C’était il y a 12 ans, en Australie, et cela m’avait semblé très original. L’employée d’une boutique de Huskisson m’a dit qu’elle n’avait pas de sacs en plastique. La ville côtière, connue pour ses dauphins batifolant au large, les avait bannis. Partout, ses habitants portaient en bandoulière le type de sacs en toile qu’on voit aujourd’hui suspendus dans les vestibules du monde industrialisé.

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Parc national de Booderee, près de Huskisson, en Australie

Il est ainsi révélateur qu’en 2016, la promesse du maire de Montréal de bannir les sacs en plastique d’ici à 2018 suscite la controverse.

Au Canada, les politiques environnementales visant à modifier les comportements des consommateurs relèvent encore d’une amicale suggestion plutôt que d’une réelle incitation. Comme si elles s’excusaient de nous déranger : « Hum, désolé, ça vous ennuierait de consommer un tout petit moins ? » Qu’on pense aux publicités écoénergétiques de David Suzuki, à l’éphémère crédit d’impôt à la rénovation pour améliorer l’efficience de nos maisons, ou à certains programmes encourageant l’achat de meilleurs frigos et cuisinières.

Beaucoup de Canadiens se croient très écolos parce qu’ils évitent d’utiliser leur sèche-linge en milieu de journée, ne jettent aucun détritus à la rue et savent remplir leurs bacs de recyclage.

Mais nous le savons bien, au fond : nous gaspillons des masses d’énergie et achetons des monceaux de camelote.

L’été dernier, mon voisin de camping s’était muni d’un minifrigo tout neuf pour tenir au frais ses bières Heineken.

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Dans un article publié l’an dernier par le Journal of Industrial Ecology, des chercheurs de l’Université norvégienne de sciences et de technologie ont établi que la consommation des ménages comptait en 2007 pour 65 % de l’empreinte carbone mondiale. Sans surprise, ceux des pays riches produisaient la plus forte quantité de GES étant donné leurs modes de transport, d’habitation et d’alimentation. Au Canada, c’était 14,6 tonnes de CO2 par habitant contre 3,4 tonnes en moyenne à l’échelle planétaire.

Pourtant, depuis la Conférence de Paris sur le climat, le débat public reste centré sur les grands émetteurs et le rôle des pipelines. Dans ce dossier spécial, nos collaborateurs décryptent une série de données et analysent les possibilités d’action d’Ottawa en ces lendemains de Paris.

Chose certaine, nos décideurs tardent à rassembler les Canadiens autour d’un débat sur leurs habitudes de consommation. Par exemple, quelles mesures peuvent prendre les ménages pour combattre à leur niveau les changements climatiques et favoriser le développement durable ?

Sur tous les sujets qui fâchent – surutilisation de nos voitures, types de véhicules que nous achetons, efficacité énergétique de nos immeubles, aliments emballés ou insouciante addiction à l’air conditionné pour deux maigres mois d’été –, personne ne semble prêt à monter au créneau.

La classe politique se montre ainsi peu pressée de promouvoir clairement l’achat de voitures électriques pour réduire le nombre de véhicules énergivores. Comme s’il était socialement plus acceptable de rouler en VUS que d’oublier son sac en toile à la maison. En témoigne la gentille taxe d’accise sur les véhicules énergivores : à peine devrez-vous ajouter 4 000 dollars au prix délirant d’une Lamborghini Aventador Roadster (22,7 litres aux 100 kilomètres en conduite urbaine).

Selon le rapport Greendex 2014 du National Geographic, qui retrace « les progrès accomplis vers une consommation écologiquement durable », les Canadiens sont « les plus nombreux à conduire seuls leurs voitures et camions et les plus faibles usagers des transports en commun parmi 18 groupes interrogés ».

Aucune pression sociale ou réglementaire n’incite non plus à réduire la fabrication de produits inutiles. On assisterait plutôt à leur prolifération : tyranniques « sacs à surprises » d’anniversaire, jouets « Happy Meal » (vite oubliés dans le bric-à-brac des tiroirs), microbilles de dentifrice, lingettes jetables (fléau des réseaux d’égout municipaux) ou dosettes de café (ici, je plaide coupable !).

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C’est surtout à la base, dans nos collectivités, que les gens s’efforcent de transformer notre culture de consommation : écoles faisant la promotion de la marche, citoyens réclamant des pistes cyclables, détaillants qui cessent d’eux-mêmes de distribuer des sacs en plastique, agriculteurs qui nous sensibilisent à l’alimentation locale.

Les Canadiens sont-ils prêts à quelques sacrifices pour aider leur pays (et le monde) à combattre les changements climatiques ? Sans poser directement la question, un récent sondage Ekos Politics réalisé pour la SRC en donne un aperçu. Sur 2 000 répondants, 76 % se sont dits « d’accord » ou « plutôt d’accord » avec cette affirmation : « Le Canada devrait soutenir le développement du secteur des énergies propres, même si cet appui fait augmenter les coûts énergétiques. »

Ottawa mène actuellement des consultations sur sa nouvelle Stratégie fédérale de développement durable, qui veut inciter « les Canadiens et les entreprises à prendre des mesures volontaires pour réduire les émissions de GES ».

Nos décideurs et législateurs pourraient bien découvrir que nous sommes réceptifs à cette idée, mais que nous attendons simplement un coup de pouce de leur part pour passer à l’action.

Cet article fait partie du dossier L’après-Paris : les prochaines étapes en matière de changements climatiques.

Jennifer Ditchburn
Jennifer Ditchburn est présidente et chef de la direction de l’Institut de recherche en politiques publiques. Entre 2016-2021, elle était rédactrice en chef d’Options politiques, l’influent magazine numérique de l’IRPP. Jennifer a travaillé pendant plus de 20 ans comme reporter nationale à La Presse canadienne ainsi qu’à SRC/CBC. Elle a codirigé, avec Graham Fox, l’ouvrage paru en 2016 The Harper Factor: Assessing a Prime Minister’s Policy Legacy (McGill-Queen’s).

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