L’image bouleversante du corps sans vie d’Alan Kurdi, couché face contre terre sur une plage turque, et la révélation venue ensuite de l’intention de la famille Kurdi de demander asile au Canada ont incité de nombreux Canadiens à se demander ce que nous pouvions faire en tant que pays pour aider les réfugiés syriens. Jusqu’à maintenant, notre recherche d’une réponse à cette interrogation s’est rarement hissée au-delà de l’enjeu de la réinstallation des réfugiés, alors que nous continuons de débattre du nombre que nous devrions admettre, de la rapidité avec laquelle nous devrions les recevoir et des moyens que nous devrions prendre pour les accueillir.

C’est malheureux. Évidemment, la réinstallation des réfugiés doit être un élément essentiel de notre action collective, mais la réponse humanitaire du Canada à la crise des réfugiés syriens devrait dépasser cette seule question.

Ce qui manque principalement dans le débat public actuel, c’est une prise de conscience des difficultés énormes que doivent surmonter les réfugiés pendant leur migration, de même qu’avant et après leur réinstallation. Il importe d’accorder une attention tout aussi importante à ces difficultés, en particulier le problème de l’accès à des soins de santé adéquats, qui est critique autant pour les réfugiés qui sont toujours dans la région que pour ceux qui sont déjà arrivés au Canada.

L’absence de soins de santé a non seulement des conséquences désastreuses sur le bien-être des réfugiés, mais peut en outre constituer un obstacle à leur intégration dans un nouveau milieu de vie.

Le manque de fonds auquel sont confrontés les organismes d’aide humanitaire nuit cruellement à leur capacité d’offrir l’accès à des soins de santé aux quatre millions de Syriens réfugiés dans les pays voisins. Par exemple, en juin de cette année, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et ses partenaires n’avaient réuni que 17 % des 369 millions de dollars nécessaires pour financer les initiatives humanitaires en soins de santé menées dans la région. Cette situation a entraîné la fermeture de 10 des 18 cliniques gérées par les Nations Unies dans différents secteurs iraquiens. En Jordanie, seulement la moitié des blessés de guerre ont eu accès aux soins infirmiers qu’ils requéraient, tandis qu’au Liban les réfugiés qui ont besoin de certains traitements vitaux, comme la dialyse, la chimiothérapie et les soins apportés aux très grands prématurés, n’ont plus accès aux subventions des Nations Unies et doivent désormais se tourner vers le secteur privé pour trouver le moyen de payer leurs frais médicaux.

Qu’ils soient en attente du statut de réfugié ou parrainés par des groupes privés, les réfugiés syriens qui entrent au Canada se butent eux aussi à des obstacles les empêchant d’accéder aux soins médicalement requis dont ils ont besoin, en raison principalement des compressions effectuées dans le programme des soins de santé aux réfugiés depuis juin 2012. La Cour fédérale a statué en juillet l’an dernier que ces modifications au programme étaient cruelles et inusitées, mais le gouvernement a fait appel de cette décision et, entre-temps, la couverture de soins de santé dont bénéficient les réfugiés demeure lacunaire.

Selon la politique fédérale actuelle, la plupart des demandeurs d’asile et des réfugiés parrainés par le secteur privé n’ont droit à des prestations supplémentaires et au remboursement des médicaments sur ordonnance que si leur état de santé représente un risque pour la santé ou la sécurité publique. Ainsi, les réfugiés syriens qui ont été blessés pendant les combats et qui nécessitent une prothèse ou une aide à la mobilité doivent payer eux-mêmes pour l’obtenir. Ceux qui ont besoin de soutien en matière de maladie mentale, ce qui est fréquent chez les réfugiés, n’ont droit à aucune aide financière pour consulter un psychologue clinicien ou se procurer des médicaments psychotropes. Les maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension ne font l’objet d’aucune couverture et les réfugiés atteints de telles maladies doivent débourser de leur poche le coût de leurs médicaments, ce qui constitue un problème particulièrement criant dans le contexte de la crise des réfugiés syriens, puisqu’en 2011, avant le déclenchement de la guerre civile, plus des trois quarts de tous les décès en Syrie étaient attribuables à des maladies non transmissibles.

Il y a cependant des mesures immédiates que le gouvernement canadien peut prendre pour faciliter l’accès des réfugiés syriens à des soins de santé, à l’étranger et au Canada. Nous devons en tant que pays accroître notre soutien aux organismes d’aide humanitaire sur le terrain qui travaillent sans relâche pour répondre aux besoins des réfugiés en Syrie et dans les pays voisins. L’annonce du gouvernement d’égaler les dons privés amassés d’ici la fin de l’année est une première étape cruciale, mais comme la crise se prolonge, le gouvernement doit s’engager à offrir un soutien financier à plus long terme.

Au pays, il est essentiel que le gouvernement fédéral abandonne la demande d’appel qu’il a déposée contre la décision de la Cour fédérale et annule les coupes effectuées dans le programme canadien de soins de santé aux réfugiés.

Ces mesures n’aideront pas uniquement à combler les besoins de base des réfugiés, mais contribueront également à la réussite du programme de réinstallation au Canada. Rétablir l’accès aux soins de santé réduira les coûts en santé que doivent payer les réfugiés et allégera le fardeau financier des Canadiens qui participent au programme de parrainage privé de réfugiés. L’accès aux soins de santé aidera également à maintenir ou même à améliorer le bien-être des réfugiés et leur redonnera espoir, ce qui ne saurait que favoriser leur participation active à la communauté d’accueil.

La protection de l’accès aux soins de santé doit être un élément central de la réponse humanitaire du Canada à la crise des réfugiés syriens. Il est grand temps d’agir.

 

 

Y. Y. Brandon Chen
Y.Y. Brandon Chen is an Assistant Professor at the Faculty of Law, University of Ottawa. He is a member of University of Ottawa’s Centre for Health Law, Policy and Ethics.

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