualité, comme de nombreuses études l’ont fait ressortir.

Le gouvernement canadien couvre les frais de l’hébergement temporaire offert aux réfugiés dont il a la charge. Il leur verse aussi une allocation pour les aider à s’installer dans leur premier logement autonome que les organismes d’aide à l’établissement trouvent pour eux. Même si la plupart des réfugiés souhaitent s’installer le plus rapidement possible dans un logement autonome « ordinaire », certains, qui ont des besoins multiples et complexes, se voient offrir un hébergement de transition, où logement et services sont réunis sous un même toit. Ces personnes sont soutenues et suivies durant plusieurs mois jusqu’à ce qu’elles deviennent graduellement autonomes et puissent quitter le logement de transition. Dans le cas du parrainage privé, les répondants doivent subvenir aux besoins essentiels des réfugiés durant la première année, qui comprennent les frais d’hébergement et de logement.

Selon une enquête longitudinale d’envergure menée auprès d’immigrants qui sont venus au Canada autour des années 2000, la situation des réfugiés sur le marché du travail, leur revenu et leurs conditions de logement s’améliorent progressivement au cours des années suivant leur arrivée. Toutefois, ils sont encore désavantagés par rapport aux immigrants économiques ou à ceux de la catégorie de la réunification familiale. Après quatre ans, l’accès à un logement abordable représente toujours un défi majeur pour eux : ils vivent généralement plus longtemps dans des logements surpeuplés que les immigrants des autres catégories.

Avec la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés de 2002, le Canada s’était engagé à accueillir un plus grand nombre de réfugiés ayant de grands besoins. Ce sont avant tout des familles nombreuses, multigénérationnelles et souvent monoparentales, des familles dont certains membres ont des incapacités ou des problèmes de santé ainsi que des personnes dont les niveaux de scolarité ou d’alphabétisation sont faibles. Cet engagement prévaut aussi lors de la présente sélection des réfugiés syriens. Or des recherches menées à Montréal, à Toronto et à Vancouver montrent qu’il est particulièrement difficile pour les familles nombreuses de se trouver un logement approprié. C’est précisément à ce problème que les organismes responsables de l’établissement des réfugiés syriens pris en charge par l’État ont dû faire face, notamment à Vancouver, à Ottawa et à Toronto. Dans ces villes, en raison de la pénurie de logements abordables, et surtout de grands logements, plusieurs familles ont été obligées de passer des semaines voire des mois dans des chambres d’hôtel, prolongeant ainsi le processus de « retour à la normale » et d’établissement d’un chez soi, une situation particulièrement difficile pour les enfants.

Des recherches menées à Montréal, à Toronto et à Vancouver montrent qu’il est particulièrement difficile pour les familles nombreuses de se trouver un logement approprié.

Heureusement, grâce à de nombreuses initiatives à petite échelle, que ce soit de la part de promoteurs privés, d’organismes communautaires ou de particuliers, on a souvent pu pallier ou contourner ce problème. En outre, la Ville de Montréal a mis en place un protocole détaillé pour éviter que des réfugiés aboutissent dans des logements insalubres d’immeubles qui ont besoin de réparations majeures. Ce risque est bien réel, comme le montre l’étude dirigée par Daniel Hiebert « Logement précaire et itinérance cachée chez les réfugiés, les demandeurs d’asile et les immigrants à Montréal, à Toronto et à Vancouver ». Selon une recherche de United Way, dans les grandes villes, les nouveaux arrivants ayant de faibles revenus vivent concentrés dans les zones d’appartements d’après-guerre de la proche banlieue, où le parc résidentiel vieillit et se détériore.

La géographie urbaine est donc une dimension importante dans l’établissement des réfugiés. Il faut en tenir compte pour s’assurer que les ressources dont ces personnes ont besoin sont disponibles au bon endroit et au bon moment. Puisque le soutien financier offert aux réfugiés équivaut aux prestations d’aide sociale, il est souvent plus facile de leur trouver des logements abordables de taille convenable dans de petites villes. Dans certaines provinces, on a planifié l’installation des Syriens en fonction de ce critère. Le Québec en constitue un cas éloquent : suivant sa politique de longue date de la régionalisation de l’immigration, le gouvernement a dirigé 75 % des réfugiés syriens pris en charge par l’État vers Québec, Gatineau ou l’une des huit petites villes désignées (entre autres Sherbrooke et Granby). Cependant, avec la dispersion des réfugiés dans les petits centres urbains, il devient plus difficile de s’assurer qu’il y a sur place une masse critique de ressources spécialisées dont les réfugiés ont besoin. Dans d’autres domaines, par exemple le transport en commun, étant donné que les petites villes sont souvent mal desservies, les programmes de rétablissement des réfugiés devraient prendre en considération le covoiturage, les services de taxi-bus, de location de vélos et de voitures de courte durée (et à but non lucratif) ainsi que les leçons de conduite, notamment pour les femmes.

