Le 24 octobre 2018, le Protecteur du citoyen du Québec publiait un rapport faisant état d’importantes lacunes dans les services éducatifs reçus par les Inuits du Nunavik. Afin d’assurer un meilleur avenir aux Nunavikois, lequel passe nécessairement par une éducation de qualité, il formule une série de recommandations à l’intention du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), dont les plus importantes sont analysées dans le présent texte.

Les intervenants du milieu connaissent bien les problèmes et défis du système d’éducation au Nunavik, problèmes qui ont aussi fait l’objet de reportages dans les médias québécois ces dernières années. Très faible taux de diplomation, décrochage scolaire important, grave absentéisme chez certains élèves, difficultés langagières, fermeture répétée des écoles, problèmes de recrutement et de rétention du personnel enseignant, manque de pertinence des programmes au plan culturel, problèmes sociaux de toutes sortes, la liste des difficultés à surmonter a de quoi décourager. Étant donné l’ampleur et la complexité des problèmes, le Protecteur du citoyen souligne que le MEES doit mieux assumer ses responsabilités à l’égard de Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire du Nunavik. Celle-ci, créée en 1978 à la suite à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, est responsable des services éducatifs au Nunavik, c’est-à-dire qu’elle a compétence pour l’enseignement primaire et secondaire ainsi que l’éducation des adultes. Kativik Ilisarniliriniq a notamment le pouvoir d’établir un calendrier et des programmes scolaires distincts, fondés sur la culture inuite.

Le Protecteur du citoyen constate que le MEES n’assure pas toujours un suivi adéquat des dossiers. Il tarde à répondre à certaines demandes de la commission scolaire, ce qui nuit évidemment à la réalisation de divers projets. Par exemple, la construction d’une nouvelle école secondaire, la construction de logements pour le personnel enseignant ou encore la planification de travaux d’agrandissement d’écoles accusent des retards parfois importants. Il faut qu’une « relation continue, fiable et transparente » (p. 4) s’établisse entre le MEES et la commission scolaire, observe le Protecteur du citoyen, ce qui suppose de mettre en place des canaux de communication efficaces.

Par ailleurs, le rapport révèle que, faute de données, le MEES ne peut dresser un portrait objectif de la situation de l’éducation au nord du 55e parallèle. À l’évidence, il est impossible de bien comprendre les enjeux liés à l’éducation, de proposer des solutions efficaces ou encore un financement adéquat quand on dispose d’informations insuffisantes. Ainsi, le MEES manque de renseignements sur les causes de l’absentéisme des élèves tout comme il ignore la proportion d’élèves qui n’affichent aucun retard scolaire au début du troisième cycle du primaire ou du deuxième cycle du secondaire. Il ne peut donc proposer des mesures d’encadrement afin de les aider à persévérer dans leurs études, pas plus qu’il ne peut accompagner les élèves qui éprouvent des difficultés d’apprentissage. Pourtant, le ministère obtient auprès des commissions scolaires du sud de la province des telles informations, de même que bien d’autres, qu’il compile et analyse. Voilà pourquoi le Protecteur du citoyen recommande que le MEES « dresse un portrait de l’éducation [au] Nunavik, qu’il le mette à jour annuellement et qu’il le diffuse sur son site Internet » (p. 25) — une mesure, avouons-le, que le ministère aurait déjà dû mettre en place voilà longtemps.

Une classe du primaire prend la pose devant l’aérogare de Kangirsuk, au Nunavik / Marie-Christine Poutré (2012)

Surtout, le Protecteur du citoyen affirme que le MEES conçoit son rôle de manière restrictive, ce qui le conduit à ne pas exercer certaines de ses responsabilités. On constate, en effet, une volonté au MEES de ne pas s’ingérer dans les affaires du Nunavik afin de respecter l’autonomie des Inuits, mais cette bonne intention finit par nuire à la qualité des services éducatifs que reçoivent les Nunavikois.

Concrètement, comment le MEES peut-il contribuer à améliorer le système d’éducation du Nunavik ? Deux des recommandations du rapport invitent le ministère à appuyer la commission scolaire dans sa volonté de favoriser la réussite scolaire des Nunavikois. Parmi les raisons qui compromettent cette réussite, il y a l’exigeante transition entre les premières années d’apprentissage, où la langue d’enseignement est l’inuktitut, et le reste du parcours scolaire, où le français ou l’anglais prédomine. Introduit à demi-temps en troisième année, le français ou l’anglais devient la principale langue d’enseignement l’année suivante. Les élèves ont ainsi à maîtriser une langue seconde ou tierce (le français) tout en poursuivant leurs apprentissages de base, ce qui n’est pas à la portée de tous. Il s’ensuit que de nombreux élèves ont déjà à la fin du primaire des retards scolaires qu’ils ne rattraperont jamais, même si la commission scolaire a ajouté une septième année au primaire. En outre, à la fin du secondaire, les élèves n’ont pas accès aux cours de mathématiques et de sciences avancées, ce qui limite leurs choix d’études postsecondaires. Il est donc impératif de rendre le programme scolaire encore plus adapté sur le plan pédagogique et linguistique, en favorisant notamment la création de matériel didactique qui tienne compte du degré de maîtrise de la langue d’enseignement.

