À l’heure où la communauté internationale est rassemblée à Paris pour participer à la 21e conférence des Nations unies sur les changements climatiques, les négociations suscitent à juste titre une attention médiatique soutenue. Cette rencontre est un moment charnière de l’évolution du régime international de coopération climatique, lequel vise depuis des décennies la signature d’un accord multilatéral susceptible de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et d’éviter ainsi une perturbation « dangereuse » du système climatique. Pour y parvenir, il faut contenir le réchauffement du climat à une température se situant entre 1,5 et 2 °C.

Cependant, tout accord convenu à Paris sera à lui seul insuffisant pour réduire les émissions de GES à un niveau sécuritaire. L’ampleur du réchauffement futur – qu’il soit supérieur à 2 °C ou non – dépendra en dernière analyse de la capacité des gouvernements à mettre en œuvre des politiques climatiques appropriées pour diminuer les GES émis dans leurs juridictions. Après la conférence, une fois la poussière retombée, l’attention se recentra donc sur les politiques nationales et infranationales.

Au Canada, où les émissions de GES sont toujours en hausse, les politiques provinciales devront être revues et améliorées, et il faudra adopter de nouvelles politiques ambitieuses. Le premier ministre Justin Trudeau a déjà fait savoir qu’il compte rencontrer les premiers ministres des provinces à la suite de la conférence de Paris pour entamer des pourparlers sur la bonification des politiques provinciales de réduction des GES. Quelques provinces ont d’ores et déjà annoncé leur intention de développer de nouvelles politiques de tarification du carbone. L’Ontario et le Manitoba projettent ainsi de créer leurs propres marchés du carbone et de les lier éventuellement au marché commun du Québec et de la Californie. Toutefois, les politiques climatiques adoptées ne sont pas toujours mises en œuvre, comme le démontre le retrait de plusieurs des membres fondateurs de la Western Climate Initiative. Pour être efficaces et remplir leurs promesses, les politiques de tarification du carbone devront bénéficier d’un soutien politique étendu et durable.

L’appui du public est un des éléments essentiels de la crédibilité des politiques climatiques. Cela est particulièrement important pour les politiques, telle que la tarification du carbone, qui imposent des coûts directs aux entreprises et aux consommateurs. Ces types de politiques sont particulièrement vulnérables dans les juridictions où la nécessité d’une action climatique décisive et immédiate ne fait pas consensus. De récents sondages conduits par Environics et par l’Institut Angus Reid rapportent que les Canadiens sont généralement en faveur de la tarification du carbone, surtout par l’entremise d’un marché. Le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission est vu plus favorablement que la taxe sur le carbone, et ce système est aussi le plus couramment utilisé au Canada. Notre plus récent sondage (Université de Montréal / Institut de l’énergie Trottier) rapporte des résultats similaires, mais les nuance d’une manière importante : la plupart des Canadiens n’ont au mieux qu’une connaissance superficielle du système de plafonnement et d’échange.

Dans ce sondage, nous avons demandé aux Canadiens s’ils avaient entendu parler du marché du carbone, après leur avoir lu une description du fonctionnement de ce système. Les résultats montrent que la majorité d’entre eux en ont peu entendu parler (environ 35 %) ou n’en ont pas entendu parler du tout (environ 45 %). Nous leur avons demandé ensuite si, à leur connaissance, leur province avait mis en place un tel système. La plupart des répondants n’en étaient pas sûrs, et il y avait une égale distribution entre les réponses exactes et les réponses erronées. Ces résultats suggèrent qu’une partie des répondants qui, en réalité, n’étaient pas sûrs ont choisi au hasard une réponse. Étonnamment, la distribution des résultats pour la province de Québec est identique à celle de l’ensemble du pays, même si le marché du carbone québécois est en vigueur depuis 2013. Les résultats d’ensemble indiquent que ce système n’est pas bien connu, et encore moins compris, par les Canadiens.