Jusqu’à présent, 35 % des réfugiés  syriens arrivés au Canada sont parrainés par le privé, alors que 9 %  ont été admis dans le cadre d’un programme hybride, où le gouvernement et le privé se partagent les coûts de soutien durant la première année. De plus en plus populaire au Canada depuis son introduction en 2013, ce dernier programme n’a pourtant pas d’équivalent au Québec. Selon les données administratives d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, les revenus des réfugiés parrainés et leur insertion économique sont en progression durant la dernière décennie. En outre, les Syriens parrainés par le privé et admis dans les premiers mois de l’opération Bienvenue aux Syriens auraient globalement moins de difficultés d’établissement que les réfugiés pris en charge par l’État,  en raison notamment de leur plus haut niveau de scolarité, de leur expérience professionnelle en milieu urbain ainsi que de la plus petite taille de leurs familles. Toutefois, eux aussi auraient souvent besoin de ressources spécialisées, ayant vécu des traumatismes importants.

Les réfugiés syriens parrainés par le privé s’établissent majoritairement dans les villes ayant des communautés syriennes de longue date : presque la moitié, soit 46 %, vivent dans le Grand Montréal (où ils représentent 95 % des réfugiés syriens admis), et 27 % se trouvent dans le Grand Toronto. Pourtant, les organismes d’aide aux réfugiés ont reçu de nombreuses demandes de la part des répondants, ce qui soulève un point important. En effet, il faut s’assurer que les répondants privés ont accès à des ressources suffisantes et sont soutenus dans leur mentorat, pour empêcher aussi la rupture des ententes de parrainage. (Ces cas sont rares, mais les réfugiés risquent alors de perdre leur logement.) Le programme de parrainage privé est une partie intégrante de l’image du Canada, ici et à l’étranger, en tant que terre d’accueil de réfugiés. Au cours des prochaines années, il serait important de suivre attentivement l’expérience d’établissement des réfugiés, entre autres en matière de logement, car il existe peu d’études sur eux.

Selon l’Observatoire canadien sur l’itinérance, les séjours prolongés dans des hébergements  temporaires ainsi que l’obligation d’habiter un logement insalubre ou surpeuplé font partie des différentes formes d’exclusion en matière de logement, qui se situent dans un continuum comprenant aussi les sans-abris. Une combinaison de planification, de réponses rapides aux besoins et d’initiatives locales semble avoir pu prévenir jusqu’ici l’itinérance chez les nouveaux arrivants syriens. En outre, ceux qui sont accueillis dans le cadre de l’opération Bienvenue aux Syriens sont exemptés du remboursement du prêt accordé pour les coûts de transport vers  le Canada, une charge financière qui pèse lourd sur le budget des réfugiés et aggrave leurs problèmes de logement.

Dans le moyen terme, l’accès au logement social serait une solution durable pour certains réfugiés qui ne sont pas en mesure de s’intégrer au marché de travail. Comme de nombreuses autres familles sur les listes d’attente pour le logement social, leur situation résidentielle et financière se trouverait nettement améliorée si le gouvernement fédéral optait de réinvestir, après une interruption de plus 20 ans, dans la construction de logements sociaux pour familles, notamment les grandes familles et les familles multigénérationnelles. Aussi, le renouvellement du programme fédéral d’aide à la réhabilitation résidentielle, dont le financement s’est tari depuis 2010, pourrait grandement améliorer les conditions de logement de ceux qui dépendent d’un parc locatif vieilli.

De nombreuses recherches sur les trajectoires d’insertion des immigrants sur le marché du travail nous amènent à penser que bon nombre de réfugiés devront se contenter d’emplois précaires et de salaires peu élevés durant leurs premiers dix ans (ou plus) au Canada. Si l’accès à un logement décent et abordable est avant tout une question de justice sociale, il permettrait aussi aux nouveaux arrivants d’investir plus rapidement dans la formation professionnelle, l’acquisition de compétences linguistiques et d’autres démarches favorisant une sortie des rangs des travailleurs pauvres.

Photo: Canadian Press

Cet article fait partie du dossier L’intégration des réfugiés.

 


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Damaris Rose
Damaris Rose est professeure titulaire de géographie urbaine au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique. Ses recherches sont axées notamment sur le logement et l’habitat, notamment l’établissement et l’insertion urbains des immigrants et des réfugiés.

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