À long terme, les Inuits du Nunavik voudraient mettre en place un système d’éducation véritablement bilingue. D’ici là, Kativik Ilisarniliriniq souhaite donner une plus grande place à la culture inuite dans les écoles, tout en veillant à satisfaire aux objectifs ministériels en matière de diplomation. Le Protecteur du citoyen, plutôt que de se contenter d’énoncés vagues qui recommandent au MEES de poursuivre des travaux sur la réussite éducative des élèves autochtones à des tables de concertation, aurait pu se montrer ici plus audacieux. Certes, il ne saurait faire des recommandations à Kativik Ilisarniliriniq, puisque les commissions scolaires sont exclues de son champ de compétence. Toutefois, étant donné que l’adaptation des programmes aux réalités culturelles exige du temps et des ressources considérables (à la fois humaines, matérielles, logistiques et financières), sans parler de la mise en place d’un système d’éducation bilingue, on aurait aimé que le Protecteur du citoyen enjoigne au MEES d’appuyer clairement les efforts des Inuits en ce sens. Les Nunavikois réclament depuis des décennies un système d’éducation qui permette la préservation et le développement de la culture inuite. Pour y arriver, ils doivent compter sur l’aide du MEES et sur celle du gouvernement du Québec, qui peut et doit leur montrer, au-delà des belles déclarations de principe, qu’il tient réellement compte de leurs aspirations.

Par ailleurs, il faut saluer la recommandation du Protecteur du citoyen d’« augmenter de façon importante et le plus rapidement possible le nombre d’enseignants et d’enseignantes inuit qualifiés » (p. 16). Il s’agit là d’une mesure qui valoriserait grandement la culture et la langue inuites dans les écoles. De plus, recruter des enseignants originaires du village ou de la région pourrait favoriser une meilleure rétention du personnel enseignant — si tant est qu’on leur offre de bonnes conditions de travail. Cette masse critique d’enseignants inuits pourrait aussi inciter les écoles à adapter leur calendrier scolaire à la réalité du Nord, de sorte que les élèves n’auraient plus à s’absenter lors des saisons de chasse ou de pêche.

Trois autres recommandations du Protecteur du citoyen pourraient avoir un impact important, et rapide, sur la qualité de l’éducation au Nunavik.

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La première a trait à « l’embauche de personnel enseignant suppléant et qualifié » (p. 18) dans chacune des 14 communautés. Cette recommandation, si elle se concrétisait, aurait l’immense avantage d’atténuer les problèmes liés au taux d’absentéisme élevé des enseignants, qui conduit trop souvent à l’annulation de classes.

La deuxième recommandation invite le MEES à encourager la création d’un cours universitaire qui permettrait aux futurs enseignants de mieux se préparer aux défis de l’enseignement au Nunavik. Même si un tel cours ne sera pas suffisant (il y a quelques années, les Nunavikois avaient proposé qu’un certificat universitaire soit créé), il constituerait néanmoins un progrès par rapport aux quelques jours de formation qu’offre actuellement Kativik Ilisarniliriniq aux nouvelles recrues.

Quant à la troisième recommandation, elle vise à améliorer les services aux élèves en difficulté ou handicapés. Pour diverses raisons, ces services sont rares ou inexistants au Nunavik. On comprend sans peine qu’il est essentiel de les financer adéquatement et de s’assurer qu’ils rejoignent les élèves qui en ont besoin.

L’un des plus graves problèmes du système d’éducation au Nunavik est son incapacité à convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école sur une base régulière. Afin de faire respecter l’obligation de fréquentation scolaire (l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans au Nunavik), le Protecteur du citoyen voudrait que le ministère propose des mesures pour diminuer l’absentéisme parfois effarant des élèves. Cependant, pour régler ce problème, il faudrait à mon avis changer radicalement le système en place, afin que les Inuits se sentent véritablement « chez eux » à l’école.

Enfin, on ne saurait ignorer que le Nunavik croule sous les problèmes sociaux, dont le manque criant de logements (et la surpopulation qui en découle). Ces problèmes ont une incidence certaine sur la réussite scolaire. Le Protecteur du citoyen presse donc le gouvernement du Québec de trouver, avec le fédéral, une solution à long terme à cette crise du logement.

Le premier ministre François Legault a maintes fois répété en campagne électorale que l’éducation était l’une de ses priorités. S’il veut se montrer ambitieux, son gouvernement donnera suite aux recommandations du rapport du Protecteur du citoyen, qui doivent obligatoirement s’accompagner d’un financement approprié. Le nouveau gouvernement du Québec a l’occasion de montrer qu’il tient à la réussite scolaire des citoyens du Nunavik. Espérons qu’il sera à la hauteur.

Photo: Des enfants se sont rassemblés sur la rivière gelée, en face du village de Kangirsuk, au Nunavik / Anne Laguë (2011)


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Nicolas Bertrand
Nicolas Bertrand est professeur de philosophie au Collège Montmorency. De 2010 à 2012, il a vécu à Kangirsuk, au Nunavik. Il est l’auteur du livre Une école à la dérive. Essai sur le système d’éducation au Nunavik, paru en 2016 aux éditions du Septentrion.

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