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Les faibles connaissances des répondants en ce qui concerne le système de plafonnement et d’échange nous incitent à la prudence lorsqu’il s’agit d’interpréter les sondages mesurant le niveau d’appui populaire. Les Canadiens n’ont probablement pas encore une opinion arrêtée à ce sujet. Dans un tel contexte, on peut se demander quel type d’information serait le plus à même d’augmenter le soutien du public à cette politique.

Notre recherche montre que les Canadiens ont une opinion plus définie sur l’utilisation des revenus générés par la mise aux enchères des droits d’émission. Lorsqu’on les informe que l’adoption d’un système de plafonnement et d’échange est susceptible d’augmenter le coût de l’énergie et, concomitamment, de générer des recettes importantes pour le gouvernement, les Canadiens se prononcent majoritairement en faveur de l’investissement de ces revenus dans le développement d’énergies renouvelables et de programmes d’efficacité énergétique. On peut noter que ces programmes réduisent aussi les émissions de GES.

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Nous avons ensuite demandé aux Canadiens dans quelle mesure ils appuieraient l’adoption d’un système de plafonnement et d’échange dans leur province si les revenus générés étaient utilisés de la manière qu’ils préfèrent. Nos résultats montrent que l’appui à un marché du carbone augmente alors considérablement.

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Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent que le public n’a pas forcement un avis tranché sur cet instrument relativement complexe de régulation qu’est le système de plafonnement et d’échange. Peu de Canadiens connaissent cette politique, même dans les juridictions où elle est en vigueur. Si nos sondages fournissaient une description valide de l’appui du public, nous pourrions affirmer que 75 % des Québécois et 60 % des Ontariens seraient en faveur d’un marché du carbone dans leur province. Mais cette inférence supposerait qu’une majorité des répondants soient bien informés, ce qui n’est pas le cas.

On peut s’interroger sur les raisons de ces faibles connaissances des Canadiens. Au Québec, la seule province qui a établi un marché du carbone fonctionnel dès 2013, la mise en ɶuvre de ce système a soulevé peu de débats, et il a été adopté unanimement à l’Assemblé nationale. Cette absence de controverse pourrait expliquer en partie le faible niveau de connaissance du marché du carbone au Québec, mais il est peu probable qu’un consensus aussi large entre les partis se réalisera dans les autres provinces qui envisagent d’établir ce système. Par ailleurs, la sensibilisation du public n’a pas joué de rôle dans le succès de marchés pour d’autres polluants (par exemple, peu de Canadiens savent qu’il existe des marchés pour le dioxyde de soufre et l’oxyde d’azote). Les  marchés du carbone sont probablement plus visibles et peuvent ainsi plus facilement soulever des controverses.

Nous devons mieux comprendre les facteurs susceptibles d’augmenter l’appui du public au système de plafonnement et d’échange. Les détails des politiques en matière de tarification du carbone peuvent influencer le soutien public. Si les gouvernements peuvent être tentés de distribuer des droits d’émission gratuitement pour soutenir les secteurs à forte intensité énergétique qui sont exposés à la concurrence, vendre les droits aux enchères permet toutefois d’augmenter l’appui à ces politiques. L’affectation transparente des recettes pourrait aussi améliorer la crédibilité des politiques de tarification du carbone, en particulier lorsque les revenus sont utilisés pour financer des efforts additionnels de réduction des émissions de GES. Tout indique en effet que c’est l’utilisation transparente et ciblée des revenus qui sera susceptible d’améliorer l’appui du public et de garantir la viabilité à long terme de ces politiques.

Note : Ce sondage Université de Montréal / Institut de l’énergie Trottier fait partie du Canadian Survey on Energy and Environment. Les données parviennent d’un sondage téléphonique mené auprès d’un échantillon représentatif de 1 014 Canadiens âgés de 18 ans et plus. Les entrevues ont été réalisées entre le 1er et le 15 septembre 2015. La marge d’erreur d’échantillonnage pour l’échantillon national est de plus ou moins 3,1 %, 19 fois sur 20. Les résultats rapportés sont pondérés en fonction du sexe, de l’âge et de la région pour refléter les dernières estimations démographiques de Statistique Canada.

Erick Lachapelle
Erick Lachapelle est professeur agrégé de science politique à l’Université de Montréal.

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